"Ne me tuez pas!". Ce sont les premiers mots qu`aurait prononcés le président ivoirien Laurent Gbagbo quand ses tombeurs sont allés le chercher, lundi 11 avril, en sa résidence d`Abidjan bombardée, toute la nuit du dimanche à lundi, par les hélicoptères de guerre, français et onusiens. Sur les conditions et les moyens de cette arrestation, les versions divergent. La France, principale actrice de la tragédie nie sa responsabilité dans l’arrestation du président Gbagbo. Mais les faits sont têtus.
D’abord, dès les premières heures, ce lundi, les chaines de radio et de télévision occidentaux annoncent qu’une colonne d’une trentaine de chars d’assaut et de véhicules avant blindés (VAB), ont encerclé le périmètre de la résidence du chef de l’Etat, à Cocody. A la mi-journée, ces mêmes médias annoncent longuement, en bande déroulante pour les télés et en flash pour les radios, que le président Laurent Gbagbo a été capturé par les forces spéciales françaises. Apparemment, cette version des faits, qui colle bien à la réalité, n’a pas plu à l’Elysée.
L’histoire ne doit pas retenir qu’après avoir bombardé la résidence de Laurent Gbagbo toute la nuit avec les Mi-24, après avoir encerclé cette résidence par ses chars et ses forces spéciales, la France ait été suffisamment courageuse pour endosser la capture du président ivoirien. Du coup, très rapidement, les mêmes médias qui ont donné l’information s’emballent. Ils se déculottent et annoncent la bonne nouvelle que Paris veut qu’on entende : Ce sont les forces pro-Ouattara qui ont pénétré dans la résidence du chef de l’Etat ivoirien pour le capturer.
Dans une de ses dépêches, l’Agence France Presse fait raconter cette version de l’opération par un guerrier ivoirien « vainqueur », sous anonymat : « Il y avait des mines un peu partout dans la cour" de l`imposante demeure de Gbagbo. Nous avons des éléments qui ont été blessés, qui ont marché sur les mines qui étaient installées dans la cour. On a jeté des gaz lacrymogènes dans la maison et puis le commandant Vetcho (Touré Hervé, Com’Zone de Katiola, l`un des chefs militaires FRCI) est rentré. Quand il s`est retrouvé face à Gbagbo, devant son bureau, la première phrase que Gbagbo a dite, c`est : « Ne me tuez pas ». Ils lui ont fait porter un gilet pare-balles et puis les commandants Vetcho, Wattao, Chérif Ousmane et Morou Ouattara (trois autres chefs FRCI) ont formé un blocus pour le protéger parce que certains de nos éléments voulaient en finir avec lui tout de suite. On l`a mis dans un 4x4 de Wattao, à l`arrière, et on l`a conduit directement au Golf Hôtel ». C’est le QG du camp Ouattara dans le même quartier de Cocody (nord), indique ce témoin. « On l`a fait entrer discrètement dans l`hôtel. Il était protégé par des éléments de la sécurité des FRCI et des gendarmes de l`ONU », a dit un autre témoin. « J`ai vu (son épouse) Simone arriver dans le hall, elle portait une longue robe. Les gars de la sécurité des FRCI essayaient de la protéger de la foule qui tentait de la frapper. Malgré ça, il y en a certains qui, semble-t-il, ont réussi à lui donner quelques coups, lui tirer les cheveux. On entendait les gens l`insulter… ».
A partir de cette version proprement corrigée de l’arrestation du couple présidentiel, la France est lavée de tout soupçon. Les médias occidentaux s’en donnent à cœur joie. Les forces spéciales françaises qui ont mené l’opération de bout en bout sont effacées du scénario. Dans le camp présidentiel, tout comme chez les panafricanistes, l’indignation est à son comble. Depuis Paris, Alain Toussaint, l’un des rares conseillers du président Gbagbo à avoir encore de la voix tonne, assisté des célèbres avocats Jacques Vergès et Roland Dumas : "le président Laurent Gbagbo a été enlevé par des éléments des forces spéciales françaises qui l’ont amené à l’hôtel du Golf. L`intervention militaire de la France est une grave atteinte à la souveraineté de notre pays. Pour nous, il s`agit d`un odieux coup d`Etat perpétré par l`armée française qui n`a d`autre dessein que recoloniser la Côte d`Ivoire pour s`emparer de ses immenses ressources", déclare-t-il au cours d`une conférence de presse.
Sur le terrain, en Côte d’Ivoire, depuis sa cachette, le Premier ministre Pascal Affi N’Guessan, président du Front populaire ivoirien (FPI, parti fondé par le président Gbagbo), lui emboite le pas : « Nous réaffirmons que c`est un coup d`Etat perpétré par l`armée française. Nous condamnons cette opération qui vise à installer par la force M. Ouattara et qui ne règle aucun problème, ni celui de la légitimité, ni celui de la légalité constitutionnelle », déclare-t-il à l’AFP. Car, tous les actes posés par la France à travers son armée, tout le long de cette guerre en Côte d’Ivoire, fait de l’ancienne puissance coloniale l’auteur principale du renversement du président Laurent Gbagbo.
