Torture et mauvais traitements, usage de prisons secrètes de la CIA, transfert de détenus vers des pays où ils étaient soumis à la torture… Pour toutes ces exactions commises après le 11 septembre 2001 au nom de la lutte contre le terrorisme, l'administration Obama dispose aujourd'hui de suffisamment de preuves pour demander l'ouverture d'une enquête criminelle contre l'administration Bush. C'est ce qu'affirme un rapport publié ce mardi 12 juillet par l'ONG Human Rights Watch (HRW).
Mais Barack Obama ne l'entend pas de cette oreille.
Comment on fabrique de la "bonne foi"
L'actuel président américain avait déclaré, lors de la publication, en 2009, de documents secrets, qu'il garantirait "à ceux qui ont rempli leurs devoirs en se fiant de bonne foi aux avis juridiques du ministère de la Justice qu'ils ne feront l'objet d'aucune poursuite".
Or c'est à cette "bonne foi" que s'en prend le rapport de HRW.
L'idée n'est pas de démontrer que de hauts responsables américains ont autorisé l'usage de telles pratiques – George Bush lui-même l'a admis –, mais de mettre l'accent sur le "système de perversion du droit" qui a été mis en œuvre, notamment par le vice-président de l'époque, Dick Cheney. "Cheney est au cœur du système : c'est lui qui a convaincu les avocats d'élaborer des justifications légales afin de légitimer cette pratique", explique l'auteur du rapport, Reed Brody. Il accuse l'administration Bush de s'être "couverte" par le bureau du département de la Justice censé dire le droit, l'Office of Legal Counsel.
Dans le viseur de HRW, viennent donc, en première ligne : le président américain George Bush, son vice-président Dick Cheney, le secrétaire d'Etat à la Défense Donald Rumsfeld et le directeur de la CIA George Tenet.
Viennent ensuite les architectes de la justification légale de la torture après le 11 septembre 2001, ces fameux avocats qui ont élaboré les notes "justifiant" la torture : Alberto Gonzales (conseiller juridique du président et par la suite ministre de la Justice), John Rizzo (conseiller juridique par interim de la CIA), David Addington (conseiller juridique de Dick Cheney), William J. Haynes II (conseiller juridique du ministère de la Défense), et John Yoo (vice procureur général adjoint à l'Office of Legal Counsel).
"Tant qu’on n’aura pas poursuivi ces architectes, la décision d’Obama d’en finir avec ces affaires ne pourra pas être suivie d'effet, ce chapitre ne pourra pas être considéré comme clos", estime Reed Brody.
La polémique qui a suivi l'élimination de Ben Laden, par un commando américain le 2 mai au Pakistan, lui a d'ailleurs donné raison. Dick Cheney et Donald Rumsfeld ont montré que la question de la torture pouvait être à tout moment remise sur le tapis, en plaidant, quelques jours après le raid, pour un retour aux techniques d'interrogatoires musclées. "Certains des premiers indices" qui ont finalement conduit jusqu'à la cache de Ben Laden, avaient-ils alors assuré, provenaient d'informations obtenues notamment de suspects soumis à la simulation de noyade.
L'héritage de Bush dans l'Amérique d'Obama
Qu'attendre donc de Barack Obama ?
Si HRW entend faire une nouvelle fois pression sur l'administration américaine avec ce rapport, l'ONG ne se fait pas d'illusion de la part d'un président qui, quelles que soient ses intentions, n'a de toute façon plus beaucoup de marge manœuvre depuis qu'il doit compter avec une Chambre des représentants passée aux mains des républicains.
Mais on peut se demander aussi si le président américain n'a pas intérêt à passer l'éponge parce que lui-même n'en a pas fini avec l'encombrant héritage de son prédécesseur.
Dès son arrivée à la Maison Blanche, Barack Obama avait fait toute une série de promesses en la matière, qu'il n'a pas pu tenir : la prison de Guantanamo n'est toujours pas fermée, les tribunaux d'exception ont été rétablis, après réforme, et le procès du 11 septembre se tiendra finalement à Cuba. Il avait aussi interdit les techniques violentes d'interrogatoires. Mais dans son rapport annuel publié en mai, l'ONG Amnesty International s'inquiétait du sort réservé aux prisonniers enfermés sur la base américaine de Bagram en Afghanistan, privés de procès en bonne et due forme et soumis à des "tortures ou à des mauvais traitements".
