Gervais Coulibaly.
Publié le vendredi 28 octobre 2011 | L'Inter - Gervais Coulibaly, ancien porte-parole de Laurent Gbagbo, l'ex-chef de l'Etat ivoirien, est désormais à la tête d'un parti politique, le Cap Unir pour la démocratie et le développement (Cap-Udd), un parti membre du Cnrd. Dans l'entretien qui suit, il parle des élections législatives, de ses camarades en prison et exilés, ses rapports avec les nouvelles autorités et son nouveau combat politique.
M. Coulibaly Gervais, le CNRD, une organisation à laquelle vous appartenez, a produit récemment une déclaration pour demander le report des élections législatives. Pensez-vous que vous serez entendu ?
Je voudrais vous remercier d’être venu à moi, suite à la déclaration faite par un certain nombre de partis politiques membres du CNRD à propos des élections législatives. Je suis convaincu que les autorités de la Côte d’Ivoire vont la lire en profondeur et en tirer les conséquences. Notre objectif était moins de demander le report des élections que de demander des élections apaisées, des élections qui puissent aider la Côte d’Ivoire à sortir de cette déscente aux enfers à laquelle nous assistons depuis une décennie voire un peu plus.
Les nouvelles autorités sont-elles disposées à remplir les conditions que vous posez pour aller aux élections ?
Oui, je pense que les autorités devraient être dans les dispositions qu’il faut pour remplir ces conditions-là. Ce ne sont pas des conditions propres à nos organisations politiques. Il s’agit de l’environnement qu’il faut créer pour aller à des élections normales. Vous convenez avec moi que quand on veut aller à une élection, il faut bien sûr la sécurité pour les différents protagonistes. Aujourd’hui, personne n’en doute, et le gouvernement lui-même l’a dit, la question de la sécurité en Côte d’Ivoire est un problème récurrent. Vous ne pouvez pas circuler aujourd'hui et aller parler politique partout. Ce n’est pas tout le monde qui peut le faire. Nous demandons simplement que les normes étatiques soient remises à leur place, que les personnes qui n’ont pas le droit d’être en armes, ne soient pas en armes ; que les personnes qui ont le droit d’être en armes parce que nos lois le leur permettent, soient en armes. Par exemple, que ceux qui ne sont pas policiers et qui sont dans les commissariats les libèrent afin que les policiers puissent s’installer et faire leur travail ; que les brigades de gendarmerie soient libérées pour permettre aux gendarmes de faire leur travail et que ceux qui sont militaires retournent en caserne pour aller faire leur travail qui est d’assurer la sécurité de l’Etat s’il est attaqué. C’est assez clair dans notre législation et c’est ce que nous demandons. Et quand une condition comme celle-là est remplie, cela met tout le monde à l’aise. Nous pensons que c’est fondamental, c’est essentiel, c’est même crucial. C’est une condition tout à fait importante et nous croyons que les autorités en place, en ont conscience et vont donc faire le travail qu’il faut pour qu’on puisse avoir cette sécurité-là.
Jusqu’à quand pensez-vous que le report que vous demandez peut durer ?
Voilà ce que nous disons : il faut créer un environnement propice aux élections. Nous avons parlé des questions sécuritaires. Nous avons aussi parlé de nos camarades détenus, à commencer par la tête, le premier camarade qui est le président Laurent Gbagbo, son épouse et tous les autres qui sont incarcérés dans différentes villes du Nord de la Côte d’Ivoire. Il y en a quelques uns qui sont à Abidjan. Nous demandons simplement qu’on les libère afin que nous soyons tous à l’aise pour aller à ces élections. Nous demandons qu’on crée les conditions de retour de ceux qui sont en exil. Et puis, il y a les déplacés internes. Regardez à Duékoué. Comment voulez-vous qu’on aille à des élections pendant qu’il y a encore des gens à la mission Catholique et qui ne peuvent pas rentrer dans leurs villages ? Ceux-là, qu’est-ce qu’on en fait ? Ils doivent participer au choix des personnalités qui vont être envoyées à l’Assemblée Nationale.
Tout cela pourrait prendre beaucoup de temps...
Ça ne prend pas du temps pour créer ces conditions-là. Pour libérer les camarades, qu’est-ce qu’il faut ? Il s’agit de prendre une décision et ils seront libérés. Pour permettre à nos camarades ou aux populations qui demeurent encore dans les camps de refugiés de regagner leurs localités d’origine, il faut combien de temps ? C’est encore une décision. Il s’agit d’une volonté politique, la volonté vraie de faire ce genre de chose. Ensuite, nous avons demandé que la CEI, qui est l’organe arbitre qui organise les élections, soit revisée et équitablement composée. Il y a 31 membres ; sur les 31, le CNRD en a 4. Franchement ! Comment voulez-vous que nous ayons confiance dans les résultats de cette institution? On a jusqu’à 27 sièges qui appartiennent au seul RHDP. C’est difficile à concevoir. Et je crois que les autorités sont disposées à régler ce problème. C’est une décision qu’il faut prendre et nous pensons qu’elle peut être prise. Pour le gel des avoirs, il n’a pas fallu beaucoup de jours pour geler. Il a fallu un jour ou deux, et une décision. Il faut donc une autre décision pour dégeler. Vous voyez que tout peut se faire très vite. Il ne s’agit pas d’attendre des années. Il s’agit de créer des conditions pour que des Ivoiriens se retrouvent pour aller à des élections en chantant. Je voudrais qu’on se rappelle ce que j’avais dit avant les élections présidentielles. J’avais dit : « prenons le temps d’aller très vite aux élections ». Je le redis aujourd’hui : « prenons le temps d’aller très vite aux élections législatives ». Souvenez-vous en 2000, avec le général Guei, nous nous sommes précipités pour aller aux élections. Le climat n’y était pas du tout favorable et , il y avait cependant des pressions de toutes parts, on y est allé, et on a vu les résultats. Nous sommes encore allés en 2010 à des élections alors que les accords politiques de Ouagadougou n’avaient pas encore été totalement appliqués. Trois mois avant, il aurait dû y avoir le désarmement, l’encasernement. Cela n’a pas été fait. Nous sommes allés aux élections. Résultats : on a perdu près de 6 mois et avec combien de morts à la clé ? Qu’est-ce qui peut justifier qu’on recommence la même chose avec les élections législatives, que l’on veut tenir dans la précipitation, pour après s’arrêter et régler les problèmes que cette précipitation aurait créés.
Dans vos conditions, il y a la question des prisonniers qu'il faut libérer. Les autorités parlent pourtant de justice pour mettre fin à l'impunité..
Ecoutez ! Moi je pense que la justice, tout le monde la veut. Mais aujourd’hui, on parle de justice, et c’est dans un seul camp qu’il y a tous ceux qui sont mis aux arrêts. La justice n’est pas unijambiste, monocolorée. Elle devrait être la même pour tout le monde. Et puis, est-ce qu’on a vraiment besoin d’aller à la Cour Pénale Internationale (CPI) ? La législation ivoirienne permet de régler ce problème en Côte d’Ivoire. Pourquoi est-ce qu’on ne pourrait pas le faire ici ? Est-ce parce qu’on n’a pas confiance en notre justice ? Nous voulons aller à la réconciliation, pourquoi ne pas créer les conditions de la réconciliation ? On peut le faire. On peut simplement s’asseoir, parlez, trouver les solutions à tous ces problèmes et créer les conditions d’une vraie réconciliation. Je pense que les Ivoiriens ont assez souffert, le peuple a assez pleuré, le sang a assez coulé dans ce pays. Prenons le temps, ne nous pressons pas. Arrêtons-nous, réglons les problèmes franchement et puis après, nous pourrons avancer sereinement. Pourquoi est-ce qu’on veut rester dans les magnans pour enlever les magnans ?
Par quel problème devrait-on commencer, selon vous ?
Il n’y a pas de hiérarchisation à faire. Tout cela peut être fait en même temps. On peut libérer les prisonniers, créer la sécurité, dégeler les comptes, revoir la composition de la CEI en même temps. On peut faire tout cela, si on est vraiment pressé d’aller aux élections. On peut le faire ensemble, et en une fois. Discutons franchement entre nous, en Ivoiriens, en frères que nous sommes, et nous allons trouver la solution à nos problèmes. Des solutions durables parce que consensuelles et apaisées.
Pendant les élections précédentes, la CEI n’était pas équilibrée, pourtant on y est allé quand-même. Est-ce que l’équilibre de la CEI doit constituer un préalable à ces élections-là ?
Absolument ? non, nécessairement ? oui. Retenez qu’elle n’était pas équilibrée, mais c’était en faveur de qui ? Elle était déséquilibrée parce que, nous y étions moins représentés parce que nous étions au pouvoir. Il fallait rassurer ceux qui se sentaient en position de faiblesse. Aujourd’hui, nous nous sentons en position de faiblesse, parce que nous ne sommes pas au pouvoir. Donc c’est nous qu’il faut rassurer.
Et l’équilibre au sein de la CEI va vous rassurer ?
L’équilibre nous rassurera parce que l’équilibre fait au sommet se ressent dans les bases. Si le CNRD peut être représenté, avoir la moitié, c’est déjà un signe de bonne volonté pour ne pas qu’il y ait des contestations à l’issue de ces élections. Parce que si une des parties est en même temps arbitre et joueur, vous comprenez que les dés sont pipés. Même s’il n’y a pas eu de tricherie, on est en droit de douter.
Que pensez-vous de ceux qui disent que les exilés LMP ne facilitent pas leur retour à travers des déclarations tapageuses ?
Je n’en pense rien, moi. Je crois surtout que chacun essaie de mener la lutte en utilisant les arguments, les moyens dont il dispose. Comprenez-les, comprenez-nous.
Depuis votre retour au pays, des questions se posent. Gervais Coulibaly serait en deal avec les nouvelles autorités, on vous trouve moins dur que par le passé.
Ecoutez ! je ne suis pas moins dur dans mon engagement, maintenant, qu’autrefois. J’ai toujours fait l’effort d’être courtois et mesuré dans mes propos. Je parle avec tout le monde quelle que soit la sensibilité politique des uns et des autres. Cela est peut-être dû au fait que je suis préfet de profession. Je tiens cependant à éviter la langue de bois et je dis ce que je pense et je pense aussi ce que je dis. J’essaie toujours d’être humble tout en veillant à rester digne ; je n’ai donc aucun deal avec qui que ce soit.
Vous avez créé un parti politique récemment. Y avait-il vraiment besoin de créer ce parti dans une situation aussi difficile ?
Oui, les grandes choses se font et doivent se faire en temps opportun. Nous étions un mouvement de soutien, qui soutenait le président Laurent Gbagbo. Nous nous étions donné pour mission de l'aider à être réélu. C'était ça le Cap-Ur Lg. Quand la situation a été celle que nous avons vue, nous nous sommes retrouvés, et les camarades ont pensé qu'il était temps que nous devenions un parti politique, vu déjà la manière dont nous étions organisés, et vu les problèmes du moment, afin de pouvoir dire notre part de vérité. C'était pour nous un besoin impérieux. Nous l’avons fait et nous sommes au CNRD.
La création de votre parti peut être perçue comme une sorte de trahison. Avez-vous des nouvelles de votre ancien patron ?
Vous savez, ils ne sont pas nombreux les Ivoiriens qui ont des nouvelles du président Laurent Gbagbo qui, je le rappelle, est en résidence surveillée à Korhogo. Je ne crois pas qu'il dispose d'un téléphone pour qu'on puisse l'appeller. Donc il est difficile pour moi d'avoir de ses nouvelles. J'attends que ceux qui arrivent à le rencontrer, me donnent quelques nouvelles de lui. Maintenant, vous me parlez de trahison. Quelle trahison ? Avoir trahi qui ou quoi ? Je n’ai certainement pas trahi le président Gbagbo en créant un parti qui se bat pour sa libération; bien au contraire ! Je voudrais ensuite faire remarquer que je n’ai jamais été membre du FPI, je ne peux non plus l’avoir trahi. Nous sommes des partis alliés dans le CNRD. Alors de quelle trahison parle-t-on,? Je souhaite que l’on me juge à mes actes. Tout le reste n’est que distraction et délation.
Quels sont vos rapports avec le ministre de l'Intérieur, Hamed Bakayoko ?
Ecoutez, le ministre de l'Intérieur Hamed Bakayoko, est un frère que j’apprécie et qui m’apprécie. Nous faisions ensemble les conseils des ministres, puisqu'en tant que porte-parole du président, j'assistais aux conseils des ministres; nous avions de bons rapports. Pour moi, la politique, ce n'est pas un champ de bataille, où comme des chiffonniers on se tape dessus sans raison. J'avais d’ailleurs de bons rapports avec les autres ministres de l'opposition, Rdr, Pdci, etc. mais des rapports cordiaux. J'ai conservé ces rapports. Le ministre Hamed Bakayoko a ses convictions politiques, j'ai mes convictions politiques. Nous avons en commun, l'intérêt de la Côte d'Ivoire. Je lui dis ce que je pense, dans l'intérêt du pays et lui de même.
Avec ces bons rapports que vous entretenez avec les nouvelles autorités, avez-vous formulé une demande pour rencontrer Laurent Gbagbo?
Oui bien sûr, mais ce n’est pas encore possible. Le jour où ça sera possible, on me le dira. Mais ce qu'il faut savoir, c'est que je n'ai pas formulé de demande pour moi spécifiquement, mais pour tout le groupe auquel j'appartiens, à savoir le Cnrd. Que j'aille seul rencontrer le président Laurent Gbagbo, qu'est-ce que cela apporte ? Par contre, si c'est l'ensemble des partis qui soutiennent le président Gbagbo, qui va le rencontrer, je pense que c'est déjà un grand pas dans le cadre de la réconciliation.
Avez-vous des nouvelles du nouveau porte-parole de Laurent Gbagbo, Koné Katinan Justin ?
Oui, naturellement, puisque j'étais au Ghana. J'ai donc des nouvelles de Koné Katinan, c'est mon jeune frère, et nous échangeons quand c'est opportun.
On parle de brouille entre vous depuis qu'il a pris votre place...
Non ! Katina n’a pas pris ma place. Moi, j'étais le porte-parole du président de la République; lui, il est le porte-parole et représentant personnel du Président Laurent Gbagbo. Ce n’est pas la même chose. Mon jeune frère et moi, je l'ai déjà dit plusieurs fois, il n'y a aucune brouille entre nous. Et ce ne sont pas ces situations-là qui peuvent créer des problèmes entre deux personnes qui s'estiment comme lui et moi nous nous estimons. Dans la vie, quand vous voulez avancer, acceptez qu'on vous change de place de temps en temps. Sinon vous ferez du sur-place. Entre le ministre Katinan et moi, tout va bien.
Vous avez fait récemment la présentation de votre parti politique. Quelle est la prochaine étape ?
Nous travaillons au sein du Cnrd à faire évoluer les points que nous avons soumis aux gouvernants. Quand nous aurons fini cette étape, nous ferons l'implantation de notre parti sur le territoire national. Ce qui ne sera pas très difficile, parce que nous avons déjà des bases un peu partout sur le territoire.
Le Cap-UDD est-il intéressé par les législatives ?
Nous sommes en discussions, nous sommes membre du Cnrd et nous suivons les mots d'ordre du Cnrd. Si demain, après les discussions tout se passe bien, on verra.
On devrait s'attendre à une candidature de Gervais Coulibaly quelque part ?
Ce n'est pas cela qui est important. Et si un jour je dois être candidat, c'est le parti qui décidera. Mais pour le moment, il n'en est pas question. Il n'est pas question d'aller ou de ne pas aller aux élections. Nous travaillons d'abord à régler les problèmes que nous avons soumis aux autorités en place. Il sera toujours temps après, de voir si nous allons aux élections parce que les conditions en seront remplies, ou si nous n'y allons pas parce que les conditions ne sont pas remplies.
Entretien réalisé par Hamadou ZIAO
Source : Ivoirebusiness
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