Grégoire Lalieu
Le 1er mai 2011, quatre-vingt commandos des forces spéciales US exécutaient Oussama ben Laden dans sa tanière au Pakistan. Manifestations de joie à New-York lorsque Barack Obama a annoncé la mort du terroriste. « Justice a été faite » déclarait le président sur les antennes. Pourtant, certains responsables de la tragédie du 11 septembre courent toujours.
Des cadres dynamiques virevoltent gaiement sur le chemin du travail. Carpette sous le bras, une famille épanouie emménage dans une banlieue paisible et verdoyante alors qu’un gamin à bicyclette distribue les journaux avec entrain. Ailleurs, un jeune couple se jure fidélité sous le regard myope mais attendri de mère-grand. Et sous un soleil resplendissant, des citoyens de tous horizons, exaltés par l’ivresse patriotique, hissent la bannière étoilée, l’étendard de cette nation où tout peut réussir. « Le Jour se lève à nouveau sur l’Amérique. »
Après la tourmente des années 70, son choc pétrolier, sa crise économique, sa révolution iranienne et son invasion soviétique de l’Afghanistan, il fallait bien un slogan mielleux et un spot de campagne tout aussi sirupeux pour que le candidat Reagan rassure les citoyens des Etats-Unis.
Trente ans plus tard, des travailleurs sans-emploi s’agglutinent aux portes des bureaux de chômage. Les banlieues chatoyantes ont laissé place à desterrains vagues où s’amoncèlent les expropriés victimes des subprimes, sorte de bidonvilles où le bambin à bicyclette ne s’aventure pas pour distribuer les journaux.
Pourtant, avec l’annonce de la mort d’Oussama ben Laden, il semble que le jour se lève à nouveau sur l’Amérique. La foule amassée autour de Ground Zero parait empreinte de cette même euphorie béate qui animait les clichés sur pattes du clip reaganien. L’Axe du Bien a triomphé du mal incarné, l’ennemi public numéro un est mort et immergé.
Mais au risque de jouer les trouble-happy-end, il serait peut-être bon de souligner que la saga de la guerre contre le terrorisme ne peut se conclure avec la mort du méchant à la fin. En effet, pour certains responsables de cette tragédie moderne, justice n’a pas encore été faite. Pire, ils poursuivent tranquillement leur folie meurtrière du côté de la Maison Blanche et du Pentagone.
Les différentes vies de ben Laden
Il ne sera pas ici question de savoir si les attentats du 11 septembre sont une opération montée de toute pièce par la CIA. Certes, la version officielle comporte de nombreuses zones d’ombre qui alimentent le soupçon. Cependant, comme le remarquait Jean Bricmont sur notre site, organiser un tel attentat sous faux pavillon impliquerait un trop grand nombre de personnes à divers échelons des institutions US pour pouvoir garder le secret.
Difficile donc de faire la lumière sur les mystères du 11 septembre tout comme sur ceux qui planent autour de la mort de ben Laden. Selon un journal pakistanais, le célèbre terroriste aurait succombé à des complications pulmonaires en décembre 2001. Six ans plus tard, Benazir Bhutto, alors Première ministre du Pakistan, indiquait dans une interview que le célèbre terroriste était mort. Et aujourd’hui, Barack Obama nous annonce son exécution mais pas de cadavre donc pas de crime. Il faudrait simplement croire le président des Etats-Unis sur parole, ce qui demande un certain effort.
Mais finalement, le fait que ben Laden était vivant ou pas n’est pas le plus important. Tout comme le fait de savoir quel rôle a pu jouer l’administration Bush dans les attentats du 11 septembre. Certes, si conspiration il y a eu, il serait utile que la vérité éclate au grand jour. Mais si nous avions eu la preuve irréfutable que les attentats du World Trade Center avaient bien été commis par Al-Qaïda et uniquement par Al-Qaïda, qu’auraient fait les instigateurs du 11 septembre ? Se seraient-ils inclinés devant les campagnes guerrières du chevalier Bush ? Auraient-ils applaudi à l’invasion de l’Afghanistan ?
En fait, soit on adhère aux théories du complot et la responsabilité des autorités US est d’une infamie évidente. Soit on s’en tient à la version officielle, celle rapportée par les dirigeants politiques, matraquée par les médias de masse et largement répandue auprès de l’opinion publique. Or, dans ce deuxième cas, la responsabilité du gouvernement des Etats-Unis dans les attentats du 11 septembre prend une autre forme mais reste engagée. Il suffit de démystifier les diatribes sur le soi-disant choc des civilisations, replacer les événements dans leur contexte historique et analyser les enjeux tant du côté des attentats que de la guerre contre le terrorisme.
Il était une fois, le choc des civilisations
Depuis dix ans maintenant, dirigeants politiques, professionnels du storytelling et autres griots médiatiques nous content l’histoire de ce fanatique religieux parti en guerre contre les valeurs progressistes que représentent les Etats-Unis.
