Dossier: Boulava: chronologie des tirs
Le missile Boulava complète les arsenaux nucléaires russes© RIA Novosti. Mikhail Fomichev
16:51 29/12/2011
Les essais du missile mer-sol balistique stratégique (MSBS) Boulava (code OTAN SS-NX-30) sont terminés et le missile entrera en service, a déclaré le président russe Dmitri Medvedev. La saga de la création de ce système de missile touche progressivement à sa fin.
Tout est bien qui fini bien
"L’industrie russe a prouvé qu’elle était en mesure de créer de nouveaux types d’armes stratégiques, modernes et efficaces", a déclaré mardi dernier Dmitri Medvedev devant des officiers supérieurs à l’occasion de leurs nouvelles affectations et promotions. Le chef de l’Etat a ajouté que le Boulava serait mis en service étant donné que les essais sont terminés.
Le vendredi 23 décembre, le sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) Iouri Dolgorouki a effectué dans la mer Blanche un lancement réussi en salve de deux Boulava. Le ministère russe de la Défense a déclaré à maintes reprises que le succès de ce lancement en salve était suffisant pour doter l'armée de ce système de missile. Il est probable que cette décision sera rendue publique dans les jours qui viennent: les militaires font volontiers ce genre d’annonce à la veille des Fêtes de fin d’année.
Certes, les essais du Boulava n’ont pas toujours été réussis, il a été enfanté dans la douleur, il se retrouvait fréquemment à l’épicentre de scandales et il a bien fallu prendre des mesures draconiennes pour contrôler la qualité de son assemblage. Selon certaines versions fantastiques, le Boulava aurait même été en novembre 2009 à l’origine de la spirale norvégienne (la spectaculaire spirale de lumière dans le ciel de Norvège) sans précédent dans l’histoire. Or, voilà que le chef suprême des armées annonce que le système de missile sera finalement mis en service. Bref, avant même le début de sa carrière militaire, le missile peut déjà se prévaloir d’une biographie passionnante.
Et pourtant il volait bien!
Il est temps de mettre fin à la légende répandue, selon laquelle le Boulava est un objet encombrant, coûteux et refusant de fonctionner correctement.
Le fait est que sur les 18 tirs d’essais (sans compter le tout premier test d'une maquette du missile) du Boulava, six seulement se sont soldés par un échec. Ce taux est un excellent résultat pour un système de missile créé ex nihilo dans les conditions d’une économie en pleine transition (assortie d’un financement tout aussi précaire) par une équipe ne possédant aucune expérience de création de missiles mer-sol.
A titre indicatif: le premier missile soviétique mer-sol à propergol solide R-39 a fait l’objet d’essais longs et pénibles, plus de la moitié des 17 lancements effectués depuis un banc d’essai se sont soldés par des échecs. Et seulement le sixième lancement a été un succès (le Boulava, quant à lui, n’a connu le premier revers qu’au cours du troisième lancement).
Treize autres lancements ont ensuite été effectués depuis un sous-marin, le futur vecteur du
R-39, dont deux ont échoué (appréciez en passant l’importance du programme d’essais).
Au final, le système a été finalisé, mis en service et n’a suscité aucun reproche par la suite.
Quant au système R-29R, prédécesseur du système Sineva (concurrent du Boulava avec un moteur-fusée à ergols liquides), il ne peut se prévaloir que de sept lancements réussis sur 18 effectués depuis un banc d’essai.
Ainsi, le système Boulava ne mérite pas une attitude aussi méprisante: on en a connu de bien pires, élaborés pourtant dans des conditions bien plus favorables pour les concepteurs.
Le Boulava a seulement le malheur d’être né à une époque où on ne passe plus les échecs sous silence, qui plus est ses échecs se sont produits en deux séries de trois tirs ratés chacun. Par ailleurs, la première série a été complétée par deux lancements qualifiés de partiellement réussis (les vecteurs fonctionnaient correctement mais le système de pointage d’ogives affichait ensuite des défaillances).
Ainsi, un observateur extérieur pouvait constater cinq échecs coup sur coup suivis d’un succès, auquel a succédé une autre série de cinq pannes. A défaut d’être familiarisé avec le problème, on a en effet tout lieu de sombrer dans la perplexité et le sarcasme.
Une naissance difficile
Le missile R-30 (3M30) Boulava du système de missile D-30, tel est la désignation officielle de l’objet. Sa naissance a été inattendue, dans une certaine mesure.
