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«La clef du cachot de Korhogo…est à Paris !», entend-on dans les manifestations et meetings parisiens… Même si ce n’est pas si sûr (et si cela conforte bien évidemment l’immigration ivoirienne à Paris), l’interconnexion entre les pouvoirs ivoirien et français actuels est évidente (ce que l’on pourrait baptiser le « sarko-ouattarisme», cf. «La tentation coloniale » sur le site du « Gri Gri international »), tant dans la crise électorale de décembre à avril, que dans les jeux de pouvoirs actuels. Il faudrait étudier longuement, pour le comprendre, cette «assimilation politique des élites» et l’influence des réseaux françafricains – comme dirait le politologue J.F. Bayart, depuis Houphouët Boigny et surtout depuis 2002, mais on peut ici se livrer à quelques interrogations prospectives.
Bien qu’il soit certain que les dynamiques internes (la vie politique en Côte d’Ivoire), régionales (les exilés et réfugiés au Ghana et au Liberia) et continentales (les alliés du régime de Laurent Gbagbo ont été l’Angola et l’Afrique du Sud, mais bien plus encore une certaine jeunesse panafricaine, telle celle du Cameroun) soient cruciales, tout changement politique à Paris risque d’entraîner certaines évolutions (révolutions ?) à Abidjan.
Après tout « Sarkozy n’est pas là pour toujours »…comme l’a rappelé le juriste Albert Bourgi, tandis que l’ancien Premier ministre Konan Banny déclarait qu’ «aucun pouvoir arrivé par la force armée n’est éternel». De nombreux scénarios de changement, d’ailleurs contradictoires, sont possibles : d’un retour de la «guerre nomade» depuis le Liberia ou le Ghana jusqu’à une guerre civile larvée avec un pourrissement de la situation à l’Ouest ; d’une peu probable «cohabitation à l’ivoirienne» après des législatives hypothétiques, à des changements d’alliance du PDCI. En ce qui concerne les relations internationales, l’alternance à gauche en France s’oppose bien évidemment à une persistance du sarkozysme armé, avatar de l’interventionnisme bushien et d’une néo-colonisation qui n’ose dire son nom.
Prendre date du discours d’investiture d’Hollande
Mais quelle gauche? Celle de François Mitterrand, dont la politique africaine, malgré le discours de La Baule, n’est qu’une continuation étatique de la droite – alors qu’en 1981 il y avait peu à dire pour provoquer la fin des tyrans? Celle de Guy Mollet, tendance dominante dans la droite du Parti socialiste qui approuve la domination blanche et les aventures extérieures – depuis la guerre d’Algérie? La plus favorable des hypothèses est celle du retrait et de la neutralité, comme du temps de Jospin (son absence d’intervention militaire, a bien favorisé le renversement de Konan Bédié): c’est quand elle ne fait rien que cette gauche modérée, très modérée, est la plus favorable au changement politique… Hollande, dans son discours d’investiture au PS, vient de dire « refuser la Françafrique »: on peut prendre date, en attendant ses pratiques concrètes, sans trop y croire…Le socialisme africain attendra, c’est l’appui à l’Etat de droit et la fin des incursions françaises qui sont à l’ordre du jour d’une gauche revenue au pouvoir!
Mais «ne rien faire» (en terme social-démocrate: «ni ingérence, ni indifférence»), peut supposer se retirer militairement, ce qui change beaucoup de choses en laissant place aux dynamiques internes: que serait la situation politico-militaire, notamment à Abidjan, en cas de retrait des deux corps expéditionnaires de contrôle (euphémisme..) que sont la force Licorne et l’ONUCI? Tout observateur sait que les régulations politiques et conflictuelles se feraient spontanément…Sachant que le camp de Laurent Gbagbo a obtenu plus de 54% à Abidjan et qu’il est majoritaire au Sud, l’issue semble évidente et un renversement de situation envisageable. D’autant que les «préfets» ou «gouverneurs» françafricains, désormais en manque de soutien ou vertement tancés à Paris, feraient alors défaut…suivez nos regards du coté du Burkina – ou ailleurs…
Ce scénario pour l’instant improbable pourrait s’effectuer en cas de victoire d’une coalition de gauche sous l’impulsion du PCF et de Jean-Louis Mélenchon d’un côté, et du Npa et de certains écologistes d’autre part sur le slogan de «retrait total d’Afrique des forces armées françaises» – dont les bases sont effectivement la marque en Occident que la France est bien en retard d’une décolonisation. Ce rôle d’éclaireur de la gauche extrême par rapport à la gauche modérée, c’est à dire le PS, est classique dans l’histoire de la vie politique française: ce ne sont pas les fondations, think tanks militaristes et affairistes qui jouent le rôle de réservoir d’idées nouvelles!