Le soir du 11 septembre 2001 déjà, le président Georges W. Bush jetait les bases de l’interprétation qui devait prévaloir : « Aujourd'hui, nos concitoyens, notre mode de vie, notre liberté même ont été attaqués dans une série d'actes terroristes meurtriers et délibérés. (…) L'Amérique a été visée parce que nous sommes la lanterne de la liberté et des opportunités dans le monde. Et personne n’empêchera cette lumière de briller. » Le président poursuivait sur une note religieuse : « Ce soir je vous demande de prier pour toutes les personnes affligées, pour les enfants dont le monde est brisé (…). Et je prie pour qu’ils soient soulagés par une puissance plus grande que nous dont nous parle le psaume 23 : “Bien que je marche dans la vallée de l'ombre de la mort, je ne crains aucun mal car tu es avec moi.” »
Le 20 septembre 2001, Georges W. Bush popularisait le concept du choc des civilisations sur les antennes de la planète : « Ce n'est cependant pas toutefois le combat de la seule Amérique. Ce qui est en jeu n'est pas seulement la liberté de l'Amérique. C'est le combat du monde entier. C'est le combat de la civilisation. C'est le combat de tous ceux qui croient au progrès et au pluralisme, à la tolérance et à la liberté. »
Presque dix ans plus tard, le 1er mai 2011, Barack Obama clôturait l’épopée dans la même veine, commentant l’exécution sommaire de ben Laden en ces termes : « Rappelons-nous que nous pouvons accomplir ces choses non pas seulement pour des raisons de richesse ou de puissance, mais à cause de ce que nous sommes : une seule nation bénie de Dieu, indivisible et vouée à la liberté et à la justice pour tous. »
A notre gauche donc, la lanterne des opportunités, l’Amérique libre, le monde civilisé qui récite des psaumes pour les enfants brisés. Et à notre droite ? Oussama ben Laden, le champion de l’obscurantisme, le barbare fanatique, le Dark Vador de l’islam, qui hait l’Occident parce que l’Occident est l’Occident.
Le problème est que cette version des faits qu’on nous a servie ne correspond pas à la réalité. Oussama ben Laden était-il un terroriste coupable d’actes ignobles ? Bien-sûr. A-t-il agi parce que l’American Way of Life lui était insupportable ? Certainement pas.
L’ennemi public numéro un
Oussama ben Laden est issu d’une des familles les plus fortunées d’Arabie saoudite. Au début des années 80, avec l’appui indirect de la CIA et des services de renseignements saoudiens, il participe au recrutement de moudjahidines pour combattre les troupes soviétiques en Afghanistan. L’opération est un succès : les Etats-Unis voulaient offrir à l’URSS son Viêt-Nam et, après dix ans de combats stériles et dispendieux, Moscou retire ses soldats du bourbier afghan.
Kalachnikov sous le bras, ben Laden retourne alors en Arabie saoudite où la tension est palpable. En effet, Saddam Hussein, criblé de dettes suite à la guerre contre l’Iran, a envahi le Koweït. Le petit émirat pétrolier est l’un des plus importants créanciers de l’Irak. L’autre grand bailleur de fonds de Saddam, c’est l’Arabie saoudite.
Ben Laden propose alors aux dirigeants saoudiens de lever une armée pour combattre les soldats irakiens qui portent la menace aux frontières du royaume. Les Saoud refusent mais autorisent l’armée US à stationner en Arabie saoudite dans le cadre de l’opération Tempête du Désert. En réalité, le risque d’une attaque irakienne est très faible. Par contre, en récupérant le Koweït (que les colonialistes britanniques lui avaient enlevé), l’Irak deviendrait le premier producteur de pétrole au monde. Ni l’Arabie saoudite, ni les Etats-Unis ne peuvent l’accepter.
La présence de soldats US sur le sol saoudien soulève une vague de protestations dans le royaume : la population apprécie très peu que des boots infidèles viennent souiller les terres saintes de l’islam. Beaucoup de citoyens ne comprennent pas non plus pourquoi le régime est incapable de se défendre seul alors qu’il a dépensé sans compter ses pétrodollars dans l’achat de matériel militaire. De son côté, Oussama ben Laden est furieux, dénonce la corruption du régime et les sanctions imposées à l’Irak qui causent des milliers de victimes.
Comme le souligne Mohamed Hassan dans Comprendre le monde musulman, un livre d’entretiens à paraître en septembre 2011 chez Investig’Action, ben Laden est un homme pieux qui utilise la religion pour mobiliser les masses et confronter la famille royale. Il demande, par exemple, pourquoi le pays n’a pas de Constitution alors que le prophète Mahomet en a établi une à Médine définissant des droits égaux pour les musulmans, les chrétiens et les juifs. En opposition à cette famille royale totalement dépendante du soutien des Etats-Unis, le riche ben Laden représente en fait un courant de la bourgeoisie nationale saoudienne qui exige des réformes politiques et plus d’indépendance pour le pays.
Dans les années 90, l’ancien recruteur de moudjahidines engage des actions terroristes contre les dirigeants saoudiens avant de s’en prendre directement à la puissance qui les supporte : en 1996, Oussama ben Laden lance un appel à attaquer les intérêts US partout dans le monde.
Il est intéressant de noter qu’au-delà de l’aspect religieux, les actions menées par ben Laden comportent une dimension politique. Le terroriste dénonce les visées hégémoniques des Etats-Unis dans le monde musulman, fustige le soutien de Washington aux régimes tyranniques et condamnent les pressions exercées pour maintenir le pétrole à bas prix. Ben Laden trouve ainsi un écho favorable auprès d’une partie des masses dans certains pays musulmans, qui considère le milliardaire terroriste comme une espèce de Robin des bois. C’est ce que relève dans plusieurs ouvrages Michael Scheuer, un ancien officier de la CIA chargé du dossier ben Laden durant près d’une dizaine d’années et qui remit son tablier en 2004 pour marquer son désaccord avec les méthodes employées par l’administration Bush dans la lutte contre le terrorisme.
