Après avoir annoncé des conteneurs de milliards Fcfa: Ouattara déjà en difficulté de trésorerie
M. Alassane Ouattara, installé par la force à la tête de la Côte d’Ivoire, a du mal à apporter les solutions économiques du grand économiste qu’il est. La « pluie de milliards » annoncée sur nos régions et départements tarde à se concrétiser. Pour justifier sa carence, les affidés du poulain de Sarkozy ont introduit un débat malsain relative à une prétendue sortie de 340 milliards FCFA, du temps du Président Gbagbo, par le Trésor des caisses de la banque centrale, ce qui priverait le Ouattara de moyens adéquats pour faire face à ses besoins. Un spécialiste de la finance, dans cette brillante analyse, restitue la vérité.
Plus de 5 mois après la prise du pouvoir par la force par Ouattara en Côte d’Ivoire, les solutions économiques du grand économiste tardent à se faire voir et sentir, et la « pluie de milliards » annoncée tarde à se concrétiser. Conséquence, le paiement des salaires des fonctionnaires est toujours irréguliers et incomplet, les budgets des administrations sont amputés et se mettent en place difficilement. C’est à ce moment qu’un débat malsain s’est installé en Côte d’Ivoire par rapport à une prétendue sortie de 340 milliards par le trésor des caisses de la banque centrale, qui priverait le gouvernement de moyens adéquats pour faire face à ses besoins. On laisse entendre que cette somme serait sortie de la banque centrale sans contre partie, ce qui expliquerait les difficultés financières du gouvernement, notamment dans le paiement des salaires, et la mise en circulation de billets de banque totalement usés. La présente réflexion vise à éclairer le public sur les relations entre la banque centrale, les banques, le trésor et l’Etat pour que chacun puisse se faire une opinion sur le rôle de la banque centrale et les difficultés actuelles du trésor ivoirien.
1-Le rôle de la banque central dans le système monétaire et
financier d’un pays
La banque centrale est la clé de voûte du système monétaire et financier de tous les pays. C’est la banque des banques et la banque de l’Etat ou des Etats lorsqu’ils se mettent ensemble. Elle tient les comptes des banques (comptes courants ordinaires et comptes de règlement). En particulier, la banque centrale approvisionne les banques en espèces (billets et pièces), reçoit leurs versements en espèces, organise la compensation les opérations des banques sur les autres valeurs (chèques, virements et autres effets), procède à l’exécution des transferts et rapatriements de fonds avec l’étranger pour le compte des banques. Les dépôts des banques leurs appartiennent et leurs retraits (ou plus généralement les débits sur leurs comptes) se font dans les limites des fonds dont elles disposent à la banque centrale.
Les relations avec le trésor sont similaires avec celles que la banque centrale entretient avec les banques. Le trésor dépose des espèces, des chèques, des ordres de virement, des billets à ordre à la banque centrale et honore ses chèques, ordres de virement, titres ou autres valeurs du trésor arrivés à échéance et présentés à la compensation. Dans la pratique, la présentation des valeurs du trésor à la compensation se fait actuellement par la banque centrale dans les pays de l’UMOA. En d’autres termes, le trésor ne peut retirer des fonds à la banque centrale que dans la limite de ses dépôts et des crédits sur ces différents comptes.
2- La banque centrale et les comptes du trésor sous le dernier gouvernement de Gbagbo
C’est le lieu de dire que les affirmations selon lesquelles le dernier gouvernement de Gbagbo dirigé par le Professeur Aké N’Gbo aurait sorti plus de 340 milliards des coffres de la banque centrale est une fable, sauf à considérer ces chiffres comme se rapportant aux différents retraits effectués sur les comptes du trésor à la banque centrale sur cette période. Si tel est le cas, ces retraits n’ont pu être effectués que sur la base des ressources que le trésor y a déposées. Est-il besoin de rappeler que les dépenses de l’Etat de Côte d’Ivoire dépassent largement les 100 milliards de F.CFA par mois. Rien que les dépenses de personnel y compris les salaires des EPN, des ambassades, des structures autonomes, et les pensions se montent à plus de 95 milliards. Si on y ajoute le service de la dette et les dépenses de fonctionnement, on est bien au-delà de 100 milliards. Cela ferait au bas mot 400 milliards sur les 4 mois qui vont de décembre 2010 à mars 2011. Pour faire face à ses dépenses, l’Etat de Côte d’Ivoire, comme tous les Etats au monde du reste, utilise les ressources qu’il garde au trésor ou à la banque centrale, qui est sa banque. C’est ce que les gouvernements Gbagbo, y compris celui dirigé par le Premier ministre Aké N’Gbo, ont toujours fait. D’ailleurs, le rapport de gestion de la direction générale du Trésor (sous la direction de Djédjé Mama) a été jugé satisfaisant (ayant obtenu le quitus) lors de la passation des charges avec l’actuel directeur général.