Tout s’enchaine le 28 mars. C’est un lundi. Les Forces nouvelles (rébellion) qui occupent la partie nord de la Côte d’Ivoire depuis, septembre 2002 lancent une vaste offensive contre toutes les positions des Forces de défense et de sécurité (FDS). En vingt quatre heures, le 29 mars, ces combattants pro-Ouattara prennent Duékoué (Ouest), Daloa (Centre-ouest), Bondoukou (Est) et Abengourou (Sud-est). Sans combat. Dans chaque ville annexée, les FDS sont absentes. En vérité, auprès de l’état-major des FDS, l’on apprend que « le repli tactique » des combattants loyalistes est la conséquence des frappes aériennes opérées par les hélicoptères de combat Mi 24 français et onusiens sur les positions des FDS avant chaque assaut des ex-rebelles. Dans ces villes livrées aux forces pro-Ouattara, les massacres des populations sont sans limites. A Duékoué, plus de 1000 morts sont dénoncées par le gouvernement ivoirien. Déjà le 2 avril, l'ONUCI et des organisations internationales sont contraints de déclarer que « la prise de Duékoué s'est accompagnée de massacres ayant fait entre 330 et un millier de morts ou disparus ».
Le 30 mars, la capitale politique Yamoussoukro et Gagnoa (Centre-ouest, ville natale du président ivoirien), sont annexées. San Pedro (Sud-ouest), premier port d'exportation de cacao au monde, tombe le 31. Dans la même nuit, les forces rebelles visiblement escortées par les forces dites impartiales entrent à Abidjan. C’est le début de ce que tout le monde redoutait, la bataille d’Abidjan. Le 3 avril, la force française Licorne prend le contrôle de l'aéroport d'Abidjan. Le 4 avril, la France annonce le regroupement de ses ressortissants à Abidjan tandis qu’il fait débarquer de nouveaux renforts en matériels de guerre et en éléments des forces spéciales. Les conditions pour l’entrée en guerre de la France est imminente sur terre et dans l’air contre la Côte d’Ivoire.
Mais fait gravissime, la patrie berceau des droits de l’Homme n’a pas eu l’honnêteté diplomatique de déclarer la guerre officiellement à la Côte d’Ivoire, Etat dont l’Elysée affirme respecter la souveraineté. Quoiqu’il en soit, l’armée privée de M. Ouattara, revigorée par ces manœuvres militaires françaises, affirme être passée à l' « offensive dans Abidjan ». Sûrement pour les aider, l'Onuci et Licorne tirent sur deux camps militaires ainsi que sur « des objectifs militaires » au palais et à la résidence présidentielle. Le 5 avril, pendant que le pilonnage aérien de Licorne et de l’ONUCI s’intensifie contre les forces régulières ivoiriennes, la France et l'ONU déclarent, tôt le matin, avoir présenté pour signature au président Gbagbo, un document dans lequel il renonce au pouvoir. La France finit par annoncer, le soir, que « Gbagbo ne reconnaît pas la victoire de Ouattara ».
Au contraire, Le président Gbagbo déclare adhérer à un cessez-le-feu à la France et à l’ONU pour que le dialogue s’engage, en lieu et place des armes. En réponse, le président ivoirien ne recueille que les menaces. Le 6 avril, le procureur de la Cour pénale internationale menace d’ouvrir une enquête sur les massacres, de nouvelles sanctions de l'Union européenne sont prises contre Gbagbo. L’Elysée, de plus en plus effarouché, déclare que « Gbagbo dispose d'un petit millier d'hommes à Abidjan, dont 200 à sa résidence ». Fort de cette révélation, Ouattara appelle à la réconciliation, annonce « un blocus » établi autour (du) périmètre de la résidence présidentielle. Les 7 et 8 avril, des Ivoiriens prennent des risques pour aller constater qu’il n’existe aucun blocus autour de la résidence du chef de l’Etat.
Le 9 avril, la Licorne et l'ONUCI occupent le Port autonome d'Abidjan et annoncent que « les forces pro-Gbagbo attaquent le QG de Ouattara, le Golf Hôtel ». Pourquoi le camp laurent Gbagbo poserait-il un acte si suicidaire sans avoir été en guerre contre la France et l’ONU qui protègent le Golf Hôtel ?
Le gouvernement du président Gbagbo dément, mais peu importe. La décision d’en finir avec lui semble être prise, l’alibi trouvé avec cette attaque sans paternité. Dans la nuit du 10 au 11 avril, l'Onuci et Licorne frappent, toute la nuit, avec les hélicos de guerre, la résidence du président Gbagbo. La chambre à coucher du président ivoirien est bombardée, sous prétexte de "neutraliser les armes lourdes", conformément à la résolution 1975 du Conseil de sécurité. Ces frappent ont fait de nombreux morts à la résidence du chef de l’Etat renversé.
Cette résolution ordonnait la destruction des armes lourdes de tous les côtés. C’est le camp Gbagbo seul qui en a fait les frais. Le 11 avril 2011, Laurent Gbagbo est capturé « par les forces spéciales françaises et livré à l’armée privée d’Alassane Ouattara », selon le camp présidentiel. Paris dit « être intervenu à la demande expresse de l'ONU. Gbagbo a été arrêté par les forces pro-Ouattara et non pas par des forces spéciales françaises », dément l’Elysée.
César Etou
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