Dans les années 1990, les forces stratégiques nucléaires russes n’en menaient pas large (les autres unités mangeaient carrément de la vache enragée). La Russie a hérité de l’Union soviétique une multitude inimaginable de systèmes stratégiques de missile: sept systèmes sol-sol (voire plus, compte tenu de toutes les versions) et sept systèmes mer-sol, dont chacun était fabriqué par toute une série d’entreprises (situées en grande partie en Ukraine).
La nouvelle Russie démocratique n’avait pas les moyens nécessaires pour entretenir tout cet arsenal hérité de l’époque soviétique. La décision radicale a donc été prise de retirer progressivement du service les missiles parallèlement à l’expiration de la durée de vie de leurs vecteurs et/ou à l’épuisement de leur propre endurance pour les remplacer ensuite par deux système de missile unifiés à propergol solide destinés respectivement aux forces nucléaires de l’armée de terre et aux sous-marins nucléaires lanceurs d'engins.
La concurrence sur terre a été remportée haut la main par le missile balistique intercontinental RT2PM 2Topol-M (code OTAN: SS-27 Sickle B1; code russe: RS-12M2) développé par l'Institut thermotechnique de Moscou (MIT). Le système R-39UTTKh Bark a longtemps revendiqué le rôle de vecteur maritime à propergol solide. C'est une version améliorée (avant tout du point de vue des gabarits) du système susmentionné R-39 développé par le Centre national de missiles balistiques Makeïev.
Toutefois, le manque critique de ressources financières en Russie joint au début malheureux de la série des tests (trois lancements ratés sur trois) ont mis une croix sur la carrière du Bark en automne 1998. Le nouveau concours pour la création d’un missile mer-sol a été remporté par l'Institut thermotechnique de Moscou (MIT). Il a soumis un projet qui est actuellement mis en service sous la désignation de Boulava.
Quant au Bark, son destin est le sujet préféré de spéculations des amateurs de l’histoire des matériels militaires. On peut les comprendre: un système de missile pratiquement finalisé a été abandonné, une nouvelle équipe a été invitée (or, MIT n’avait pas développé de missiles mer-sol jusque-là), et le projet a été lancé ex nihilo. Dans ces conditions, il est effectivement difficile de ne pas se perdre en conjectures au sujet de lobbysme et de favoritisme. Et personne n’est encore prête à expliquer comment ce genre de décisions étaient prises par le gouvernement russe en 1998.
Selon les partisans du Bark, MIT a bluffé en promettant aux militaires d’unifier entièrement leur missile mer-sol avec le missile sol-sol, ce qui aurait évité à l’Etat d’avoir deux types d’armes stratégiques et aurait permis de réaliser des économies. Le concepteur général du missile, Iouri Solomonov, rejette cette version des faits et fait remarquer qu’il n’avait promis qu’un haut degré d’unification des systèmes dans leurs principaux éléments. Selon lui, cet objectif a justement été atteint en ce qui concerne le Boulava et le nouveau système sol-sol Iars. Il ne nous reste qu’à attendre que les documents confidentiels soient un jour publiés en confrontant pour le moment les témoignages des principaux acteurs.
Boulava, nouveau pilier de la triade stratégique nucléaire
Quoi qu’il en soit, nous assistons à un événement réellement historique: la mise en service d’un élément destiné à constituer pendant un certain temps le pilier moderne de la triade stratégique nucléaire en attendant le renouvellement de l’élément terrestre.
Les Troupes des missiles stratégiques commencent déjà à se doter de missiles Iars (missile balistique intercontinental RS-24 Iars) pour lesquels on promet d’ici la fin de la décennie un propulseur à ergols liquides (apparemment, on ne fait que commencer à constituer un cahier des charges pour son développement). Toutefois, 80% des ogives de la composante terrestre sont installés sur des vecteurs obsolètes ensilés qu’il est prévu de retirer du service d’ici 2017-2020 (bien que selon certaines déclarations faites auparavant, certains missiles puissent rester en service jusqu’en 2025).
De ce fait, un décalage se forme entre le retrait du service des ogives existantes et la mise en service de leurs successeurs. Dans ces conditions, seul le Boulava est en mesure de compléter les forces stratégiques nucléaires russes: jusqu'au renouvellement des arsenaux des Troupes de missiles stratégiques russes, les systèmes stratégiques mer-sol revêtiront une importance critique en matière de dissuasion nucléaire.
Ainsi, un nouveau chapitre viendra sans doute s'ajouter à la biographie du fameux Boulava.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction
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Source : Konstantin Bogdanov, RIA Novosti
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