L'organisation regrettait également que les autorités américaines gênent les efforts entrepris pour rechercher "les responsabilités aux violations des droits de l'homme" observées pendant les huit années de présidence Bush. Comme s'il voulait lui donner raison, le ministère américain de la Justice a annoncé, fin juin, qu'il abandonnait presque toutes les enquêtes sur les agents de la CIA soupçonnés d'avoir utilisé des techniques d'interrogatoire violentes, pour se concentrer sur une seule investigation relative à la mort de deux détenus.
Ce n'est pas tout. Début juillet, on apprenait qu'un responsable présumé des insurgés islamistes Shebab en Somalie, Ahmed Abdel Kader Ouarsame, arrêté le 19 avril dans le Golfe d'Aden, avait été détenu pendant deux mois sur un bâtiment américain avant d'être inculpé de terrorisme à New York.
Interrogé par le Washington Post après cette affaire, l'avocat spécialisé dans les droits de l'homme John Sifton en concluait que l'administration Obama était "en conflit avec la légalité de ses opérations antiterroristes". "D'un côté, avait-il expliqué, on retient un prisonnier de manière indéfinie, sans avocat, selon l'interprétation des lois de la guerre en vigueur sous Bush. Et de l'autre, on s'engage dans une approche plus élaborée, en inculpant les suspects, estimant que la justice civile est bien plus apte à les poursuivre que les tribunaux militaires".
Et si le salut venait d'Europe ?
Compte tendu de cette situation, Reed Brody dit placer plus d'espoirs du côté européen qu'américain. Parmi les victimes présumées de torture pendant l'ère Bush figurent des Européens. C'est donc à ce titre que des plaintes ont pu être déposées dans certains pays. Mais de ce côté-là de l'Atlantique aussi, on traîne des pieds.
Lorsque Donald Rumsfeld est passé à Paris en octobre 2007, des associations avaient porté plainte contre lui, demandant à ce qu'il soit poursuivi en France pour torture. Mais le parquet avait argué qu'en tant qu'ancien ministre de la Défense, il devait bénéficier d'une immunité.
En Espagne, des documents rendus publics par Wikileaks ont montré que l'administration Obama faisait pression sur les autorités espagnoles pour qu'elles abandonnent une enquête impliquant des officiels américains dans des affaires de torture.
Mais Barack Obama ne l'entend pas de cette oreille.
Comment on fabrique de la "bonne foi"
L'actuel président américain avait déclaré, lors de la publication, en 2009, de documents secrets, qu'il garantirait "à ceux qui ont rempli leurs devoirs en se fiant de bonne foi aux avis juridiques du ministère de la Justice qu'ils ne feront l'objet d'aucune poursuite".
Or c'est à cette "bonne foi" que s'en prend le rapport de HRW.
L'idée n'est pas de démontrer que de hauts responsables américains ont autorisé l'usage de telles pratiques – George Bush lui-même l'a admis –, mais de mettre l'accent sur le "système de perversion du droit" qui a été mis en œuvre, notamment par le vice-président de l'époque, Dick Cheney. "Cheney est au cœur du système : c'est lui qui a convaincu les avocats d'élaborer des justifications légales afin de légitimer cette pratique", explique l'auteur du rapport, Reed Brody. Il accuse l'administration Bush de s'être "couverte" par le bureau du département de la Justice censé dire le droit, l'Office of Legal Counsel.
Dans le viseur de HRW, viennent donc, en première ligne : le président américain George Bush, son vice-président Dick Cheney, le secrétaire d'Etat à la Défense Donald Rumsfeld et le directeur de la CIA George Tenet.
Viennent ensuite les architectes de la justification légale de la torture après le 11 septembre 2001, ces fameux avocats qui ont élaboré les notes "justifiant" la torture : Alberto Gonzales (conseiller juridique du président et par la suite ministre de la Justice), John Rizzo (conseiller juridique par interim de la CIA), David Addington (conseiller juridique de Dick Cheney), William J. Haynes II (conseiller juridique du ministère de la Défense), et John Yoo (vice procureur général adjoint à l'Office of Legal Counsel).
"Tant qu’on n’aura pas poursuivi ces architectes, la décision d’Obama d’en finir avec ces affaires ne pourra pas être suivie d'effet, ce chapitre ne pourra pas être considéré comme clos", estime Reed Brody.