Scheuer explique que ben Laden n’est pas un terroriste aveuglé par le fanatisme religieux qui attaque les Etats-Unis parce que les valeurs occidentales sont contraires à celles de l’islam. Le spécialiste de la CIA précise au contraire que ben Laden mène un djihad défensif en réaction à la politique guerrière menée par Washington dans le monde musulman. C’est n’est pas un islamiste radical qui le dit, ni un militant atteint d’anti-américanisme primaire et encore moins un pourfendeur de l’impérialisme « yankee ». Juste quelqu’un qui connait bien son sujet.
On ne peut pas non plus soupçonner Scheuer d’être tombé sous l’emprise d’une fascination malsaine pour l’homme qu’il a étudié de nombreuses années : l’officier de la CIA regrette que le président Clinton n’ait pas fait liquider ben Laden dans les années 90, lorsque c’était possible.
Combattre le terrorisme par le terrorisme ?
Visiblement, l’analyse de Michael Scheuer n’a pourtant eu que peu d’impact sur les décisions de l’administration Bush. Le soir du 11 septembre, le président des Etats-Unis aurait pourtant pu s’adresser en ces termes à la nation : « Nos hommes ont rapidement identifié les auteurs des attentats qui ont frappé notre pays aujourd’hui. Il s’agit d’une organisation islamiste dirigée par un saoudien du nom d’Oussama ben Laden. Je me suis entretenu avec la personne qui, au sein de nos services de renseignements, suit les agissements de ce dangereux terroriste depuis des années. C’est notre meilleur spécialiste sur le sujet, le genre de type qui, chaque matin, en buvant son café, fixe intensément la photo du criminel pour tenter de comprendre sa manière de fonctionner. Eh bien, figurez-vous que ces terroristes sont motivés par un profond ressentiment à l’égard de notre politique de domination au Moyen-Orient. Le temps est venu pour l’Amérique de bâtir des relations plus respectueuses avec le reste de la planète. Nous ne pouvons imposer notre leadership par la force sans nous faire des ennemis. Nous en payons le prix aujourd’hui mais cela va changer. Par ailleurs, nous allons tout mettre en œuvre pour arrêter et juger les criminels qui nous ont attaqués. Je suis en contact avec les autorités d’Afghanistan où ben Laden est caché. Le gouvernement afghan attend que nous fournissions les preuves de la culpabilité de ben Laden pour le livrer à la justice. Nous allons fournir ces preuves le plus rapidement possible. Dieu bénisse l’Amérique. »
Evidemment, Georges W. Bush n’a jamais prononcé un tel discours. Il a parlé de lanternes et de combat du Bien contre le Mal. En octobre 2001, il engageait les Etats-Unis et les forces de l’OTAN dans une guerre contre l’Afghanistan. Alors que les Talibans s’étaient vraiment dits prêts à négocier la livraison de ben Laden. Et alors que les raisons qui avaient poussé Al-Qaïda à commettre des attentats étaient justement liées à la politique guerrière menée par les Etats-Unis dans les pays musulmans. Au lieu d’attaquer le problème à la racine, Georges W. Bush jetait donc de l’huile sur le feu. Comme si cela n’était pas suffisant, en mars 2003, le président des Etats-Unis lançait une nouvelle attaque contre l’Irak, prétextant des liens entretenus par Saddam Hussein avec Al-Qaïda.
Quel est le bilan de cette guerre contre le terrorisme ? En Afghanistan, des milliers de civils ont été tués, les divisions ethniques ont été exacerbées et ont plongé le pays dans le chaos, l’économie et de nombreuses infrastructures ont été détruites mais le commerce de l’opium a connu un regain d’activité intense avec l’aide de la CIA (plus de 60% de l’héroïne vendue dans le monde viendrait d’Afghanistan, contre 0% du temps des Talibans). Enfin, Washington a placé Hamid Karzaï à la tête du pays. Ce président n’a aucune base sociale en Afghanistan mais est parvenu à se faire réélire dans le silence et la fraude en 2009.
Pour l’Irak, sur base d’une étude du journal médical « The Lancet » , on estime que plus d’un million de vies ont déjà été arrachées, sans compter les victimes de la première guerre du Golfe et de l’embargo meurtrier imposé à ce pays durant une douzaine d’années. A l’instar de l’Afghanistan, l’Irak est plongé dans le chaos. La politique d’occupation des Etats-Unis a ravivé les tensions confessionnelles. En 2010, Dirk Adriaensens du BRussels Tribunal dressait un bilan de l’invasion de l’Irak et apportait ces quelques chiffres : « Depuis 1990, début du régime de sanctions imposé par l’ONU, le taux de mortalité infantile a augmenté de 150% en Irak. (…) En 2007, les statistiques gouvernementales officielles dénombraient 5 millions d’orphelins en Irak. Plus de 2 millions d’Irakiens sont réfugiés hors du pays et près de 3 millions sont réfugiés (ou déplacés) à l’intérieur du pays. 70% des Irakiens n’ont plus accès à l’eau potable. Le nombre de chômeurs (sans indemnités) atteint officiellement les 50%, il est de 70% officieusement. (…) 4 millions d’Irakiens sont sous-alimentés et ont un urgent besoin d’assistance humanitaire. 80% des Irakiens ne disposent plus d’aucun système sanitaire (égouts et eaux usées) »
L’enjeu de la guerre contre le terrorisme : remodeler le Moyen-Orient
L’administration Bush baignait-elle donc dans l’inconscience la plus totale lorsqu’elle s’est engagée dans cette guerre contre le terrorisme ? Pourquoi aggraver le problème plutôt que de chercher à la résoudre ? Difficile de répondre si on s’en tient aux discours idéologiques des autorités US. La vérité se trouve au-delà des mots, dans les intérêts objectifs qu’avaient les faucons de Washington à intervenir militairement en Asie centrale et au Moyen-Orient.
