La véritable solution à l’imbroglio ivoirien est le retrait pur et simple d’Alassane Ouattara du jeu politique de la
Côte d’Ivoire (Pascal N’Douffou-Djanwe)
Retour sur une riche analyse de fond de la politique ivoirienne des 20 dernières années
L’alchimiste de l’explosion ivoirienne s’appelle Alassane Ouattara
Par Pascal N’Douffou-Djanwe - février 2005
La Côte d’Ivoire fait face à une attaque armée de l’extérieur depuis le 19 septembre 2002. Devant ce qui semble relever d’un acte de grand banditisme, les explications que les médias internationaux et les universitaires occidentaux, principalement français, fournissent se résument à une interprétation simpliste des trames de la vie publique ivoirienne avec pour objectif d’absoudre, voire légitimer, l’action des assaillants et leurs commanditaires. Le registre est tout trouvé: c’est l’exclusion d’Alassane Ouattara du jeu politique ivoirien à travers l’ivoirité qui, aux dires de ces experts de questions ivoiriennes, serait la raison principale des tensions politiques en Côte d’Ivoire.
Cette explication naïve de la crise ivoirienne présente, toutefois, un avantage: elle trahit le jeu de ceux qui la suscitent et la soutiennent. Le prétendu ostracisme et la xénophobie que les avocats de Ouattara tentent d’arrimer à l’ivoirité ne sont que des paravents. Leur utilisation tous azimuts par les thuriféraires ouattaristes procède d’une manoeuvre de diversion. En vérité, c’est la présence d’Alassane Ouattara sur l’échiquier politique ivoirien qui explique les convulsions sociopolitiques dans ce pays. Mais, avant de présenter le vrai visage de Ouattara, tâchons de démontrer l’inanité du procès fait aux Ivoiriens à propos de l’ivoirité.
Ce qu’est l’ivoirité
Dans un recueil de textes de sa campagne électorale de 1995, l’ancien président ivoirien, M. Henri Konan Bédié, que l’on présente comme le promoteur de l’ivoirité a dit ceci: “le nouvel élan que je vous invite à partager enrichira en tout premier lieu notre identité qui réside d’abord dans la permanence des valeurs républicaines, celle de notre devise: l’union, la discipline, le travail; mais aussi la paix, la lutte contre les injustices à l’échelle nationale et internationale, l’égalité entre les hommes et les femmes, la laïcité de l’école et de l’Etat, le refus des fanatismes et des intolérances… Ces valeurs sont plus que jamais des valeurs de notre temps. Elles doivent contribuer à réaliser notre unité nationale et donner un sens universel à notre citoyenneté ivoirienne. Elles nous unissent et nous distinguent des autres nations… Cette prise de conscience collective de la nécessité d’affirmer notre identité nationale, face aux réalités internationales et aux diverses tentatives de dilution, permet d’asseoir les bases d’une nouvelle démarche de la vie politique de notre pays. “
Ce que l’ivoirité n’est pas
L’ivoirité n’est pas une loi. Elle ne saurait se confondre avec un acte administratif à partir duquel on est déclaré Ivoirien ou non Ivoirien. L’ivoirité n’établit pas une catégorisation des Ivoiriens en fonction de leurs origines et/ou convictions religieuses. Elle n’implique pas une démarcation entre les Ivoiriens et les ressortissants de la sous-région vivant sur le sol ivoirien. Elle n’a jamais aiguillonné de clivages ethnico-religieux comme projet de société. Il n’y a pas de passeport ou de carte d’ivoirité.
Les questions relatives à la nationalité ivoirienne sont traitées par le Code de la nationalité. Ce n’est point l’ivoirité qui définit la nationalité ivoirienne ou les conditions de son acquisition. Qu’un homme politique postulant aux fonctions présidentielles ne remplisse pas les conditions prescrites par la Loi fondamentale ivoirienne n’est, en rien, une question qu’on puisse réduire à l’ivoirité, si ce n’est que de mauvaise foi!
Il est vrai que l’ivoirité a été dévoyée, récupérée et pervertie par certains politiciens, notamment Alassane Ouattara, et leurs réseaux dans les médias, les centres de décision politique et les milieux diplomatiques. A dessein ou par ignorance, l’ivoirité est perçue, hors de la Côte d’Ivoire, comme un programme politique bâti à partir d’une doctrine d’exclusion prenant son essence dans une idéologie d’extrême droite. De façon insidieuse et pernicieuse, cette propagande a atteint ses objectifs, puisque des Ivoiriens originaires du Nord pensent que l’ivoirité est un projet conçu pour les exclure du champ politique national ou les confondre avec des ressortissants de pays de la sous-région ouest-africaine.
Nul ne saurait nier l’existence de tensions inter-ethniques sporadiques en Côte d’Ivoire ou l’émergence de sentiments de xénophobie, que ce soit à propos de questions foncières ou dans un cadre purement politique, surtout ces dernières années. Mais, s’il est plus aisé, par paresse intellectuelle ou par mauvaise foi, de chercher toute explication à un quelconque problème né de frictions intercommunautaires dans la notion d’ivoirité, l’on devrait éviter de prendre des raccourcis afin d’opérer des analyses profondes qui prennent en compte des situations sociales complexes et multiformes.
Trois ans après le départ de M. Bédié du pouvoir, les amis d’Alassane Ouattara devraient trouver une autre justification de son infortune politique au lieu de jeter leur dévolu sur l’ivoirité. Ni feu Robert Guéi, ni Laurent Gbagbo, en leur qualité de premier responsable de l’Etat, n’ont fait usage du concept d’ivoirité dans aucune de leurs déclarations publiques. Si c’est la Constitution de la deuxième République qui est perçue comme instrument de l’ivoirité, il faudrait noter qu’elle a été votée à 86% par voie référendaire. Le RDR d’Alassane Ouattara avait donné des consignes de vote à ses militants en faveur de cette Constitution.
Alassane Ouattara au coeur des intrigues politiques en Côte d’Ivoire
Depuis la mort d’Houphouët-Boigny en décembre 1993, la Côte d’Ivoire est confrontée à des tensions sociopolitiques résultant principalement de l’ambition politique forcenée et obsessionnelle d’Alassane Ouattara de diriger ce pays au plus haut niveau. Mais, en réalité, il n’est de politicien en Côte d’Ivoire qui fasse l’objet d’une aussi grande contestation que Ouattara!
Appelé à assumer les fonctions de Premier ministre par Félix Houphouët-Boigny sur l’insistance des Institutions de Bretton Woods, son rôle n’était que celui d’un technicien chargé de rétablir les grands équilibres comptables de l’Etat. En 1991, il institua, cependant, la carte de séjour pour distinguer les étrangers résidant en Côte d’Ivoire (les ressortissants de pays ouest-africains) des nationaux ivoiriens. Peu après, des convois de la police nationale, répondant aux ordres de Lansana Palenfo, Ministre de la sécurité d’alors et proche d’Alassane Ouattara, étaient dirigés, les vendredis, vers les mosquées pour procéder au contrôle de cartes de séjour (les mosquées étaient considérées comme des lieux de culte des ressortissants de pays sahéliens) suivi d’interpellations intempestives. Ce qu’aucun gouvernement ivoirien n’avait fait avant l’arrivée de Ouattara aux affaires et après son départ.
Dans la même période, un manifeste sous forme d’appel à la sécession du Nord ivoirien fit son apparition sous les boubous. Connu sous l’appellation de la “Charte du Grand Nord”, il stigmatisait une supposée persécution ethnico-religieuse dont seraient victimes des Ivoiriens originaires du Nord. Selon le document, les Malinké et Sénoufo seraient exclus du jeu politique ivoirien et confondus avec les ressortissants des pays limitrophes par les Ivoiriens issus d’autres groupes ethniques.
Dès la mort d’Houphouët-Boigny, Alassane Ouattara annonça les couleurs de son combat avec la contestation de la Constitution qui faisait du président de l’Assemblée nationale le successeur du président de la République. Au bout de deux jours, il fut sommé par les officiers supérieurs des différents corps des Forces armées nationales de soumettre sa démission.
Alassane Ouattara suscita, en 1994, la création du Rassemblement des Républicains (RDR), parti politique regroupant essentiellement des Ivoiriens originaires du Nord, de confession musulmane, et des ressortissants de la sous-région ouest-africaine ayant en partage avec les zones septentrionales ivoiriennes ethnicité et religion. Très vite, le RDR se signala par l’usage de la violence comme moyen de défiance de l’autorité publique.
Bien que surfant sur les clivages ethniques et religieux à souhait dans une société ivoirienne cosmopolite, tolérante et hospitalière, le RDR entretient la psychose de persécution ethnico-religieuse et fait de la surenchère autour de la xénophobie à l’égard des ressortissants ouest-africains son fonds de commerce politique.
En prélude aux élections générales de 1995, un code électoral fut édicté en 1994. Les clauses du code relatives à l’éligibilité à la présidence de la République disposent que tout candidat doit être ivoirien de naissance, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens de naissance. Il doit être âgé de quarante ans au moins et soixante-quinze ans au plus. Il doit résider en Côte d’Ivoire de façon continue pendant les dix ans précédant la date des élections. Il doit n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne.
Dès que le nouveau code électoral fut soumis en première lecture au Parlement, Alassane Ouattara, qui s’était déjà déclaré candidat à l’élection présidentielle, se fit passer pour la cible du texte de loi et actionna son réseau de propagande fait d’organes de presse internationaux au motif que les conditions d’éligibilité seraient iniques et aberrantes. Les autorités ivoiriennes furent accusées de toutes sortes de dérives xénophobes et d’exclusion.
Si Ouattara retira sa candidature en 1995, il ne renonça pas pour autant à son ambition politique de diriger la Côte d’Ivoire. Le coup d’Etat des 23 et 24 décembre 1999 était pour Ouattara une voie détournée pour s’emparer du pouvoir. Ce putsch est le résultat, d’une part, d’une série d’actes de défiance de l’autorité publique perpétrés à l’intérieur des frontières ivoiriennes par le RDR et, d’autre part, d’une campagne de presse doublée de pressions diplomatiques, avec l’appui de mouvements politiques et d’organisations de la société civile, sur le plan international.
Les soldats ayant exécuté le coup d’Etat de décembre 1999 sont, pour l’essentiel, un noyau de sous-officiers originaires du Nord et musulmans. On les retrouva autour de Robert Guéi, en 2000, au début de la transition militaire, lorsque le RDR contrôlait la junte militaire et le gouvernement dont l’ossature principale était formée de cadres de ce mouvement politique.
Lorsque Robert Guéi indiqua, de manière voilée, son intention de se porter candidat à la présidentielle d’octobre 2000 et que les problèmes d’éligibilité de Ouattara refirent surface avec la nouvelle Constitution, les soldats du Nord l’ayant porté au pouvoir pour servir de faire-valoir de leur coup tentèrent de le renverser à deux reprises (juillet et septembre 2000).
Ayant déserté l’Armée ivoirienne pour se réfugier au Burkina Faso, ces soldats reprendront du service pour chercher, à nouveau, à installer Alassane Ouattara au pouvoir en janvier 2001. Mis en déroute par les Forces armées nationales ivoiriennes, leur deuxième tentative prenant pour base arrière le Burkina Faso est cette sanglante attaque que la Côte d’Ivoire vit actuellement.
Dans leur majorité, les Ivoiriens ne veulent pas d’Alassane Ouattara comme président, parce qu’il est burkinabé
En dehors de certains ressortissants du Nord issus principalement de deux groupes ethniques (Sénoufo et Malinké), la majorité des populations de la Côte d’Ivoire s’oppose obstinément à l’intention de Ouattara d’accession aux charges suprêmes de l’État ivoirien. La raison est toute simple: Ouattara n’est pas ivoirien, mais plutôt burkinabé.
S’il est admis qu’Alassane Ouattara a vu le jour en 1942 à Dimbokro, en Côte d’Ivoire, le montage qui fait naître son père en 1888 dans le même endroit est fort gros pour passer inaperçu! Pour que Dramane Ouattara père eut été conçu et né à Dimbokro, il aurait fallu que les Ouattara soient baoulé et installés sur plusieurs générations dans ce qui était un petit village de forêt ouvert au reste de la Côte d’Ivoire par les chemins de fer en 1910. En 1995, Ouattara concéda à Jeune Afrique 1812 du 28 septembre au 4 octobre 1995) que son((N grand-père était né à Sindou. En 1998, Gaoussou Ouattara, ci-devant frère d’Alassane avoua au Jour 993 des 23 et 24 mai 1998) que son père((N s’était rendu à Dimbokro après avoir séjourné dans plusieurs autres villes ivoiriennes. Il aurait d’abord commencé à travailler à Bobo Dioulasso et à Banfora (deux villes burkinabé proches de Sindou). En 1950, selon Gaoussou Ouattara, son père se retira à Sindou, avec Alassane Ouattara, pour assumer des fonctions de chef traditionnel.
Et c’est tout naturellement de l’ancienne Haute-Volta que Alassane Ouattara partit en 1962 étudier aux États-Unis. Il débarqua du bateau “le Groot Berr” à New York le 13 août 1962 pour poursuivre ses études aux USA sous les auspices de l‘“African Scholarship Program of American Universities (ASPAU)” en qualité d’étudiant voltaïque (burkinabé).
Le 21 novembre 1969, au moment de s’inscrire à l’Université de Pennsylvanie pour le doctorat (Ph.D) d’Economie, il écrivit de sa main qu’il était voltaïque (burkinabé). Les dossiers de M. Alassane Ouattara, étudiant voltaïque (burkinabé), sont disponibles autant à l’Université Drexel (PA) qu’à l’Université de Pennsylvanie.
En 1973, il se fit recruter à la Banque des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) au nom de la Haute-Volta. D’abord chargé de mission du gouverneur de l’institution bancaire, il fut nommé directeur des études, ensuite vice-gouverneur, toujours au titre de la Haute-Volta. En 1984, quand il fut promu Directeur Afrique du Fonds monétaire international (FMI), M. Ouattara fut présenté comme citoyen burkinabé dans le bulletin mensuel de liaison de cette institution internationale.
L’obstination de Ouattara de se proclamer ivoirien pour seulement être président de la République, tout en niant son origine burkinabé, est d’autant plus suspecte que cette manuvre est cautionnée par Blaise Compaoré, président du Burkina Faso. Et que les rebelles qui attaquent la Côte d’Ivoire aient trouvé gîte, camp d’entraînement, renfort, armes et munitions au Burkina Faso met à nu l’entreprise de prédation de la Côte d’Ivoire par deux Burkinabé et démontre son caractère factice.
Mais, plus on tentera d’imposer Ouattara par effraction aux Ivoiriens, plus on déstabilisera la Côte d’Ivoire et la sous-région ouest-africaine. De plus, en prenant des armes pour faire Alassane Ouattara roi en Côte d’Ivoire, les soldats rebelles originaires du Nord ivoirien et leurs maîtres de l’extérieur s’essaient à un jeu dangereux. S’ils réussissent, ni Ouattara, ni eux-mêmes ne pourront régner sur la Côte d’Ivoire dans la paix.
En effet, les configurations ethniques de la Côte d’Ivoire faites d’une pluralité de communautés humaines sans une nette domination des unes sur les autres ne permettent à aucun homme politique de se constituer une légitimité fondée sur une région ou s’appuyant sur un groupe ethnique et/ou une confession religieuse. Et si la baïonnette se substitue à l’urne en se donnant comme régulateur du jeu politique, il n’est pas garanti qu’elle sera manipulée uniquement et à jamais par des soldats d’un groupe ethnique donné au bénéfice exclusif d’un homme.
Pour tout dire, la véritable solution à l’imbroglio ivoirien est le retrait pur et simple d’Alassane Ouattara du jeu politique de la Côte d’Ivoire. Qu’il soit sous la protection de l’Ambassade de France, dans un pays qu’il veut diriger, à l’annonce de la rébellion le 19 septembre 2002 et que cela suscite des manifestations hostiles d’Ivoiriens de différents partis politiques et d’origines ethniques diverses est la preuve, s’il en est encore besoin, du malaise que crée l’intrusion de Ouattara dans l’arène politique ivoirienne, comme un cheveu sur la soupe.
Par Pascal N’Douffou-Djanwe
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