Si l’actuel gouvernement a des difficultés pour faire face à ses dépenses, si le Trésor a des difficultés pour effectuer des tirages sur ses comptes à la BCEAO aujourd’hui, il faut rechercher les causes réelles ailleurs. Tout d’abord quel est le rythme des dépôts à la banque centrale (versements quotidiens, hebdomadaires et mensuels d’espèces et d’autres valeurs par les régies financières) ? Entre décembre 2010 et mars 2011, malgré les sanctions de l’Union Européenne sur l’instigation de Ouattara (embargo sur les ports ivoiriens, embargo sur le cacao ivoirien, gel des avoirs des entreprises publiques y compris les banques), malgré le désordre et les perturbations créées par les manifestations de l’opposition et la violence de la rébellion, notamment à travers le « commando invisible », avec le pays toujours coupé en deux, les régies financières (la Direction générale des Douanes, DGD et la Direction générale des Impôts, DGI) ont pu effectuer chacune des versements hebdomadaires moyens compris entre 10 et 15 milliards de FCFA. Aujourd’hui les versements de ces régies sont bien en dessous de ces niveaux comme cela semble être le cas du fait du pillage des régies par les rebelles, de la démotivation et surtout des caisses parallèles tenues par les chefs rebelles. Il en va ainsi à Abidjan et dans les villes de l’intérieur du pays Zone CNO et hors zones CNO comprises. Ce n’est donc pas étonnant que les caisses du trésor soient vides et ses comptes à la BCEAO à sec. Ensuite, on peut se demander quel est le rythme des paiements au titre du service de la dette extérieure (multilatérale, bilatérale et vis-à-vis du club de Londres), ainsi que la régularisation de la situation avec la BCEAO ? En l’absence de « la pluie des milliards », tous ces paiements ne peuvent qu’obérer la trésorerie disponible pour les autres dépenses (dépenses de personnel, dépenses de fonctionnement et dépenses d’investissement).
3- Les relations entre la banque centrale et l’Etat
Les relations avec l’Etat portent à la fois sur les opérations du trésor décrites ci-dessus et les autres opérations qu’il convient de présenter. Il s’agit de la gestion des disponibilités et de la gestion des réserves. La banque centrale est également chargée de l’application de la réglementation bancaire.
Relativement à la gestion des disponibilités, la production et la distribution des signes monétaires dans toute économie moderne est du ressort de l’Etat. Comme la monnaie n’est pas un bien privé, c’est de la responsabilité de l’Etat de garantir cela. Ce dernier en confie la réalisation technique à la banque centrale. C’est la raison pour laquelle le seigneuriage revient à l’Etat, généralement à travers le résultat net de la banque centrale. Ainsi, la banque centrale produit les signes monétaires (billets et pièces), assure leur garde et organise leur mise à disposition aux opérateurs économiques et au public. Si ce processus est bloqué, le responsable en dernier ressort, c’est l’Etat. C’est une question d’intérêt général. Dans ces conditions, si la banque centrale refuse délibérément et sans raison valable de remplir la mission technique qui lui a été confiée, l’Etat est en droit de prendre toutes les dispositions pour y pallier.
Au niveau des réserves, la constitution et la gestion des réserves (à la fois en devises et en monnaie nationale) est de la responsabilité de l’Etat, car c’est à lui qu’incombe la gestion des relations avec l’extérieur. Ici aussi, l’Etat concède généralement l’essentielle de cette responsabilité à la banque centrale qui gère ses principaux « comptes de transfert ». Les opérations avec l’extérieur s’effectuent sur ces derniers. Le dénouement des exportations/importations, des opérations d’investissements étrangers et à l’étranger, des transferts de/vers l’étranger transitent pour l’essentiel par la banque centrale.