Après la chute du bloc soviétique en 1991, les Etats-Unis voyaient s’effondrer leur principal concurrent et prenaient le leadership mondial. Maintenir une telle position nécessite de se renforcer et d’empêcher les autres concurrents de vous rattraper. C’est pour remplir cet objectif que les néoconservateurs de l’administration Bush ont développé le concept du Grand Moyen-Orient : un remodelage de l’espace s’étendant du Maghreb au Pakistan en passant par la péninsule arabique. Officiellement, il s’agit de promouvoir la démocratie et d’aider ces pays à s’insérer dans l’économie mondiale. En réalité, ce projet était déjà étudié bien avant les attentats du 11 septembre. L’objectif ? Mettre au pas les régimes récalcitrants de la région pour contrôler ce vaste espace stratégique et riche en matières premières, notamment en pétrole et en gaz. En effet, à travers le contrôle des ressources énergétiques, c’est le développement de ses concurrents économiques que Washington peut contrôler : Chine, Inde, Brésil, etc.
D’ailleurs, si les Etats-Unis n’avaient pas rencontré une telle résistance tant en Irak qu’en Afghanistan, l’Iran aurait probablement été la prochaine cible. Il est intéressant de noter sur ce point que les campagnes militaires ont été un véritable fiasco pour les néoconservateurs. Le remodelage du Grand Moyen-Orient se révèle être un gribouillage géopolitique dont les Etats-Unis n’ont pu tirer de véritable bénéfices. Au contraire, la guerre contre le terrorisme a ruiné l’économie US, ce qui constitue une victoire pour Al-Qaïda. En effet, Michael Scheuer souligne dans Imperial Hubris que l’organisation terroriste avait décidé d’attaquer son ennemi à son centre de gravité : l’économie.
Le gouvernement des Etats-Unis se soucient-ils de la sécurité de ses citoyens ?
La guerre contre le terrorisme n’était donc qu’un prétexte pour rencontrer des objectifs stratégiques et économiques. Evidemment, il faut présenter à l’opinion publique un raison valable pour partir en guerre et envoyer des tas de jeunes au casse-pipe. Les attentats d’Al-Qaïda ont offert le mobile rêvé. Peu importe si l’invasion de l’Afghanistan n’était pas nécessaire pour capturer ben Laden. Peu importe si Saddam Hussein n’entretenait aucune relation avec Al-Qaïda. Les esprits étaient chauffés à blanc et prêts à s’engager dans la croisade du Bien contre le Mal.
Pourtant, les citoyens qui ont poussé des cris de joie lorsque Barack Obama a annoncé la mort de ben Laden, devraient se poser quelques questions aujourd’hui. Si le chef d’Al-Qaïda est bien mort, le gouvernement des Etats-Unis n’a pas montré le moindre signe de remise en question de cette politique dévastatrice qui avait servi de terreau à l’islamisme radical : coups d’Etat, agressions militaires, violations du droit international, utilisation de bombes au phosphore blanc ou à l’uranium appauvri, financement d’organisations terroristes et de régimes dictatoriaux, pillage des richesses… Les dirigeants US ont poursuivi leurs crimes en toute impunité.
On ne pourrait justifier d’aucune manière les actes terroristes de ben Laden. En revanche, on peut tenter d’en comprendre les fondements pour éviter que des tragédies semblables aux attentats du 11 septembre ne se reproduisent. Cette démarche nous renvoie inévitablement à la politique étrangère menée par les Etats-Unis. Or, non seulement les dirigeants US n’ont pas tenté d’enrayer le phénomène, mais ils l’ont gracieusement alimenté en déclenchant de nouvelles guerres.
Les citoyens des Etats-Unis doivent comprendre que leur gouvernement se soucie très peu de leur sécurité. Les terroristes de la Maison Blanche répondent à des intérêts économiques qui sont contraires à ceux du peuple.
Le chef d’Al-Qaïda est mort mais peut-être que le prochain ben Laden sera l’un des ces 5 millions d’orphelins qui errent en Irak, ou bien un Afghan qui aura vu ses parents tués par les drones de l’armée US. Il pourrait venir d’Indonésie où la répression du dictateur Suharto, soutenu par les Etats-Unis, a provoqué 1,2 millions de morts. Il sera peut-être somalien ou chilien. Les Etats-Unis maintiennent le pays du premier dans le chaos depuis dix ans. Et ils ont renversé le président démocratiquement élu du second en 1973 pour installer la dictature sanglante du général Pinochet.
Bref, des ben Laden pourraient voir le jour aux quatre coins de la planète, partout où les Etats-Unis ont semé la désolation. Les intérêts des multinationales ne sont pas favorables à la paix dans le monde ni à la sécurité des citoyens, qu’ils soient de New-York, Bagdad ou Santiago. Pour ces terroristes aussi, il est nécessaire que justice soit rendue. Celle des tribunaux et non celle des exécutions sans procès.
