On ne présente plus Michel Galy. Auteur de Guerres Nomades, observateur avisé de l'Afrique, il s'est exprimé tout au long de la crise post-électorale ivoirienne.
Pour ceux qui ne l'ont pas suivi, on peut écouter avec intérêt ces quatre courtes vidéos :
L'humanité a publié dimanche un article dans lequel il revient sur la situation actuelle :
Côte d'Ivoire. Groupes armés. Le pays en pleine extension de la guerre nomade ?
Des acteurs du conflit sont venus du Liberia et de Sierra Leone qu’ils avaient laissés exsangues, pour rallier les troupes d’Alassane Ouattara. D’où la menace d’instabilité persistante, analyse Michel Gally, spécialiste de la région.
La guerre en Cote d’Ivoire a bien eu lieu, mais ce n’est qu’un épisode localisé d’une « guerre nomade » qui tourne depuis 1989 entre plusieurs pays ouest-africains, et le cycle des violences est loin d’être terminé.
1989, une centaine de guerriers dirigés par Charles Taylor, armés par le Burkina Faso, passent la frontière ivoirienne pour mettre à feu et à sang le Liberia ; puis vient le RUF de Foday Sankoh, qui conquiert la Sierra Leone et massacre plus de 2 000 personnes en prenant Freetown, la capitale. Ce sont bien les mêmes qui, en 2002, ont commencé la rébellion ivoirienne, maîtrisant les deux tiers du pays à la faveur d’un coup d’État dont tout indique aujourd’hui qu’il se faisait au profit d’Alassane Ouattara.
Ces « guerriers nomades », passeurs de frontières, ont fait de cette activité de pillage en extension continue un mode de vie, voire de gouvernement. Au nord de la Côte d’Ivoire, depuis 2002, s’est mise en place une sorte de « dictature rebelle » où toute opposition est impossible et la violence gratuite monnaie courante, tandis que les services de l’État ont en pratique disparu et que l’informalisation économique se combine avec des rackets en tout genre. Une sorte de féodalisation militaire s’est fait jour : le règne des tristement célèbres « comzone », ces commandants rebelles qui tirent d’énormes profits de leurs rapines.
Dans les « biens mal acquis », des associations comme Sherpa pourraient leur demander des comptes : il est de notoriété publique à Ouagadougou, au Burkina Faso, que les somptueuses villas du « quartier Millionnaire » ont été construites grâce au pillage du nord de la Côte d’Ivoire ; le premier d’entre eux, Guillaume Soro, n’est-il pas aussi un riche propriétaire qui possède des appartements jusqu’à Paris ? Il n’est pas sûr que ses émoluments de premier ministre y aient suffi…
Les récents événements semblent assurer une extension maximale à ce système nordiste de violence et d’exploitation : le pillage de quartiers entiers d’Abidjan comme Angré s’est étendu à l’université et au quartier administratif du Plateau : voitures réquisitionnées de force, maisons vidées, militants FPI (le parti de l’ex-président Gbagbo) rackettés, les guerriers du Nord formant l’armée rebelle (rebaptisés Forces nouvelles, puis, sans doute par antiphrase, Forces républicaines) sont les premiers à piller, transposant le système du Nord dans la conquête de la capitale.
Cette « libérianisation » de la guerre ivoirienne a culminé dans l’Ouest : le massacre de Duékoué (plus de 800 civils), dénoncé publiquement par la Croix-Rouge, s’est effectué le lendemain de la prise de la ville par la soldatesque d’Alassane Ouattara. Comme au Rwanda en 2004, des cartes d’identité jonchent la ville autour des cadavres des victimes : les noms et lieux de naissance ont permis aux tueurs de repérer les membres de l’ethnie autochtone guéré, partisans de Gbagbo et opposés à l’installation forcée de colons agricoles dioulas (Nordistes de la Côte d’Ivoire, Maliens et Burkinabés) sur leurs terres. Ces terribles crimes de guerre pourraient être requalifiés en génocide.
Représailles et contre-représailles s’enchaînent désormais : à Daloa et Gagnoa, des Dioulas, qui forment la moitié de la population urbaine, servent d’indicateurs et de relais de violence à l’armée du camp Ouattara pour persécuter, au-delà des militants FPI, les ressortissants de trois peuples réputés proches de l’ancien pouvoir, Attiés, Bétés et Guérés, dont les victimes pourraient déjà se compter par milliers.
Comme pendant les guerres nomades précédentes, des groupes armés venant du Liberia servent les deux camps et se livrent, quant à eux, à des atrocités aveugles et des pillages généralisés ; dans un phénomène courant de flux et de reflux, en admettant l’hypothèse optimiste d’un retour au calme en Côte d’Ivoire, l’errance de ces groupes vers la Sierra Leone et surtout le Liberia semble probable.
Mais que faire aussi de ces trop fameux « dozos », qui comme les « kamajors » de Sierra Leone, sont des sortes de néochasseurs traditionnels du Nord ivoirien, avec un accoutrement et une mystique tirés du vieux fond mandingue (invisibilité, invulnérabilité…) ? Surtout spécialisés dans les massacres de masse comme à Duékoué, ils traitent en brousse l’ennemi sur le mode de l’animal et le dépècent comme tel…
Cette guerre nomade semble en extension : par une ruse de l’histoire bien africaine, elle fait retour sur le commanditaire de ces divers conflits, le président Blaise Compaoré, du Burkina Faso. Ayant poussé Charles Taylor, Foday Sankoh, Guillaume Soro à déstabiliser leurs pays respectifs, il se trouve face à un mouvement militaire, mais aussi politique et social qui pourrait l’emporter ; ainsi l’assassinat de Thomas Sankara paraît-il rétrospectivement comme un trauma originel se reproduisant alentour jusqu’à menacer son auteur.
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