La polémique qui a suivi l'élimination de Ben Laden, par un commando américain le 2 mai au Pakistan, lui a d'ailleurs donné raison. Dick Cheney et Donald Rumsfeld ont montré que la question de la torture pouvait être à tout moment remise sur le tapis, en plaidant, quelques jours après le raid, pour un retour aux techniques d'interrogatoires musclées. "Certains des premiers indices" qui ont finalement conduit jusqu'à la cache de Ben Laden, avaient-ils alors assuré, provenaient d'informations obtenues notamment de suspects soumis à la simulation de noyade.
L'héritage de Bush dans l'Amérique d'Obama
Qu'attendre donc de Barack Obama ?
Si HRW entend faire une nouvelle fois pression sur l'administration américaine avec ce rapport, l'ONG ne se fait pas d'illusion de la part d'un président qui, quelles que soient ses intentions, n'a de toute façon plus beaucoup de marge manœuvre depuis qu'il doit compter avec une Chambre des représentants passée aux mains des républicains.
Mais on peut se demander aussi si le président américain n'a pas intérêt à passer l'éponge parce que lui-même n'en a pas fini avec l'encombrant héritage de son prédécesseur.
Dès son arrivée à la Maison Blanche, Barack Obama avait fait toute une série de promesses en la matière, qu'il n'a pas pu tenir : la prison de Guantanamo n'est toujours pas fermée, les tribunaux d'exception ont été rétablis, après réforme, et le procès du 11 septembre se tiendra finalement à Cuba. Il avait aussi interdit les techniques violentes d'interrogatoires. Mais dans son rapport annuel publié en mai, l'ONG Amnesty International s'inquiétait du sort réservé aux prisonniers enfermés sur la base américaine de Bagram en Afghanistan, privés de procès en bonne et due forme et soumis à des "tortures ou à des mauvais traitements".
L'organisation regrettait également que les autorités américaines gênent les efforts entrepris pour rechercher "les responsabilités aux violations des droits de l'homme" observées pendant les huit années de présidence Bush. Comme s'il voulait lui donner raison, le ministère américain de la Justice a annoncé, fin juin, qu'il abandonnait presque toutes les enquêtes sur les agents de la CIA soupçonnés d'avoir utilisé des techniques d'interrogatoire violentes, pour se concentrer sur une seule investigation relative à la mort de deux détenus.
Ce n'est pas tout. Début juillet, on apprenait qu'un responsable présumé des insurgés islamistes Shebab en Somalie, Ahmed Abdel Kader Ouarsame, arrêté le 19 avril dans le Golfe d'Aden, avait été détenu pendant deux mois sur un bâtiment américain avant d'être inculpé de terrorisme à New York.
Interrogé par le Washington Post après cette affaire, l'avocat spécialisé dans les droits de l'homme John Sifton en concluait que l'administration Obama était "en conflit avec la légalité de ses opérations antiterroristes". "D'un côté, avait-il expliqué, on retient un prisonnier de manière indéfinie, sans avocat, selon l'interprétation des lois de la guerre en vigueur sous Bush. Et de l'autre, on s'engage dans une approche plus élaborée, en inculpant les suspects, estimant que la justice civile est bien plus apte à les poursuivre que les tribunaux militaires".
Et si le salut venait d'Europe ?
Compte tendu de cette situation, Reed Brody dit placer plus d'espoirs du côté européen qu'américain. Parmi les victimes présumées de torture pendant l'ère Bush figurent des Européens. C'est donc à ce titre que des plaintes ont pu être déposées dans certains pays. Mais de ce côté-là de l'Atlantique aussi, on traîne des pieds.
Lorsque Donald Rumsfeld est passé à Paris en octobre 2007, des associations avaient porté plainte contre lui, demandant à ce qu'il soit poursuivi en France pour torture. Mais le parquet avait argué qu'en tant qu'ancien ministre de la Défense, il devait bénéficier d'une immunité.
En Espagne, des documents rendus publics par Wikileaks ont montré que l'administration Obama faisait pression sur les autorités espagnoles pour qu'elles abandonnent une enquête impliquant des officiels américains dans des affaires de torture.
Mais, observe Reed Brody, il est encore permis d'espérer lorsque l'on voit qu'"en février 2011, Bush a annulé un voyage en Suisse parce que des victimes présumées de torture avaient l'intention de déposer une plainte à son encontre."
Sarah Halifa-Legrand – Le Nouvel Observateur
Sarah Halifa-Legrand – Le Nouvel Observateur
Source : dakaronline.net
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