vendredi 3 février 2012

Mmes Pulvar, Rolland et consorts, lisez-donc Amina ou Miss Ebène !


A fréquences plus ou moins rapprochées, le microcosme people noir, glamour et parisien est parcouru de terribles secousses annonçant un soulèvement qui n’arrive jamais (malheureusement). Les prises de paroles enflammées se succèdent dans les médias dominants, qui stratégiquement accueillent dans leurs studios ou sur leurs plateaux, les trop rares porte-voix d’une communauté noire en manque de repère. 
Ceux-ci ont alors la possibilité de s’exprimer, «librement », sur le sujet menaçant de déclencher la révolte tant de fois annoncée (mais qui ne vient toujours pas), et de procéder sans langue de bois à une remise en question, éminemment superficielle, d’une société française structurellement raciste. 


S’ensuit selon les usages un appel à signer la pétition qui changera la situation d’une minorité, qui bien que colorée demeure invisible dans bien des secteurs d’activité (syndrome Harry Roselmack). Parfois restant entre gens de bonnes conditions, la pétition demeurera «privée», réservée à quelques happy few, dont les noms apparaîtront bien en évidence sur le support attestant de l’existence de l’initiative hype, mais citoyenne…


ELLE est comme Guerlain…


En novembre 2010, ce furent les propos énoncés par un papy gâteux et raciste, sur le plateau du journal de France2, présenté par une Elise Lucet bon public et hilare, qui mirent le feu aux poudres.(Voir ici


L’indignation qui en découla fut à la mesure du caractère offensant de la répartie de Guerlain. Elle choqua et blessa la communauté noire dans son ensemble, elle choqua et blessa une très petite partie de la France prise dans sa totalité. 


Chacun y allât de sa petite phrase parmi les opinions maker et les people noirs, plusieurs rassemblements furent organisés sur les Champs Elysées, on jurât ses grands dieux de ne plus jamais acheter Habit-rouge ou Samsara ! 


L’enseigne Guerlain, elle, fut indemnisée par son assurance, pour le manque à gagner occasionné par la présence dissuasive de noirs plus ou moins énervés, empêchant l’accès à la boutique. 


La mobilisation, nécessaire, ne débouchât sur rien de tangible, mais permis à beaucoup de prendre conscience que le ras-le-bol du racisme structurel français était partagé par l’ensemble des citoyens à peau noire et qu’il avait été décidé de ne plus jamais être silencieux. 


Plus jamais ça ! Serment fut prêté : c’était la dernière fois que l’on tolèrerait de tels écarts de langage. 


La dernière, avant la prochaine…


Surprise, le 13 janvier 2012, le magazine ELLE, petit livre vert (dollar et euro) de la mode branchouille parigo-parisienne, guide de la fashion victim ayant échappée aux affres de la récession sarkozienne, se fend d’un article d’une portée ethnico-philosophique de haute volée sur les progrès accomplis par les femmes noires, se dirigeant en ligne droite vers l’eldorado de l’uniformisation vestimentaire et du consumérisme imbécile. 


Oubliant qu’il existait des femmes noires en France (Eh oui, et pas qu’à Paris !), la rédactrice de l’article pris pour mètre-étalon, les people afro-américaines et la première d’entre elle, Michelle O (Obama et non Onassis). 


La femme de prix Nobel se voit décrite comme la grande prêtresse de la bien-sapance noire. Compilant clichés et affirmations borderline : “la ‘black-geoisie’ a intégré tous les codes blancs..”… “Le chic est devenu une option plausible pour une communauté jusque-là arrimée à ses codes streetwear.”… ”C’est toujours classique avec un twist, bourgeois avec une référence ethnique (un boubou en wax, un collier coquillage, une créole de rappeur…”, le papier affiche une tenue et un niveau conceptuel que d’aucuns décriront comme affligeants. 


En valait-ELLE la peine?


En toute honnêteté, ce texte prête plus le flanc au mépris qu’à la vindicte, la lecture de la presse française regorgeant quasi-quotidiennement de propos de cet acabit. Ainsi le 29 janvier, l’amateur de ballon rond pouvait consulter, sur le site francefootball.fr, cet article “Rolland de Niamey” (tout un programme) du journaliste Frank Simon. 


Voici après la journaliste de ELLE, une autre plume d’excellence, jugez-en par vous-même: «Pour le fun, on aurait aimé voir «coach Rolland» sur le moyen terme, travailler en profondeur plutôt que de se contenter d’un «one shot» sans lendemain. On a même cru qu’il s’enticherait, comme tant d’autres avant lui, du continent africain, de ses mystères et de ses gens si attachants ». Bizarrement, la nature discriminante aux relents coloniaux de ces propos ne fera pas de bruit, le site ne devant pas être connu de la black-geoisie people… 


Ce qui n’est pas le cas du magazine ELLE, dont l’article va faire le tour de la blogosphère, en soulevant son quota d’indignations sincères (et feintes) comme le doit tout bon sujet portant à polémique. Audrey Pulvar va immédiatement faire entendre haut et fort les voix de ces black-geoises, qui n’acceptent certainement pas d’être ravalées au rang d’une Michelle Obama du pauvre, stigmatisées comme fashion victims venant juste de descendre de l’arbre et ne saisissant pas toute la finesse des dress-codes de la mode made in Occident. 