La bataille de l’information est cruciale
La bataille de l’information est cruciale, et pour suivre les thèses d’Antonio Gramsci, un préalable à l’hégémonie politique ; j ai montré ailleurs comment, en l’absence de mobilisation d’intellectuels et de politiques de renom, l’information sur la Côte d’Ivoire a été biaisée depuis 2000 et 2002. Qui plus est, depuis la crise électorale, les journalistes et les médias occidentaux sont, c’est parfois le cas de le dire littéralement, «embarqués» dans le dispositif politico-militaire – ni plus ni moins d ailleurs que pour l’Irak et l’Afghanistan, et pas plus que les médias américains dans les conflits où leur pays est impliqué. De plus un phénomène de « storytelling » est évident : pour bon nombre de journalistes par exemple, la «fin de l’histoire» (en tout sens) date du 11 avril – et rien ne se passe depuis…
A tel point que pour des raisons techniques et financières, des humanitaires occidentaux se plaignent ces jour ci à Paris de ce «déficit de l’information» sur la Côte d’Ivoire qui les empêche de recueillir des fonds et donc d’agir pour les déplacés et réfugiés. Comme pour les révolutions arabes, la guerre des blogs, sites ou médias Internet – et bien sûr la presse classique, sera déterminante dans les mobilisations et révoltes urbaines – ce qui laisse d’ailleurs le monde paysan encore en dehors de ces mouvements en devenir. Le parallèle est intéressant : on voit l’opposition pro-Gbagbo se saisir du vocabulaire de la résistance à la tyrannie, de la révolution démocratique et de l’insurrection qui vient, tout en faisant vibrer la corde humanitaire : l’inversion des thématiques de mobilisation est bien un préalable à la reconquête politique.
Cependant l’opinion française peut basculer, notamment à partir d’une situation inattendue dans le paysage institutionnel sarkosyste: la gauche vient de conquérir le Sénat, et le socialiste sudiste Jean-Pierre Bel devient le second personnage de l’Etat; bien plus, des commissions d’enquêtes parlementaires peuvent s’y mener, sur le modèle (en plus abouti souhaitons-le)de celle qui a été menée sur le Rwanda à l’Assemblée nationale. Peut être des associations comme Sherpa ou Transparency international ou, qui sait, Survie, Attac ou RSF s’intéresseront aux «biens mal acquis», à la situation de la presse ou des droits de l’homme à Abidjan (comme le font Amnesty ou la Fidh sans être très audibles auprès du monde politique français); pourtant leurs divisions, leurs compromissions ou leur proximité avec l’alliance sarko-ouattariste peuvent en faire douter… L’ «honneur perdu d’Human Rights Watch», aux rapports aussi bien tendancieux qu’inventés montre bien que les liaisons dangereuses (comme aussi International Crisis Group), avec le département d’Etat américain et des financiers comme Soros peuvent aboutir à de pseudo rapports de propagande, alors qu’on prétend faire la morale à la terre entière…
Des Franco-Ivoiriens qui subissent le martyre
Quoiqu’il en soit de la corruption des esprits et de la presse liée à la Françafrique (cf. les derniers «dossiers» d’«hebdomadaires panafricains» (sic!,) ou le caractère systématiquement hostile à Laurent Gbagbo du quotidien Libération, depuis 2000) il me semble qu’un point d’inflexion est atteint et que l’opinion française peut se retourner. Outre les médias, des actions judiciaires sont en cours – et comme pour Sassou N’Guesso et les responsables du massacre du Beach au Congo ou encore le général algérien Khaled Nezzar, qui vient d’être arrêté en Suisse pour sa répression pendant la guerre civile, il pourrait arriver que des responsables ivoiriens connaissent des séjours à Paris ou à Mougins plutôt mouvementés…Après tout des Franco-Ivoiriens ont subi le martyre, comme Michel Gbagbo incarcéré pour sa parenté, ou le cinéaste Sidiki Bakaba qui était à la résidence présidentielle en avril, pourraient mettre en cause devant les médias et les tribunaux l’Ambassade et l’Armée française, si ce n’est l’Onuci et l’Elysée, dont le coup d’Etat et le massacre de civils a de toute évidence dépassé la résolution 1975 – ce qui est, comme en Libye, une forfaiture éthique et une faute juridiquement condamnable.
Si la roche Tarpéienne est près du Capitole pour nombre de dirigeants africains en général, et Ivoiriens en particulier, ces scénarios ne sont pas sur pour autant inéluctables; des luttes au couteau se déroulent dans la presse, et dans les institutions comme par exemple la CPI extrêmement divisée sur le cas ivoirien: si le procureur Moreno Ocampo s’affiche avec des criminels de guerre, la juge Silvia Fernandez de Gurmensi s’oppose de toutes ses forces à une « justice de vainqueurs » et prétend juger équitablement les deux camps.
Et si la gauche française renouait avec sa tradition anticoloniale et cessait ce que l’historien Chalchi Novati nomme la « guerre à l’Afrique »? On peut toujours rêver d’interventions contre la douzaine de «fascistes à la française» peuplant les palais présidentiels africains… Après tout, retrait et abstention sont peut être meilleurs pour une «révolution africaine» à venir: espérons que ces jours-là la gauche française, contrairement à son attitude devant les révolutions arabes, ne manquera pas son rendez-vous politique avec l’histoire des «damnés de la terre»: elle pourrait y perdre un continent.
Source: Michel Galy,
Politologue, chercheur au “Centre sur les conflits” à Paris et animateur de la revue Culture et Conflits
Le Nouveau Courrier
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