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Investig'Action
Le 1er mai 2011, quatre-vingt commandos des forces spéciales US exécutaient Oussama ben Laden dans sa tanière au Pakistan. Manifestations de joie à New-York lorsque Barack Obama a annoncé la mort du terroriste. « Justice a été faite » déclarait le président sur les antennes. Pourtant, certains responsables de la tragédie du 11 septembre courent toujours.
Des cadres dynamiques virevoltent gaiement sur le chemin du travail. Carpette sous le bras, une famille épanouie emménage dans une banlieue paisible et verdoyante alors qu’un gamin à bicyclette distribue les journaux avec entrain. Ailleurs, un jeune couple se jure fidélité sous le regard myope mais attendri de mère-grand. Et sous un soleil resplendissant, des citoyens de tous horizons, exaltés par l’ivresse patriotique, hissent la bannière étoilée, l’étendard de cette nation où tout peut réussir. « Le Jour se lève à nouveau sur l’Amérique. »
Après la tourmente des années 70, son choc pétrolier, sa crise économique, sa révolution iranienne et son invasion soviétique de l’Afghanistan, il fallait bien un slogan mielleux et un spot de campagne tout aussi sirupeux pour que le candidat Reagan rassure les citoyens des Etats-Unis.
Trente ans plus tard, des travailleurs sans-emploi s’agglutinent aux portes des bureaux de chômage. Les banlieues chatoyantes ont laissé place à desterrains vagues où s’amoncèlent les expropriés victimes des subprimes, sorte de bidonvilles où le bambin à bicyclette ne s’aventure pas pour distribuer les journaux.
Pourtant, avec l’annonce de la mort d’Oussama ben Laden, il semble que le jour se lève à nouveau sur l’Amérique. La foule amassée autour de Ground Zero parait empreinte de cette même euphorie béate qui animait les clichés sur pattes du clip reaganien. L’Axe du Bien a triomphé du mal incarné, l’ennemi public numéro un est mort et immergé.
Mais au risque de jouer les trouble-happy-end, il serait peut-être bon de souligner que la saga de la guerre contre le terrorisme ne peut se conclure avec la mort du méchant à la fin. En effet, pour certains responsables de cette tragédie moderne, justice n’a pas encore été faite. Pire, ils poursuivent tranquillement leur folie meurtrière du côté de la Maison Blanche et du Pentagone.
Les différentes vies de ben Laden
Il ne sera pas ici question de savoir si les attentats du 11 septembre sont une opération montée de toute pièce par la CIA. Certes, la version officielle comporte de nombreuses zones d’ombre qui alimentent le soupçon. Cependant, comme le remarquait Jean Bricmont sur notre site, organiser un tel attentat sous faux pavillon impliquerait un trop grand nombre de personnes à divers échelons des institutions US pour pouvoir garder le secret.
Difficile donc de faire la lumière sur les mystères du 11 septembre tout comme sur ceux qui planent autour de la mort de ben Laden. Selon un journal pakistanais, le célèbre terroriste aurait succombé à des complications pulmonaires en décembre 2001. Six ans plus tard, Benazir Bhutto, alors Première ministre du Pakistan, indiquait dans une interview que le célèbre terroriste était mort. Et aujourd’hui, Barack Obama nous annonce son exécution mais pas de cadavre donc pas de crime. Il faudrait simplement croire le président des Etats-Unis sur parole, ce qui demande un certain effort.
Mais finalement, le fait que ben Laden était vivant ou pas n’est pas le plus important. Tout comme le fait de savoir quel rôle a pu jouer l’administration Bush dans les attentats du 11 septembre. Certes, si conspiration il y a eu, il serait utile que la vérité éclate au grand jour. Mais si nous avions eu la preuve irréfutable que les attentats du World Trade Center avaient bien été commis par Al-Qaïda et uniquement par Al-Qaïda, qu’auraient fait les instigateurs du 11 septembre ? Se seraient-ils inclinés devant les campagnes guerrières du chevalier Bush ? Auraient-ils applaudi à l’invasion de l’Afghanistan ?
En fait, soit on adhère aux théories du complot et la responsabilité des autorités US est d’une infamie évidente. Soit on s’en tient à la version officielle, celle rapportée par les dirigeants politiques, matraquée par les médias de masse et largement répandue auprès de l’opinion publique. Or, dans ce deuxième cas, la responsabilité du gouvernement des Etats-Unis dans les attentats du 11 septembre prend une autre forme mais reste engagée. Il suffit de démystifier les diatribes sur le soi-disant choc des civilisations, replacer les événements dans leur contexte historique et analyser les enjeux tant du côté des attentats que de la guerre contre le terrorisme.
Il était une fois, le choc des civilisations
Depuis dix ans maintenant, dirigeants politiques, professionnels du storytelling et autres griots médiatiques nous content l’histoire de ce fanatique religieux parti en guerre contre les valeurs progressistes que représentent les Etats-Unis.