C’est également à la banque centrale qu’est confiée par délégation l’application de la réglementation bancaire. C’est elle qui instruit les dossiers de demandes et de retraits d’agréments, organise la supervision des banques et établissements financiers, et fait respecter les ratios prudentiels.
A partir de tous les éléments présentés ci-dessus, on voit bien le rôle central que joue la banque centrale dans la vie économique d’un pays. Aucun pays au monde ne peut vivre économiquement sans banque centrale. Dans le cas spécifique d’une union monétaire, il y a une mutualisation des charges. Aussi, en plus des besoins des Etats membres la banque centrale doit veiller à l’équilibre de l’union dans son ensemble. Mais en aucun cas ceci ne signifie que l’union monétaire peut étouffer impunément un Etat membre sans aucun fondement et en se référant à ses missions qui sont avant tout techniques. C’est ce qui s’est passé pendant la crise postélectorale survenue en Côte d’Ivoire en novembre/décembre 2010. Quand l’union monétaire s’est invitée dans le débat politique en Côte d’Ivoire pour dire qui a été élu, et sur cette base a engagé un bras de fer avec le Président en exercice d’alors, elle a poussé la banque centrale hors de son champ d’action normal. Cette dernière a alors posé des actes iniques et inédites pour une banque centrale : déni de la signature des personnes nommées par le président légal, tentative de fermeture et isolement informatique de la direction nationale et des agences de la banque centrale en Côte d’Ivoire, manœuvres pour amener les banques privées à fermer leurs bureaux en Côte d’Ivoire, suspension du RTGS et de toutes les plates-formes informatiques communautaires en Côte d’Ivoire, fermeture des démembrements de la banque centrale (Commission bancaire, Commission régionale des valeurs mobilières et bourse régionale des valeurs mobilières). On n’a jamais vu une union s’acharner autant contre un Etat membre pour imposer un dirigeant à la tête de ce dernier.
Manifestement l’union et la banque centrale commune se sont éloignées fortement de leurs missions pour agir comme le bras avancé de la coalition qui voulait abattre à tout prix le Président en exercice de cette période, M. Laurent Gbagbo. C’est, entre autres objectifs, pour éviter une telle situation que l’indépendance de la banque centrale est souvent adoptée par les pays. L’autre raison est d’éloigner le spectre de la planche à billets, tentation toujours présente là où la banque centrale est totalement inféodée au pouvoir politique. L’indépendance de la banque centrale est un principe de gestion moderne adopté par de nombreux pays, y compris ceux de l’UMOA. Elle vise à protéger la banque centrale des manipulations politiques et permet à l’institution de jouer pleinement son rôle de conseiller du pouvoir politique. Nonobstant le principe sacro saint de cette indépendance, les banques centrales des pays en développement peuvent jouer une plus grande mission de développement.
Conclusion
Comme on peut l’observer, les relations entre le trésor et la banque centrale sont claires. Quand ce dernier y a déposé des fonds, il peut faire tous les tirages dans les limites des fonds disponibles. Si le trésor ne dispose pas de fonds sur ses comptes à la banque centrale il ne peut y effectuer des tirages. Exactement comme un particulier qui ne peut faire de retraits ou tirer un chèque sur son compte à la banque s’il n’y a pas de provision. J’espère que ces éléments auront permis de mettre fin à cette confusion de genres qui tente maladroitement de masquer l’incapacité, voir l’incompétence du gouvernement à apporter des réponses aux défis économiques actuels de la Côte d’Ivoire. J’espère également que la présentation de l’importance cruciale de la banque centrale pour le fonctionnement normal de toute économie aura permis de comprendre la mesure de réquisition prise par le Président Gbagbo quand la BCEAO s’est écartée de son rôle technique pour s’inviter dans le débat politique lors de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire. Cette mesure était indispensable pour assurer la continuité des services de la banque centrale et, partant, des activités économiques dans le pays.
J.C.T
Par Jean Charles Tiémélé, Economiste, Financier
Source : notrevoie
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire