En adoptant la Constitution de 2000, les ivoiriens espéraient voir leurs droits et libertés se renforcer. L’existence dans la loi fondamentale d’un titre premier au sein duquel un chapitre premier proclamait « des libertés et des droits » portait cette grande espérance. Onze ans après, ils doivent malheureusement déchanter, suite à l’avènement de M. Ouattara au pouvoir.
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Dans le domaine des libertés collectives, les organisations proches de la majorité Présidentielle (LMP) ont-elles encore voix au chapitre ? Lorsque la répression détruit tout leur patrimoine, qu’elles soient associative, syndicale ou politique et réussit à les décapiter par l’embastillement ou l’exil de leurs leaders, leur fonctionnement ne peut que se trouver gravement hypothéqué. De même, il n’est pas possible de soutenir que la liberté de manifester subsiste lorsque des autorités préfectorales sont destituées parce qu’elles n’ont pas empêché une manifestation qui exigeait la libération du Président Laurent Gbagbo, à l’occasion de la commémoration de la fête de l’indépendance.
Le symbole même de cette négation des libertés collectives est le non fonctionnement de l’Assemblée nationale du fait des oukases de M. Ouattara et du mépris affiché pour son Président dont il n’a pas daigné solliciter les propositions (art. 89 C) à l’occasion de la nomination des membres du Conseil constitutionnel. Peut-on avoir plus de mépris pour les exigences démocratiques lorsqu’on pousse le bouchon jusqu’à refuser le fonctionnement de l’Assemblée nationale, garante de nos libertés et instituée pour arrêter la toute puissance de l’exécutif et ses dérives ? Faut-il encore rappeler à M. Ouattara que même dans les périodes graves d’interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics, la Constitution a prévu que l’Assemblée nationale se réunisse de plein droit (art. 48 C) ? D’où vient alors que le porte parole de son gouvernement s’évertue à expliquer que cette suspension est temporaire ? D’où tire-t-il ce pouvoir?
Quant aux libertés individuelles, elles ne sont pas logées à une meilleure enseigne. Exit l’égalité devant la loi (art. 2) et la justice (art. 20). La justice des vainqueurs instaurée par M. Ouattara a fini de nous convaincre qu’il n’y a pas de présomption d’innocence (art. 22) et que des détentions arbitraires peuvent se faire à la suite d’arrestations tout aussi fantaisistes. Combien de personnes sont-elles actuellement contraintes à l’exil, contrairement aux prescriptions de l’article 12 de la Constitution ? Exit aussi l’égalité d’accès à l’emploi (art. 17) lorsque le renvoi et le recrutement dans les institutions de l’Etat et les entreprises parapubliques sont justifiés par les opinions politiques, religieuses et ethniques. La personne humaine n’est plus sacrée (art. 2). Le droit à la vie et à la dignité existent-ils encore lorsque les adversaires politiques de M. Ouattara sont soumis à des traitements inhumains, cruels, dégradants et humiliants ainsi qu’à des tortures physiques et morales ? Les domiciles ne sont plus inviolables (art. 4) lorsque les FRCI les occupent ou y pénètrent selon leur volonté. Y a –t-il encore un droit de propriété lorsque les combattants de M. Ouattara occupent hôtels et plantations dont ils exploitent les produits ou lorsque le Procureur de la République gèle les comptes des citoyens sans aucune justification ?
En niant ces droits aux ivoiriens, M. Ouattara tire un trait sur des générations de lutte. Il nous fait reculer de plus de 50 ans. Il nous ramène à l’ère coloniale en se vautrant dans le rôle de M. Thôgô-gnini , ce vil et dévoué auxiliaire du traitant blanc, un personnage tristement célèbre créé par la plume fertile et inspirée de doyen Bernard Dadié.
En effet, la lutte pour les droits individuels a été menée contre le colonisateur qui niait les droits les plus élémentaires des colonisés, à travers la catégorisation des individus entre sujets et citoyens, les travaux forcés ou la différence de rémunération. Les luttes syndicales et politiques menées dans le cadre du combat pour l’indépendance avaient pour objectif de recouvrer les droits et libertés ainsi que la dignité bafouée des peuples colonisés.
Quant aux offensives dirigées contre le parti unique après la proclamation des indépendances, elles avaient principalement pour ambition de faire reconnaître les libertés collectives qui devraient raffermir les libertés individuelles. Le combat des groupes politiques clandestins qui se transformeront plus tard en partis politiques (FPI, PIT et USD par exemple), des organisations syndicales (SYNARES, SYNESCI et SYNACASSCI) et des droits de l’homme (LIDHO) puis plus tard du front républicain entretenait cette espérance. Deux ouvrages du Président Laurent Gbagbo résument les véritables enjeux des batailles de cette époque : « Pour une alternative démocratique en Côte d’Ivoire » et « Agir pour les libertés » .
Le multipartisme, le pluralisme syndical et l’éclosion de la presse au début des années 1990 sont les meilleurs trophées remportés dans cette période à la suite des assauts conduits contre la pensée unique. La Constitution et le Code électoral de 2000 consolideront ces avancées. Les libertés collectives et individuelles ainsi que le droit de propriété s’y trouvent inscrits aux côtés du vote à 18 ans, l’urne transparente, le bulletin unique et la Commission Electorale indépendante. Et le Président Laurent Gbagbo, lors de son mandat va conforter les droits qui y avaient été proclamés à travers l’adoption de plusieurs lois : financement des partis politiques ; amélioration du statut des élus (députés, Président de la République), des Présidents d’institutions et des membres du gouvernement, même après leurs fonctions ; dépénalisation des délits de presse ; approfondissement de la décentralisation, etc.
Dans cet élan pour l’affermissement des droits et la consolidation de la démocratie en Côte d’Ivoire, il est surprenant de constater que le gouvernement actuel qui comporte en son sein le Rassemblement Des Républicains (RDR), un parti membre du front républicain qui avait engagé le combat aux côtés du Front Populaire Ivoirien (FPI) au milieu des années 1990, ne puisse pas respecter les droits et libertés contenus dans nos lois.
Mais à la réflexion, il ne faut vraiment pas s’en étonner. Dans la mesure où le combat du front républicain n’était manifestement pas celui du RDR, transfiguré à la suite d’un changement de direction. Le RDR de cette époque, dirigé par Djéni Kobénan, syndicaliste indécrottable, décédé brusquement au moment de l’entrée en scène politique de Ouattara, n’était pas le même que celui de M. Ouattara, pur produit des organisations internationales (FMI et BCEAO) et imposé au Président Houphouët-Boigny par ses créanciers internationaux.
Dans son parcours politique, M. Ouattara n’a jamais été un démocrate. Déjà, comme premier ministre, il avait confessé que son programme s’exécuterait plus facilement s’il n’y avait pas eu le multipartisme. Joignant l’acte à la parole, et prenant prétexte de troubles créés par le gouvernement qu’il dirigeait, il a fait embastiller les leaders des forces sociales et politiques de l’opposition à l’occasion de la mémorable « marche du 18 février 1992 ». C’est d’ailleurs à lui qu’est attribué le parrainage de tous les coups d’Etat (1999 et 2011) et de la rébellion de 2002.
D’ailleurs, l’arrivée au pouvoir de M. Ouattara dans la besace de l’armée française conforte cette analyse. Sa gouvernance se situe dans le sillage de celle des premiers présidents africains venus assurer la continuité de l’exploitation coloniale sous une autre forme. Imposé par la France comme dans une banale opération « Barracuda », entouré de ses conseillers français comme au bon vieux temps des premières années de l’indépendance lorsque les nouveaux pays manquaient de cadres compétents et aussi de sa garde rapprochée composée de militaires burkinabè jouant les « tirailleurs sénégalais » de la coloniale, M. Ouattara ne peut avoir les mêmes préoccupations que les présidents nationalistes ou démocrates élus projetés sur la scène grâce au suffrage universel.
Au contraire de ceux-ci, qui sont soucieux de droits, de libertés, de progrès économique et rêvent de « vraie indépendance », M. Ouattara, est mû par le souci de faciliter, au profit de la France, des Etats-Unis et autres puissances impérialistes, l’acquisition des matières premières, notamment le pétrole, l’ouverture de débouchés pour leurs produits manufacturés et des marchés pour leurs entreprises en niant les droits des autres peuples.
L’esprit qui a présidé à l’adoption du « Code de l’indigénat » (1865) qui établissait un régime d’exception pour les colonisés peut donc encore inspirer. C’est ce qui explique qu’en cette période de mondialisation, les droits universellement reconnus aux hommes du monde entier ne peuvent être appliqués aux indigènes de Côte d’Ivoire. « Terra nullius » ! Vous avez dit « territoire sans maître » ! L’éternel argument juridique peut bien justifier le « génocide Wè » perpétré à dessein pour récupérer les terres fertiles dans la région ouest de la Côte d’Ivoire. De même, lorsqu’en lieu et place d’un coup d’Etat, on concède l’organisation d’une élection présidentielle, il faut veiller à ce que les résultats décidés à l’avance ne soient pas « perturbés ». A défaut d’un électorat bâti autour de collèges et parmi lesquels celui des indigènes ne représentait que la portion congrue, des électeurs qui n’y ont pas droit sont introduits dans le fichier électoral, tout en se ménageant une certification, précaution ultime.
Que M. Ouattara ait le comportement d’un chef indigène complexé ne doit donc pas étonner. Sa gouvernance anachronique de ce début de troisième millénaire porte en elle les germes d’une volonté de reconquête coloniale qui n’ose pas s’afficher. Le « Grand blanc » a-t-il jamais avancé sans masque ? L’aventure présidentielle de M. Ouattara apparaît en définitive comme une leçon d’école pour les politologues. Les enjeux sont déjà perceptibles et préfigurent la nouvelle donne politique sur notre continent. Les objectifs et les méthodes n’ont pas changé. Le « Grand blanc » est revenu à la charge pour restaurer l’ordre colonial. « Ô blanc, reprends ton lourd fardeau» , car la « course à l’Afrique » continue encore aujourd’hui à l’ère de la « course aux puits pétroliers». Les droits et libertés des ivoiriens peuvent être piétinés pour la gloire et le bonheur des autres.
Kouakou Edmond
Docteur en droit, Consultant
Source : infodabidjan
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