Le soir du 11 septembre 2001 déjà, le président Georges W. Bush jetait les bases de l’interprétation qui devait prévaloir : « Aujourd'hui, nos concitoyens, notre mode de vie, notre liberté même ont été attaqués dans une série d'actes terroristes meurtriers et délibérés. (…) L'Amérique a été visée parce que nous sommes la lanterne de la liberté et des opportunités dans le monde. Et personne n’empêchera cette lumière de briller. » Le président poursuivait sur une note religieuse : « Ce soir je vous demande de prier pour toutes les personnes affligées, pour les enfants dont le monde est brisé (…). Et je prie pour qu’ils soient soulagés par une puissance plus grande que nous dont nous parle le psaume 23 : “Bien que je marche dans la vallée de l'ombre de la mort, je ne crains aucun mal car tu es avec moi.” »
Le 20 septembre 2001, Georges W. Bush popularisait le concept du choc des civilisations sur les antennes de la planète : « Ce n'est cependant pas toutefois le combat de la seule Amérique. Ce qui est en jeu n'est pas seulement la liberté de l'Amérique. C'est le combat du monde entier. C'est le combat de la civilisation. C'est le combat de tous ceux qui croient au progrès et au pluralisme, à la tolérance et à la liberté. »
Presque dix ans plus tard, le 1er mai 2011, Barack Obama clôturait l’épopée dans la même veine, commentant l’exécution sommaire de ben Laden en ces termes : « Rappelons-nous que nous pouvons accomplir ces choses non pas seulement pour des raisons de richesse ou de puissance, mais à cause de ce que nous sommes : une seule nation bénie de Dieu, indivisible et vouée à la liberté et à la justice pour tous. »
A notre gauche donc, la lanterne des opportunités, l’Amérique libre, le monde civilisé qui récite des psaumes pour les enfants brisés. Et à notre droite ? Oussama ben Laden, le champion de l’obscurantisme, le barbare fanatique, le Dark Vador de l’islam, qui hait l’Occident parce que l’Occident est l’Occident.
Le problème est que cette version des faits qu’on nous a servie ne correspond pas à la réalité. Oussama ben Laden était-il un terroriste coupable d’actes ignobles ? Bien-sûr. A-t-il agi parce que l’American Way of Life lui était insupportable ? Certainement pas.
L’ennemi public numéro un
Oussama ben Laden est issu d’une des familles les plus fortunées d’Arabie saoudite. Au début des années 80, avec l’appui indirect de la CIA et des services de renseignements saoudiens, il participe au recrutement de moudjahidines pour combattre les troupes soviétiques en Afghanistan. L’opération est un succès : les Etats-Unis voulaient offrir à l’URSS son Viêt-Nam et, après dix ans de combats stériles et dispendieux, Moscou retire ses soldats du bourbier afghan.
Kalachnikov sous le bras, ben Laden retourne alors en Arabie saoudite où la tension est palpable. En effet, Saddam Hussein, criblé de dettes suite à la guerre contre l’Iran, a envahi le Koweït. Le petit émirat pétrolier est l’un des plus importants créanciers de l’Irak. L’autre grand bailleur de fonds de Saddam, c’est l’Arabie saoudite.
Ben Laden propose alors aux dirigeants saoudiens de lever une armée pour combattre les soldats irakiens qui portent la menace aux frontières du royaume. Les Saoud refusent mais autorisent l’armée US à stationner en Arabie saoudite dans le cadre de l’opération Tempête du Désert. En réalité, le risque d’une attaque irakienne est très faible. Par contre, en récupérant le Koweït (que les colonialistes britanniques lui avaient enlevé), l’Irak deviendrait le premier producteur de pétrole au monde. Ni l’Arabie saoudite, ni les Etats-Unis ne peuvent l’accepter.
La présence de soldats US sur le sol saoudien soulève une vague de protestations dans le royaume : la population apprécie très peu que des boots infidèles viennent souiller les terres saintes de l’islam. Beaucoup de citoyens ne comprennent pas non plus pourquoi le régime est incapable de se défendre seul alors qu’il a dépensé sans compter ses pétrodollars dans l’achat de matériel militaire. De son côté, Oussama ben Laden est furieux, dénonce la corruption du régime et les sanctions imposées à l’Irak qui causent des milliers de victimes.
Comme le souligne Mohamed Hassan dans Comprendre le monde musulman, un livre d’entretiens à paraître en septembre 2011 chez Investig’Action, ben Laden est un homme pieux qui utilise la religion pour mobiliser les masses et confronter la famille royale. Il demande, par exemple, pourquoi le pays n’a pas de Constitution alors que le prophète Mahomet en a établi une à Médine définissant des droits égaux pour les musulmans, les chrétiens et les juifs. En opposition à cette famille royale totalement dépendante du soutien des Etats-Unis, le riche ben Laden représente en fait un courant de la bourgeoisie nationale saoudienne qui exige des réformes politiques et plus d’indépendance pour le pays.
Dans les années 90, l’ancien recruteur de moudjahidines engage des actions terroristes contre les dirigeants saoudiens avant de s’en prendre directement à la puissance qui les supporte : en 1996, Oussama ben Laden lance un appel à attaquer les intérêts US partout dans le monde.
Il est intéressant de noter qu’au-delà de l’aspect religieux, les actions menées par ben Laden comportent une dimension politique. Le terroriste dénonce les visées hégémoniques des Etats-Unis dans le monde musulman, fustige le soutien de Washington aux régimes tyranniques et condamnent les pressions exercées pour maintenir le pétrole à bas prix. Ben Laden trouve ainsi un écho favorable auprès d’une partie des masses dans certains pays musulmans, qui considère le milliardaire terroriste comme une espèce de Robin des bois. C’est ce que relève dans plusieurs ouvrages Michael Scheuer, un ancien officier de la CIA chargé du dossier ben Laden durant près d’une dizaine d’années et qui remit son tablier en 2004 pour marquer son désaccord avec les méthodes employées par l’administration Bush dans la lutte contre le terrorisme.
