La campagne électorale arrive en France. Et les règlements de compte internes à la droite ont commencé. Ils nous permettent d’en savoir plus sur ce qu’on connaissait déjà : la tradition des «mallettes d’argent» qui lie les chefs d’Etat français à leurs homologues africains, qui «achètent» ainsi leur tranquillité. Bien entendu, la Côte d’Ivoire est évoquée.
Il y a quelque chose de pourri au sein de la droite française. Sur fond de haine féroce, les chiraco-villepinistes et les sarkozystes, anciens et récents, se tirent dessus. Dans un contexte médiatico-judiciaire chargé. Le procès de Jacques Chirac– auquel il ne participe pas, pour des raisons médicales dit-on – est en train de se tenir. Mercredi, l’affaire Clearstream, qui désigne une cabale politico-financière lancée par Dominique de Villepin contre Nicolas Sarkozy et qui s’est retournée contre lui, sera jugée en appel.
Le même mercredi, le journaliste d’investigation Pierre Péan sort le livre-événement «La République des mallettes», une enquête sur «la principauté française de non-droit». Personne-ressource dans le cadre de cette enquête, l’avocat franco-sénégalais Robert Bourgi – à ne surtout pas confondre avec son frère, Albert Bourgi, aux choix politiques radicalement opposés – a accordé au Journal du Dimanche, une interview qui raconte de l’intérieur pour la première fois comment, depuis les indépendances, les officiels français financent leurs ambitions et leurs folies à travers des fonds occultes venus tout droit des palais africains. Bien entendu, Robert Bourgi est motivé par la rancoeur, notamment envers Dominique de Villepin, qui l’aurait «chassé». Sa description de Nicolas Sarkozy en blanche colombe qui n’a pas touché un seul centime est pathétique, d’autant plus que des révélations du quotidien en ligne Mediapart sur les rétro-commissions touchées en Libye par Ziad Takiéddine, un proche du clan de l’actuel chef de l’Etat français, sont particulièrement troublantes. Mais son témoignage est révélateur. Extraits.
Jacques Chirac : «Il y a du lourd ?»
« PENDANT TRENTE ANS, Jacques Foccart a été en charge, entre autres choses, des transferts de fonds entre les chefs d’Etat africains et Jacques Chirac. Moi-même, j’ai participé à plusieurs remises de mallettes à Jacques Chirac, en personne, à la mairie de Paris (…) C’était toujours le soir. «Il y a du lourd ?» demandait Chirac quand j’entrais dans le bureau. Il m’installait sur un des grands fauteuils bleus et me proposait toujours une bière. (…) Il prenait le sac et se dirigeait vers le meuble vitré au fond de son bureau et rangeait lui-même les liasses. Il n’y avait jamais moins de 5 millions de francs. Cela pouvait aller jusqu’à 15 millions. Je me souviens de la première remise de fonds en présence de Villepin. L’argent venait du maréchal Mobutu, président du Zaïre. C’était en 1995. Il m’avait confié 10 millions de francs que Jacques Foccart est allé remettre à Chirac. En rentrant, le « Doyen » m’avait dit que cela s’était passé «en présence de Villepinte», c’est comme cela qu’il appelait Villepin. (….) A ma connaissance, il n’y avait pas de comptabilité. Plusieurs dizaines de millions de francs par an. Davantage pendant les périodes électorales.»
Villepin et la campagne présidentielle de 2002
« A l’approche de la campagne présidentielle de 2002, Villepin m’a carrément demandé «la marche à suivre». (…) Par mon intermédiaire, et dans son bureau, cinq chefs d’Etat africains – Abdoulaye Wade (Sénégal), Blaise Compaoré (Burkina Faso), Laurent Gbagbo (Côte d’Ivoire), Denis Sassou Nguesso (Congo-Brazzaville), et bien sûr, Omar Bongo (Gabon) – ont versé environ 10 millions de dollars pour cette campagne de 2002».
Eugène Allou dans le bureau de Villepin
« [Gbagbo] m’avait demandé combien donnait Omar Bongo, et j’avais dit 3 millions de dollars. Laurent Gbagbo m’a dit : «On donnera pareil alors». Il est venu à Paris avec l’argent. Nous nous sommes retrouvés dans sa suite du Plaza Athénée. Nous ne savions pas où mettre les billets. J’ai eu l’idée de les emballer dans une affiche publicitaire d’Austin Cooper. Et je suis allé remettre le tout à Villepin, à l’Elysée, en compagnie d’Eugène Allou, alors directeur du protocole de Laurent Gbagbo. Devant nous, Villepin a soigneusement déplié l’affiche avant de prendre les billets. Quand on sait comment le même Villepin a ensuite traité Gbagbo, cela peut donner à réfléchir…».
Campagne électorale de 2002 : ce que Robert Bourgi ne dit pas
Dans son interview où il raconte par le menu les moeurs des dirigeants français en matière de gangstérisme d’Etat, Robert Bourgi évoque les 3 millions d’euros (2 milliards de FCFA) que le président Laurent Gbagbo aurait donné à Jacques Chirac comme «contribution» à sa campagne électorale. Mais cette demi-révélation n’apprendra rien de fondamental aux personnes les mieux informées à Abidjan, qui ont toutes entendu parler de cette histoire. Robert Bourgi ne raconte pas comment tout a commencé.
Cet avocat, qui a connu Gbagbo lorsqu’ils enseignaient tous les deux à l’université d’Abidjan au début des années 80, a commencé par sensibiliser le président nouvellement élu, et qui a déjà subi une tentative de coup d’Etat venant du Burkina Faso. Lors d’un repas à la Résidence présidentielle, il a expliqué, devant des convives médusés, qu’il fallait que Gbagbo soit «généreux» pour avoir la paix. Il a raconté cette pratique franco-africaine «traditionnelle», racontant ce que les autres chefs d’Etat africains, notamment Omar Bongo Ondimba, faisaient. C’est ainsi que tout a commencé…
Qu’est-ce qui a fait qu’à peine réélu, Jacques Chirac considère Laurent Gbagbo comme un ennemi personnel au point d’ériger son renversement en priorité de la diplomatie française ?
Certains à Abidjan ont considéré que le «pouvoir des professeurs », qui a donné une fois, n’a pas été «généreux» sur la durée. D’autres ont estimé que le camp Chirac savait très bien que ses alliés naturels de la droite ivoirienne seraient non seulement plus généreux, mais permettraient une exploitation néocoloniale globale de la Côte d’Ivoire autrement plus rentable – c’est ce qu’il nous est désormais donné de voir avec Alassane Dramane Ouattara…
En réalité, les révélations de Robert Bourgi n’en sont pas, vues d’Abidjan. Toussaint Alain, conseiller en communication de Laurent Gbagbo pour l’Europe, avait déjà levé le lièvre. Dans l’édition du Figaro du 7 février 2003, il avait mis Villepin en garde, dans le «feu» de Linas-Marcoussis et de la conférence de Kléber. «Villepin devrait se méfier. Les dessous des relations franco-ivoiriennes, notamment à l’époque où il était secrétaire général de l’Elysée, ne sont pas toujours très reluisants. Nous sommes un peu étonnés qu’après toutes les largesses dont la Côte d’Ivoire a fait preuve à l’égard de l’Elysée, Monsieur de Villepin se comporte ainsi. Nous aussi, nous avons des dossiers», avait-il lâché.
De son côté, Mamadou Koulibaly avait raconté, lors de rencontres politiques, le «harcèlement» auquel le clan Chirac avait soumis les autorités ivoiriennes de l’époque pour qu’elles paient leur obole françafricaine. Il vient de récidiver dans une déclaration à l’AFP. «J’ai dit au président que nous étions un pays pauvre et que nous n’avions pas d’argent à financer des élections d’hommes politiques des pays riches», se souvient-il, rappelant que Robert Bourgi avait évoqué les vertus de la «générosité».
Toutes ces «largesses forcées» n’ont pas été très rentables pour Gbagbo, en tout cas. Cinq mois après la présidentielle de 2002, Jacques Chirac, Dominique de Villepin, Omar Bongo le «Parrain» et Blaise Compaoré – qui envoyait ses sous à l’intérieur de djembés, puisque Villepin a des goûts «culturels» – parrainaient la rébellion qui devait balafrer la Côte d’Ivoire pendant neuf longues années.
Selon le conseiller Afrique de Chirac, Sarkozy a ‘‘touché’’ aussi…
Sarkozy a lui aussi touché de l’argent venu des palais africains, dans le cadre de la préparation de la campagne présidentielle de 2007. C’est en tout cas ce que dit Michel de Bonnecorse, ex-conseiller Afrique de Jacques Chirac qui affirme dans un entretien accordé en février 2011 à Pierre Péan et reproduit dans son livre "La République des mallettes". Quand «il semblait évident qu'il y aurait deux candidats à droite, Robert Bourgi estima qu'il était temps de tendre la sébile pour les deux". Ayant obtenu «de Denis Sassou Nguesso et d'Omar Bongo (ndlr: les présidents congolais et gabonais) des sommes conséquentes», il choisit de basculer totalement pour Sarkozy en avril 2006, après un revers important pour Villepin.
«Tout logiquement, Bourgi estime que désormais la route est dégagée pour Sarkozy. Villepin est cuit... Et au lieu de distribuer une mallette à chacun, il n'en fait qu'une, plus grosse, et la dépose aux pieds du ministre de l'Intérieur" de l'époque, Nicolas Sarkozy, affirme Michel de Bonnecorse.
«Et le retour sur investissement a été immédiat après l'élection de Nicolas Sarkozy: Bongo a été un des tout premiers, sinon le premier chef d'Etat appelé par le nouveau président». Mieux : «Bongo obtint alors un prêt pour l'Etat gabonais de 40 millions que Jacques Chirac lui refusait».
Jacques Chirac est incapable d’assister à son procès mais porte plainte
C’est une des bizarreries françaises. Jacques Chirac, que son entourage décrit comme atteint d’amnésie pathologique, aurait encore assez de jugeote pour porter plainte contre son ex-compagnon, Robert Bourgi. C’est en tout cas ce qu’a annoncé Jean Veil, son avocat. «A la suite des propos tenus ce jour par Monsieur Robert Bourgi, le Président Jacques Chirac m'a demandé de déposer plainte pour diffamation (…) Il est pour le moins suspect et pour tout dire scandaleux que Monsieur Bourgi ait attendu que le Président Chirac ne soit plus en mesure de se défendre pour soulager son âme délicate du poids écrasant qui, semble-t-il, pesait sur sa conscience depuis tant d'années ».
Source : Le Nouveau Courrier
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