Kouakou Edmond,Docteur en droit, Consultant
L’odyssée juridique qui a commencé avec l’arrestation arbitraire du Président Laurent Gbagbo et de ses partisans a connu son point d’orgue avec leur inculpation progressive. Ce fut une autre occasion pour constater le non respect du droit par les dirigeants actuels.
Le procureur de la République ne s’est pas gêné de procéder à ces inculpations sans aucun égard pour le statut des différents mis en cause au regard des lois qui régissent la République : députés, anciens ministres et ancien Président de la République.
Et comble de ridicule, il n’a pas daigné épargner Michel Gbagbo, sans aucun doute parce qu’« il est le fils de son père » selon la confidence déjà faite par le ministre de la justice Ahoussou Jeannot, le donneur d’ordres. Pauvre Michel, pourquoi n’as-tu pas choisi de naître du couple Ouattara - Nouvian ? En évitant ainsi le délit de patronyme, tu te serais mis à l’abri de bien de meurtrissures.
En ce qui concerne le Président Laurent Gbagbo, l’histoire de son « inculpation » apparaît des plus cocasses. Dans une interview accordée à un journal panafricain, le procureur de la République qui, jusqu’alors s’était peu soucié du droit, avait cru bon de révéler qu’il prendrait en compte désormais le statut de membre de droit du Conseil constitutionnel du Président Laurent Gbagbo. Joignant l’acte à la parole, il introduisit une requête auprès de ladite institution. Mais une semaine après, il se ravise et sollicite en catastrophe le retrait de celle-ci. Avait-il été mis dans la confidence de la grossièreté de la procédure qui consistait à reconnaître un droit qui découlait d’un statut, celui d’ancien Président de la République qui avait d’autres implications qu’il se refusait à admettre ? Et que, par conséquent cette procédure avait peu de chance d’aboutir ?
Nous pensions cette reculade suffisamment instructive pour dissuader le procureur de continuer dans les eaux boueuses de contournement de la loi. Que Nenni ! Dans sa recherche effrénée d’un régime de droit commun pour le Président Laurent Gbagbo, le Procureur de la République jette son dévolu sur la loi n°2005-201 du 16 juin 2005 portant statut d’ancien Président de la République et autres, dont l’article 54 dispose : « Les mesures spéciales instituées en matière de poursuite ou d’arrestation d’un ancien Président de la République… pour les faits criminels ou délictuels par lui commis ne prospèrent pas pour les poursuites des infractions perpétrées lors des campagnes électorales ou à l’occasion des élections. Les poursuites de ces infractions sont régies par les dispositions du Code électoral, du Code Pénal et du Code de procédure Pénale ». La particularité de cette disposition est d’annuler une procédure spéciale en faveur des anciens Présidents de la République instituée par la même loi en son article 2. « Eurêka » ! Le Procureur de la République croit y détenir la solution rêvée, puisque l’objectif est de considérer le Président Laurent Gbagbo comme un citoyen ordinaire. Peine perdue, cette trouvaille non plus ne saurait prospérer.
Car la portée de cette disposition législative reste limitée. Une disposition législative ne saurait prévaloir sur des mesures spéciales contenues dans des textes supra législatifs. Il en est ainsi de la Constitution, norme fondamentale et supérieure placée au sommet de la pyramide des normes. En vertu de la hiérarchie des normes, cet article 54 de la loi n°2005-201 ne peut faire échec à la procédure spéciale prévue par l’article 93 de la Constitution en faveur des membres du Conseil constitutionnel. C’est pourquoi, pour autant que la qualité de membre de droit soit reconnue au Président Laurent Gbagbo, la procédure spéciale qu’elle induit, à savoir l’autorisation préalable de l’institution, demeure toujours opposable au Procureur de la République à l’occasion d’une éventuelle « inculpation ».
Cependant, il importe de rappeler une évidence. Sait-on jamais ? Ce n’est pas parce que, à la suite d’un coup de force, le Président Laurent Gbagbo est devenu un ancien Président de la République que tous les actes posés dans sa vie tombent sous cette qualité. Du 26 octobre 2000 au 11 avril 2011, il a bien exercé les fonctions de Président de la République de Côte d’Ivoire. Et les « crimes économiques » qu’on lui reproche aujourd’hui ne peuvent pas avoir été commis depuis son arrestation le 11 avril 2011. Ils sont donc antérieurs à cette arrestation et ne peuvent de toute évidence qu’être rattachés à la période d’exercice de sa magistrature.
Comment ces « crimes économiques » peuvent-ils de surcroît être rattachés à la campagne électorale et à l’élection ? Tel que le Code électoral l’entend, l’élection est clôturée à la proclamation des résultats. C’est du reste ce que rappelle une décision du Conseil constitutionnel en date du 28 octobre 2005 qui y précise que « l’élection (est) un processus comprenant les opérations préparatoires du scrutin, la présentation des candidatures, la propagande électorale, les opérations de vote et la proclamation des résultats ». En quoi ces actes électoraux peuvent-ils donner l’occasion de commettre des infractions telles que les détournements de deniers publics, les pillages, le vol aggravé et l’atteinte à l’économie nationale reprochées au Président Laurent Gbagbo ? Surtout que, selon le témoignage sonore d’un substitut de procureur sur les ondes de ONUCI FM, toutes ces infractions auraient été commises dans la période postélectorale ?
La volonté de tordre le coup au droit en donnant un sens qu’ils n’ont pas aux mots et aux dispositions législatives est manifeste. On en rirait si la vie du « bâtisseur de la démocratie ivoirienne » n’était en jeu. Car l’objectif non avoué est de refuser au Président Laurent Gbagbo un statut qui ne lui ferait pas bénéficier du privilège de juridiction, afin de faciliter sa condamnation. Non, M. le Procureur de la République, toute tentative d’interprétation qui chercherait à étendre la notion d’élection aux évènements postélectoraux parait vaine et ne saurait dès lors s’imposer. Vous n’y êtes donc toujours pas. Il n’y a pas d’autre alternative que de soumettre le Président Laurent Gbagbo à la procédure spéciale de la Haute Cour de Justice prévue par la Constitution, parce que les infractions qui lui sont reprochées ne peuvent qu’être rattachées à l’exercice de ses fonctions de Président de la République. « La loi est dure, mais c’est la loi ».
En effet, si l’on veut encore se placer sous l’empire du Droit, on ne peut dénier au Président Laurent Gbagbo sa qualité de Président de la République jusqu’à la date du 11 avril 2011. C’est bien le Conseil constitutionnel, seul organe compétent en la matière qui, après l’avoir proclamé vainqueur le 3 décembre 2010, lui a fait prêter serment par la suite. D’ailleurs, dans une lettre adressée à M. Ouattara le 8 décembre 2010, le Président du Conseil constitutionnel, tout en invoquant les exigences de notre Constitution, invalidait sa ridicule prestation de serment faite par écrit au début du mois de décembre. Il lui rappelait en effet que « seul le Président élu à l’issue du scrutin du 28 novembre 2010, en l’occurrence Monsieur Gbagbo Laurent, est habilité à prêter serment. La cérémonie de prestation de serment s’est déroulée le samedi 4 décembre 2010, au Palais présidentiel devant le Conseil constitutionnel, réuni en audience solennelle ».
Qu’est ce qui fonde donc les procureurs de M. Ouattara à faire fi de ce pan de notre histoire récente et à refuser de tirer les conséquences de la prestation de serment du Président Laurent Gbagbo qui le consacre Président de la République? Pourquoi et sur quel fondement juridique pertinent feignent-ils de n’accorder du crédit qu’à la prestation de serment de M. Ouattara intervenue le 6 mai 2011 devant un Conseil constitutionnel amputé de deux de ses membres qui avaient refusé de siéger afin ne pas cautionner l’imposture ? M. Ouattara aurait-il demandé inutilement au Conseil constitutionnel de procéder à cet acte s’il ne l’avait pas jugé indispensable ?
Mais comme le constate Joseph Marat, « le scandale ne choque plus ». Et l’Association pour la Protection des Droits de l’Homme a beau crier « Haro sur l’Etat de non droit », « les orifices auditifs » (Me Ly) des décideurs du moment semblent bouchés, tant ne cesse de s’allonger la litanie des dénis de justice dans notre pays : des enquêtes toutes tournées vers un seul camp ; des assignations à résidence sans fondement juridique ; des détentions arbitraires ; des chefs d’inculpation totalement fantaisistes ; un mépris total des procédures d’inculpation ; des conditions carcérales dignes du goulag et qui amènent à nous interroger sur le sens de la présomption d’innocence dans notre législation. Et le concert unanime des condamnations de cette cascade d’hérésie juridique ne semble pas émouvoir nos autorités qui, à l’occasion de chacun de leurs actes, nous confortent dans l’idée que la Côte d’Ivoire est devenue le pays de l’arbitraire. Oui, il n’y a plus d’Etat de droit quand ceux qui devraient être les gardiens de la règle de droit ne se sentent pas liés par elle, contrairement aux exigences du principe de légalité.
Les ivoiriens ne sont plus soumis au même traitement au plan du droit. Ils se voient appliqués un régime différencié tourné vers la punition des seuls « vaincus » et exonérant les « sauveurs », pourtant unanimement désignés par les organisations des droits de l’homme comme étant les vrais coupables ? Selon que vous êtes classé pro-Ouattara, la justice ivoirienne vous exonéra de tout. Exit le principe d’égalité devant la loi (article 2 de la Constitution).
Le Procureur de la République perçoit-il les dangers d’une justice aux œillères et d’’un Etat de non droit ? En plus de l’insécurité provoquée par la présence dans nos commissariats et gendarmeries, en lieu et place des policiers et gendarmes, de bandes armées pompeusement baptisées « forces républicaines » le recul du droit nous expose aux plus grandes incertitudes. Hamed Bakayoko, le ministre de l’intérieur ne croyait pas si bien dire récemment lorsqu’il affirmait que « les investisseurs attendent de voir le taux de rétrocession (de commissariats et de brigade de gendarmerie) avant de venir en Côte d’Ivoire parce que la sécurité est un indicateur important » Mais l’insécurité juridique créée par le refus des magistrats dont c’est la fonction, d’appliquer le droit est encore un mauvais signal à l’endroit des investisseurs qui ont besoin d’un système judiciaire équitable.
Au-delà des investisseurs, à l’endroit de la main d’œuvre, des ressources humaines que représente cette grande masse de citoyens, est-on entrain de donner le signal que la justice et les lois de la Côte d’Ivoire ne peuvent plus être le bras séculier sur lequel elle peut s’adosser pour ne pas subir la loi du plus fort ? Quelle alternative autre que les solutions du désespoir est-on entrain d’offrir aux citoyens ? Des forces ne nous poussent-elles pas inexorablement, méthodiquement et consciemment dans l’abîme ? Le triste spectacle d’un procureur de la République qui croit découvrir la poutre dans l’œil des autres et qui pourtant obstinément pratique au quotidien un déni de justice des plus vils, ne devrait pas nous laisser indifférents.
Kouakou Edmond
Docteur en droit, Consultant
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