Scheuer explique que ben Laden n’est pas un terroriste aveuglé par le fanatisme religieux qui attaque les Etats-Unis parce que les valeurs occidentales sont contraires à celles de l’islam. Le spécialiste de la CIA précise au contraire que ben Laden mène un djihad défensif en réaction à la politique guerrière menée par Washington dans le monde musulman. C’est n’est pas un islamiste radical qui le dit, ni un militant atteint d’anti-américanisme primaire et encore moins un pourfendeur de l’impérialisme « yankee ». Juste quelqu’un qui connait bien son sujet.
On ne peut pas non plus soupçonner Scheuer d’être tombé sous l’emprise d’une fascination malsaine pour l’homme qu’il a étudié de nombreuses années : l’officier de la CIA regrette que le président Clinton n’ait pas fait liquider ben Laden dans les années 90, lorsque c’était possible.
Combattre le terrorisme par le terrorisme ?
Visiblement, l’analyse de Michael Scheuer n’a pourtant eu que peu d’impact sur les décisions de l’administration Bush. Le soir du 11 septembre, le président des Etats-Unis aurait pourtant pu s’adresser en ces termes à la nation : « Nos hommes ont rapidement identifié les auteurs des attentats qui ont frappé notre pays aujourd’hui. Il s’agit d’une organisation islamiste dirigée par un saoudien du nom d’Oussama ben Laden. Je me suis entretenu avec la personne qui, au sein de nos services de renseignements, suit les agissements de ce dangereux terroriste depuis des années. C’est notre meilleur spécialiste sur le sujet, le genre de type qui, chaque matin, en buvant son café, fixe intensément la photo du criminel pour tenter de comprendre sa manière de fonctionner. Eh bien, figurez-vous que ces terroristes sont motivés par un profond ressentiment à l’égard de notre politique de domination au Moyen-Orient. Le temps est venu pour l’Amérique de bâtir des relations plus respectueuses avec le reste de la planète. Nous ne pouvons imposer notre leadership par la force sans nous faire des ennemis. Nous en payons le prix aujourd’hui mais cela va changer. Par ailleurs, nous allons tout mettre en œuvre pour arrêter et juger les criminels qui nous ont attaqués. Je suis en contact avec les autorités d’Afghanistan où ben Laden est caché. Le gouvernement afghan attend que nous fournissions les preuves de la culpabilité de ben Laden pour le livrer à la justice. Nous allons fournir ces preuves le plus rapidement possible. Dieu bénisse l’Amérique. »
Evidemment, Georges W. Bush n’a jamais prononcé un tel discours. Il a parlé de lanternes et de combat du Bien contre le Mal. En octobre 2001, il engageait les Etats-Unis et les forces de l’OTAN dans une guerre contre l’Afghanistan. Alors que les Talibans s’étaient vraiment dits prêts à négocier la livraison de ben Laden. Et alors que les raisons qui avaient poussé Al-Qaïda à commettre des attentats étaient justement liées à la politique guerrière menée par les Etats-Unis dans les pays musulmans. Au lieu d’attaquer le problème à la racine, Georges W. Bush jetait donc de l’huile sur le feu. Comme si cela n’était pas suffisant, en mars 2003, le président des Etats-Unis lançait une nouvelle attaque contre l’Irak, prétextant des liens entretenus par Saddam Hussein avec Al-Qaïda.
Quel est le bilan de cette guerre contre le terrorisme ? En Afghanistan, des milliers de civils ont été tués, les divisions ethniques ont été exacerbées et ont plongé le pays dans le chaos, l’économie et de nombreuses infrastructures ont été détruites mais le commerce de l’opium a connu un regain d’activité intense avec l’aide de la CIA (plus de 60% de l’héroïne vendue dans le monde viendrait d’Afghanistan, contre 0% du temps des Talibans). Enfin, Washington a placé Hamid Karzaï à la tête du pays. Ce président n’a aucune base sociale en Afghanistan mais est parvenu à se faire réélire dans le silence et la fraude en 2009.
Pour l’Irak, sur base d’une étude du journal médical « The Lancet » , on estime que plus d’un million de vies ont déjà été arrachées, sans compter les victimes de la première guerre du Golfe et de l’embargo meurtrier imposé à ce pays durant une douzaine d’années. A l’instar de l’Afghanistan, l’Irak est plongé dans le chaos. La politique d’occupation des Etats-Unis a ravivé les tensions confessionnelles. En 2010, Dirk Adriaensens du BRussels Tribunal dressait un bilan de l’invasion de l’Irak et apportait ces quelques chiffres : « Depuis 1990, début du régime de sanctions imposé par l’ONU, le taux de mortalité infantile a augmenté de 150% en Irak. (…) En 2007, les statistiques gouvernementales officielles dénombraient 5 millions d’orphelins en Irak. Plus de 2 millions d’Irakiens sont réfugiés hors du pays et près de 3 millions sont réfugiés (ou déplacés) à l’intérieur du pays. 70% des Irakiens n’ont plus accès à l’eau potable. Le nombre de chômeurs (sans indemnités) atteint officiellement les 50%, il est de 70% officieusement. (…) 4 millions d’Irakiens sont sous-alimentés et ont un urgent besoin d’assistance humanitaire. 80% des Irakiens ne disposent plus d’aucun système sanitaire (égouts et eaux usées) »
L’enjeu de la guerre contre le terrorisme : remodeler le Moyen-Orient
L’administration Bush baignait-elle donc dans l’inconscience la plus totale lorsqu’elle s’est engagée dans cette guerre contre le terrorisme ? Pourquoi aggraver le problème plutôt que de chercher à la résoudre ? Difficile de répondre si on s’en tient aux discours idéologiques des autorités US. La vérité se trouve au-delà des mots, dans les intérêts objectifs qu’avaient les faucons de Washington à intervenir militairement en Asie centrale et au Moyen-Orient.
