Publié le 18 janvier 2011 (et pourtant, c'est un classique à relire).
Il n'est pas question de politique fiction. Il ne s'agit pas non plus de revenir sur le contentieux électoral en Côte d'Ivoire. D'autres l'ont déjà fait ici ou ailleurs. Il est question du sort d’un pays, la Côte d’Ivoire et au-delà d'un continent, l'Afrique. "A mes enfants que je laisse et que je ne verrai plus, je voudrais dire que l'avenir du Congo est beau. J'attends de vous, comme de tous les Congolais, d'accomplir votre devoir sacré". Cette dernière lettre de Patrice Lumumba, écrite dans la province de Katanga, quelques heures avant son exécution, nous parvient cinquante ans plus tard. Elle nous interpelle, non pas parce que le projet d'assassinat de Lumumba fut rédigé par la Belgique et les Etats-Unis, avec la complicité des Nations unies, mais parce qu'il fut exécuté par des Congolais, des Africains. L’incapacité des Nations unies à régler les conflits n’est pas nouvelle. Cela s’est vu en Irak et au Rwanda notamment, avec au bout des millions de morts. Que Messieurs Ban Ki Moon et Choi se rassurent, la Côte d’Ivoire, ne leur offrira pas ce triste spectacle. Pauvre Afrique, pauvre continent. Plusieurs décennies plus tard, des milliers de kilomètres plus loin, se réécrit le scénario katangais.
Un très mauvais polar d’une expédition punitive encouragée pour rétablir la "démocratie" dans ses droits dans un petit pays. Afrique mon continent, tu ratais à Addis-Abeba en 1963, lors de la création de l'OUA, un tournant décisif. Et au bout de ce virage manqué, des millions de morts. En effet au moment de la constitution de cette organisation, deux thèses s'affrontent. D'un côté, l'Afrique panafricaine et révolutionnaire des Nkrumah et Jomo Kenyatta, partisans d'une Afrique Fédérale, les Etats-Unis d'Afrique. L'Afrique de la rupture avec les anciennes puissances coloniales. Et de l'autre, l'Afrique des modérés d'Houphouët et Senghor, adeptes d'une confédération dans laquelle devraient s'exprimer la souveraineté des Etats et l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation. L'Afrique de la coopération. Et si la conférence d’Addis-Abeba a, dans une forme de mixture des deux thèses, adopté les trois principes fondamentaux suivants : l’africanité, la négation du colonialisme et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la pratique et le temps ont joué en faveur des modérés. Les mises en garde de Kwamé Nkrumah n’y ont rien changé. Il estimait que si l’Afrique ne parvenait pas rapidement à une véritable unité, les différences et les conflits entraîneraient le continent tout entier dans les filets du néocolonialisme. Avait-il tort ? On reproche souvent à notre génération de regarder de façon nostalgique le passé. Autour de nous, il est vrai, les Nkrumah, Senghor, Lumumba, Sankara, Moumié ne sont plus là. En ces temps de disette, l’Afrique se cherche de nouveaux héros. Et hormis Nelson Mandela, les nouveaux mythes africains se font désirer. Si pour couronner le tout, interdiction est faite de regarder dans le rétroviseur, il ne reste plus que l’écriture d’un présent imparfait, et l’espoir d’un futur commun plus que parfait. Eluder à Addis-Abeba, quarante huit ans auparavant, le débat entre révolutionnaires et modérés revient comme un boomerang sur la scène politique ivoirienne et oppose les héritiers d’Houphouët à Laurent Gbagbo. Et espérer voir enfin triompher les thèses de Nkrumah n’est pas faire injure au père de la nation ivoirienne. Gbagbo est ce qu’il est, avec de redoutables qualités mais aussi ses défauts. Le voir ainsi acculé, honni, menacé mais résister, seul face à la puissante communauté internationale, avec autant de courage, suscite en Afrique beaucoup de sympathie et de respect à son égard. Mais ce n’est pas suffisant, Laurent Gbagbo ne peut se contenter d’une forme de « panafricanisme de résistance » ; il doit aller plus loin. Dos au mur, il ne peut de toute façon plus reculer. L’occasion est belle de solder cet héritage colonial. De renier ses symboles qui pèsent encore sur les frêles épaules des jeunes nations africaines. Et il n’est pas seulement question de la présence militaire française en Afrique. Gbagbo n’est plus reconnu, par la communauté internationale, comme Président de la Côte d’Ivoire ? Il peut devenir le premier Président de l’Eburnie. Nkrumah et Sankara l’ont fait avant lui. The Gold Coast est devenu le Ghana, le 6 Mars 1957. La Haute Volta est devenue le Burkina Faso, le 4 Aout 1984. La Côte d’Ivoire peut devenir l’Eburnie, terre d’ivoire, terre de nos ancêtres. Il n’a plus la signature à la BCEAO ? Gbagbo peut sortir du franc Cfa - Franc des anciennes Colonies d’Afrique - et s’allier par exemple à ce grand pays voisin le Ghana en vue d’une union monétaire. Les chantiers qui attendent nos pays, notre continent, sont immenses. Pour cela, avec Ouattara, il doit entamer un dialogue direct ou négocier un gouvernement d’union nationale. Et si un troisième tour est nécessaire pour parvenir enfin à cette réconciliation en Côte d’Ivoire, allons-y sans hésitation. C’est au bout de la nuit que renaissent la lumière et l’espoir. « Combien de temps passerons-nous à pleurer nos mythes ? Combien de temps devrons-nous encore compter nos morts ? » S’exclamait récemment un ami de la mouvance « houphouétiste ». Il n’a pas tort mais, sur les bords de la lagune Ébrié, s’écrivent l’avenir d’un pays, et peut-être celui d’un continent. Cet avenir ne concerne pas les seuls Ivoiriens, c’est aussi celui des Camerounais, des Gabonais, des Congolais, des Angolais, des Burkinabés, des Sénégalais, de tous les Africains. « La mort de Lumumba : pouvions-nous faire autrement ? » écrivait le célèbre penseur antillais Frantz Omar Fanon. Il est de notre devoir de faire en sorte que le titre de cette contribution ne soit pas dans cinquante ans à la une d’un quotidien africain. Autrement, notre continent aura encore perdu un demi-siècle dans de stériles querelles intestines.
Anicet Djéhoury.
Bien cher frère Anicet Djéhoury.
RépondreSupprimerBien dit cher frère Anicet Djéhoury.
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