La passe d’armes aura lieu en deux temps, tout d’abord à travers un édito lu par Audrey Pulvar sur France Inter, le Jeudi 25 janvier au matin, et par la suite à l’occasion d’un face à face avec Valérie Toranian, directrice de la rédaction de ELLE, le vendredi 26 janvier 2012, sur le plateau du Grand Journal de Canal +. Valérie Toranian, repoussant les limites de la mauvaise foi et de la stupidité, soutiendra qu’elle n’avait que de bonnes intentions, que ce papier, s’il a pu être perçu comme offensant, avait été rédigé avec les meilleures intentions du monde. Un cri d’amour à la femme noire en somme, rempli des mêmes bonnes intentions dont les enfers sont pavés…


Le comportement de Mme Toranian n’est ni décevant, ni même étonnant, il n’est que l’une des traductions tangibles du racisme structurel (nous utilisons cette expression à dessein) dont souffre la société française. Il est tout à fait normal, voire salutaire, de s’opposer et de châtier avec la plus grande fermeté la parole raciste, et le cas échéant, engager sans hésiter des poursuites pénales si les conditions sont remplies d’un point de vue légal.


Néanmoins, est-ce une raison suffisante pour perdre tout sens du réel et faire preuve de si peu de perspicacité ? 


Dans une tribune signée en quasi-totalité par des black-geois people, sont posées des questions des plus dérisoires et qui ne lassent pas d’étonner.(Voir ici.) Le titre : «A quand une femme noire en couverture de ELLE?», est le symbole de l’égarement qui saisit les élites noires lorsqu’il s’agit d’œuvrer avec justesse et dans le sens de l’affirmation du citoyen à peau noire, au niveau des différentes strates de la société française. 


Absurdité et confusion…


Au risque de recevoir une volée de bois vert de la part de la bien-pensance black-geoise, les noirs de France ont d’autres problèmes bien plus cruciaux à traiter avant que de lutter pour une inutile place en couverture de ELLE! La confusion de la ligne revendicative se retrouve dans l’ordre même des doléances exprimées dans le texte : « …pourquoi ne pas y adhérer en recrutant par exemple plus de rédactrices noires ? Et pourquoi pas, soyons fous, choisir une femme noire pour poser sur la couverture du magazine? Juste une fois, pour voir ? Deux millions de femmes noires en France, qui dépensent sept fois plus d’argent dans les cosmétiques que leurs congénères blanches, et dont le pouvoir d’achat grandissant constitue un marché en expansion pour les produits de beauté et de mode, est-ce si négligeable? ». 


Il en ressort qu’il est plus fou, donc plus fort, d’un point de vue symbolique de voir un modèle noir, posant en première page du magazine que de savoir des collaboratrices noires au sein de la rédaction.



De quoi parlons ici, que devons-nous comprendre ? Selon la black-geoisie, le graal, l’ultime marque d’acceptation de la femme noire serait de devenir une adepte du consumérisme imposé dans les pages de ELLE ? Ce raisonnement absurde est d’autant plus évident que la tribune indique, chiffre à l’appui que les femmes à peau noire sont des clientes comme les autres, voire même de meilleures, puisqu’elles dépensent sept fois plus en produits cosmétiques (pour la plupart d’ailleurs inadaptés aux peaux noires et symbolisant les complexes frappant une majorité de femmes noires. Rajouts de vrais ou faux cheveux lisses, produits éclaircissants etc…). Ainsi pour valoriser la femme noire, et lui faire sauter le pas définitif vers son intégration pleine et entière à la communauté française, sont avancés les éléments réflexifs qui la cantonnent au rôle ingrat et peu valorisant de simple consommatrice! 


Pauvreté de la pensée revendicative et de l’argumentation qui s’y rattache! 


En exposant comme moyen principal pour la femme noire (et la communauté noire par extension) la consommation à outrance comme preuve d’intégration à la communauté nationale, les auteurs de cette tribune ont fait un amalgame détestable entre l’appartenance à la communauté nationale et le statut de consommateur, entre citoyenneté et consumérisme. Quelle preuve de reconnaissance sociale la chosification de la femme emporte-t-elle ? 


En clair, être en couverture d’un magazine comme ELLE, qui est à l’émancipation de la femme ce qu’est la possibilité de poser nue en couverture de Hot Vidéo, n’est qu’une vue de l’esprit, surtout lorsqu’on considère que la femme y est avant tout perçue comme consommatrice potentielle et non comme femme… 


D’ailleurs qu’en est-il des femmes ne consommant pas ou très peu ? N’entrent-elles pas en ligne de compte ? L’absurdité poussée à son paroxysme : il faut donc payer et consommer pour être acceptée et démontrer son appartenance, l’homme noir qui reste marqué à des degrés divers par l’épisode dramatique de l’esclavage doit-il accepter de repasser par la case «marchandisation» pour être ?


Les revendications affichées dans cette tribune sont, aux mieux ridicules, au pire insultantes car vectrices d’aliénation. De plus, lire ELLE ou y figurer revêt-il un caractère obligatoire ou sacré?


Vous n’avez pas besoin d’ELLE…


N’y aurait-il pas, à tout hasard, une presse spécialisée dans les soins nécessaires à la beauté noire ? N’est-il pas plus logique et simple de soutenir la presse communautaire, mieux à même d’apporter conseils et références utiles à toute femme noire en quête de réponses quant aux cosmétiques et tendances de la mode qui lui correspondent ? Mmes Pulvar, Rolland et consorts, lisez-donc Amina ou Miss Ebène ! Vous y trouverez des modèles noires en couverture ! Les conseils dispensés pour votre beauté et bien-être émaneront de journalistes, rédactrices et spécialistes en tous domaines qui seront à même de vous éclairer utilement, tout simplement parce qu’elles connaissent la nature véritable de vos problèmes de peau ou capillaires ! Il ne s’agit ici que de bon sens, de plus la rédaction de ELLE a encore le droit de décider qui elle souhaite mettre en couverture et ne pas accepter de suivre à la lettre la bien-pensance made in Canal+. La question des rédactrices noires est tout autre, il relève de l’arsenal législatif en matière de lutte contre les discriminations dans la branche du droit du travail, que les juridictions compétentes n’usent qu’avec trop de parcimonie.


Nous voyons dans cette poussée revendicative le désir d’une élite qui ne souhaite inconsciemment individuée comme noire, car au terme noir restent accolés pléthores de concepts et idées péjoratifs. Malheureusement ce ne sont pas des retouches cosmétiques qui feront évoluer l’image de la femme noire dans la société française, ni la fuite en avant vers plus de consommation. Loin de nous l’idée de dénier le droit de tout un chacun de manifester son mécontentement lorsque confronté au racisme, mais il faut garder le sens de la mesure et peser le pour et le contre de ce qu’on avance. Troquer son statut de minorité visible (ou invisible cela dépend du moment) contre un statut d’esclave du matérialisme est tout sauf une victoire, tout sauf une libération ou un progrès. Tout au contraire ce n’est que l’ajout d’une aliénation qui se superpose à une autre. 


Palindrome…


Il serait plus judicieux d’intervenir avec méthode, éviter de multiplier les réactions épidermiques, propices à créer un «buzz», mais sans réel effet au niveau des rapports de forces traversant la société française. La position des noirs de France est-elle si idyllique que soit justifiée le combat pour la couverture d’un magazine, par ailleurs emblématique de la société, dénuée de spiritualité, mais dévouée à la futilité, dans laquelle nous évoluons ? 


Lorsque l’on a accès aux médias, il est des causes plus sérieuses à défendre. Le jeudi 19 janvier, le Tribunal Correctionnel de Paris a condamné à 60.000 euros d’amende et environ 700.000 euros de dommages et intérêts, une association et une entreprise en bâtiment, pour l’incendie d’un immeuble vétuste boulevard Vincent-Auriol, à Paris, en 2005 qui avait causé la mort de 17 personnes , dont 14 enfants tous noirs, faut-il le préciser. Ce jugement inique, rendu 6 ans après les faits, sans qu’aucun responsable direct de cet incendie criminel n’ai été condamné, aurait mérité une indignation de nos croisés people de la fierté noire.(Voir ici.)


Mais la black-geoisie, toute à ses intérêts de classe, choisit soigneusement ses causes, certaines valent plus la peine que d’autres, sont moins télégéniques que d’autres. 


Et après tout, que valent les vies de 14 enfants, que vaut la souffrance de leurs familles? 


Qu’on soit blanc-geois, black-geois ou beur-geois, la consommation et le narcissisme érigés en tant que dogmes brouillent les grilles de lecture, dans une inversion symbolique de notre système de valeurs, le futile prend la place de l’essentiel, la pensée de classe sur le bien commun, l’objet sur le consommateur. 


L’ironie évidente dans la symbolique de toute cette factice levée de bouclier semble contenue dans le nom même du magazine ELLE: un palindrome. 


Tout comme le palindrome, un mot ou une phrase qui se lit dans les deux sens, le magazine ELLE se fond tout naturellement dans le cadre évanescent du monde factice et d’apparence qu’il décrit et dans lequel il se situe en étant vecteur de l’inversion des valeurs.


Il est le contraire de ce qu’il prétend être, ainsi que ceux ou celles qui ont fustigé sa ligne éditoriale et tout comme leurs principes affichés…


Ahouansou Séyivé






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