Après la chute du bloc soviétique en 1991, les Etats-Unis voyaient s’effondrer leur principal concurrent et prenaient le leadership mondial. Maintenir une telle position nécessite de se renforcer et d’empêcher les autres concurrents de vous rattraper. C’est pour remplir cet objectif que les néoconservateurs de l’administration Bush ont développé le concept du Grand Moyen-Orient : un remodelage de l’espace s’étendant du Maghreb au Pakistan en passant par la péninsule arabique. Officiellement, il s’agit de promouvoir la démocratie et d’aider ces pays à s’insérer dans l’économie mondiale. En réalité, ce projet était déjà étudié bien avant les attentats du 11 septembre. L’objectif ? Mettre au pas les régimes récalcitrants de la région pour contrôler ce vaste espace stratégique et riche en matières premières, notamment en pétrole et en gaz. En effet, à travers le contrôle des ressources énergétiques, c’est le développement de ses concurrents économiques que Washington peut contrôler : Chine, Inde, Brésil, etc.
D’ailleurs, si les Etats-Unis n’avaient pas rencontré une telle résistance tant en Irak qu’en Afghanistan, l’Iran aurait probablement été la prochaine cible. Il est intéressant de noter sur ce point que les campagnes militaires ont été un véritable fiasco pour les néoconservateurs. Le remodelage du Grand Moyen-Orient se révèle être un gribouillage géopolitique dont les Etats-Unis n’ont pu tirer de véritable bénéfices. Au contraire, la guerre contre le terrorisme a ruiné l’économie US, ce qui constitue une victoire pour Al-Qaïda. En effet, Michael Scheuer souligne dans Imperial Hubris que l’organisation terroriste avait décidé d’attaquer son ennemi à son centre de gravité : l’économie.
Le gouvernement des Etats-Unis se soucient-ils de la sécurité de ses citoyens ?
La guerre contre le terrorisme n’était donc qu’un prétexte pour rencontrer des objectifs stratégiques et économiques. Evidemment, il faut présenter à l’opinion publique un raison valable pour partir en guerre et envoyer des tas de jeunes au casse-pipe. Les attentats d’Al-Qaïda ont offert le mobile rêvé. Peu importe si l’invasion de l’Afghanistan n’était pas nécessaire pour capturer ben Laden. Peu importe si Saddam Hussein n’entretenait aucune relation avec Al-Qaïda. Les esprits étaient chauffés à blanc et prêts à s’engager dans la croisade du Bien contre le Mal.
Pourtant, les citoyens qui ont poussé des cris de joie lorsque Barack Obama a annoncé la mort de ben Laden, devraient se poser quelques questions aujourd’hui. Si le chef d’Al-Qaïda est bien mort, le gouvernement des Etats-Unis n’a pas montré le moindre signe de remise en question de cette politique dévastatrice qui avait servi de terreau à l’islamisme radical : coups d’Etat, agressions militaires, violations du droit international, utilisation de bombes au phosphore blanc ou à l’uranium appauvri, financement d’organisations terroristes et de régimes dictatoriaux, pillage des richesses… Les dirigeants US ont poursuivi leurs crimes en toute impunité.
On ne pourrait justifier d’aucune manière les actes terroristes de ben Laden. En revanche, on peut tenter d’en comprendre les fondements pour éviter que des tragédies semblables aux attentats du 11 septembre ne se reproduisent. Cette démarche nous renvoie inévitablement à la politique étrangère menée par les Etats-Unis. Or, non seulement les dirigeants US n’ont pas tenté d’enrayer le phénomène, mais ils l’ont gracieusement alimenté en déclenchant de nouvelles guerres.
Les citoyens des Etats-Unis doivent comprendre que leur gouvernement se soucie très peu de leur sécurité. Les terroristes de la Maison Blanche répondent à des intérêts économiques qui sont contraires à ceux du peuple.
Le chef d’Al-Qaïda est mort mais peut-être que le prochain ben Laden sera l’un des ces 5 millions d’orphelins qui errent en Irak, ou bien un Afghan qui aura vu ses parents tués par les drones de l’armée US. Il pourrait venir d’Indonésie où la répression du dictateur Suharto, soutenu par les Etats-Unis, a provoqué 1,2 millions de morts. Il sera peut-être somalien ou chilien. Les Etats-Unis maintiennent le pays du premier dans le chaos depuis dix ans. Et ils ont renversé le président démocratiquement élu du second en 1973 pour installer la dictature sanglante du général Pinochet.
Bref, des ben Laden pourraient voir le jour aux quatre coins de la planète, partout où les Etats-Unis ont semé la désolation. Les intérêts des multinationales ne sont pas favorables à la paix dans le monde ni à la sécurité des citoyens, qu’ils soient de New-York, Bagdad ou Santiago. Pour ces terroristes aussi, il est nécessaire que justice soit rendue. Celle des tribunaux et non celle des exécutions sans procès.
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