samedi 11 juin 2011

LE MONOPOLE SUICIDAIRE DE LA FRANCE EN AFRIQUE : Le cas du secteur automobile

par La Majorité Présidentielle Gbagbo, vendredi 10 juin 2011, 16:55

Le 31 décembre 2010 a vu la fin de la prime gouvernementale dite prime à la casse, allouée aux automobilistes français afin de les inciter à se débarrasser de leurs véhicules vieux de 10 ans pour en acquérir de nouveaux. Cette mesure vieille de 16 ans a permis de maintenir à flots une industrie automobile durement frappée par la brusque dévaluation du Franc CFA en 1994.

Avant 1994, et même bien avant, les ivoiriens s’enorgueillissaient de s’offrir des voitures françaises qu’ils trouvaient plus solides que les autres, malgré leurs prix prohibitifs. Et cela faisait le bonheur de l’industrie automobile hexagonale. L’état ivoirien offrait à ses fonctionnaires des voitures françaises. Les ministres avaient de grosses berlines Citroën ; les préfets des Renault 25 ; les sous-préfets des Peugeot 504 ; les ingénieurs agronomes comme ceux des travaux publics des Renault 12. Et on peut dérouler la liste des dotations jusqu’aux nombreux techniciens de la SATMACI (ministère de l’Agriculture) qui avaient eux des Renault 4. Bref, toute la fonction publique était dotée d’automobiles français. Tout ce rappel pour dire que le marché ivoirien, voire africain francophone puisque le même schéma se reproduisait dans toutes les ex-colonies, offrait un débouché assez intéressant pour l’industrie automobile française qui jouissait ainsi d’une position monopolistique. Même ceux qui n’avaient pas droit à un véhicule de fonction préféraient les voitures françaises, question de prestige.

Fin des années 70-début des années 80, les voitures japonaises avaient fait une percée tonitruante avec la marque Datsun 120Y. Elles étaient bon marché et la crise économique, que les ivoiriens appelaient avec leur humour particulier « conjoncture », commençait à se faire sentir. Elles avaient envahi l’univers des taxis. Mais, on les vit disparaître peu à peu parce que, sous la pression de la France, les autorités ivoiriennes avaient tari la source des pièces de rechange de sorte que, dès qu’une panne sérieuse survenait, elles étaient vouées à la casse. Elles avaient cependant été remplacées par d’autres modèles dont les prix étaient plus élevés à cause de la hausse des taxes à l’importation imposée à dessein pour protéger les intérêts de l'ami français, mais elles restaient toujours moins chères que les françaises.

Avec les difficultés économiques de la deuxième moitié des années 80, les ivoiriens se tournaient de plus en plus vers ces voitures japonaises et le marché des véhicules d’occasion, sans que cela remît fondamentalement en cause la suprématie française. Et cela dura jusqu’en 1994, année où intervint la dévaluation du Franc Cfa.

La France dont la situation économique commençait à se dégrader et qui devait satisfaire aux critères de convergence de l’union européenne, voulait sans doute engranger davantage de bénéfices sur ses importations pour revenir dans les clous du taux de déficit de 3% imposé à tous. Elle procéda alors à la dévaluation de 100% de cette monnaie (certains parlent de 50% quand le Pr Mamadou Koulibaly l’estime à 100%, et je pense que c’est lui qui a raison), signant ainsi le début des difficultés de son secteur automobile. L’effet boomerang fut immédiat. Les africains de la zone Cfa, déjà en difficulté avec les plans d’ajustement structurel, ne pouvant plus du coup s’offrir des voitures françaises dont les prix avaient doublé du jour au lendemain, se tournèrent vers d’autres sans que la France pût faire quoi que ce soit pour les en empêcher puisque, de toutes les façons, ils n’avaient plus les moyens de payer.

On assista alors très rapidement, dès cette année 1994, à l’avènement de ce qu’on appela la prime Balladur. Cette prime qui avait vocation à être provisoire était destinée à l’acheteur français de voitures françaises, qui était ainsi incité à se débarrasser de son véhicule vieux de dix ans pour s’en offrir un neuf. Cette prime Balladur devint prime Juppé, puis prime Jospin, puis encore prime Raffarin et finalement, plus aucun nom ne lui était accolé. Elle avait fini par s’appeler tout simplement prime gouvernementale puisqu’elle s’était incrustée dans le paysage. On en était même arrivé à une situation où les constructeurs qui étaient aussi subventionnés par l’état se débarrassaient d’une partie de cette subvention pour rendre cette prime encore plus incitative. Et le provisoire dura seize bonnes années. Cette mesure permit tout de même de maintenir à flots le secteur, mais elle ne put empêcher une restructuration qui entraîna licenciements massifs, départs « volontaires » à la retraite et délocalisations d’usines.

Le monopole rend donc finalement dépendant et paresseux avec un marché captif. Car, pendant que les autres se battaient pour diversifier leurs partenaires, la France elle, cramponnée à une Afrique dont elle n’a pas su faire un marché viable pour son industrie, s’est retrouvée dépourvue à l’heure de la mondialisation. Car elle ne pouvait plus vendre ses voitures à des africains qu’elle avait appauvris par une politique basée essentiellement sur l’exploitation des ressources agricoles, minières et énergétiques achetées à vil prix et transformées en europe plutôt qu’en Afrique où la main d’œuvre était et reste pourtant moins chère. Cela aurait donné davantage de pouvoir d’achat aux populations locales et aurait permis à la France de se frotter les mains à l’heure des délocalisations.

Même en janvier 2011 , un mois après la prime à la casse, c’était encore la prime à la casse déclinée sous d’autres noms. Les constructeurs se démènaient tant bien que mal pour maintenir la tête hors de l’eau. Chez Peugeot par exemple, c’était l'opération la " Grande Reprise " où, selon le modèle avec lequel vous repartiez, on vous reprenait votre ancien véhicule à la côte Argus plus 1000 euros (650.000 F CFA) à 3500 euros (2.296.000 FCFA).


Chez Citroën, c’était une stratégie hardie d’avantages clients qui allaient de 3500 euros (2.296.000 FCFA) à 6500 euros (4.264.000 FCFA) selon le modèle. Renault quant à elle, proposait jusqu'à la fin février 2011, une reprise d'au moins 2.500 euros (1.640.000 FCFA) sur certains modèles. Mais toutes ces largesses devaient prendre fin en février et elles ont pris fin, replongeant le secteur automobile français dans l'incertitude. Les ventes de Renault ont aussitôt plongé en avril de 38 % et en mai de 18%. Et aujourd'hui même où je publie cet article, on annonce la fermeture probable de deux sites industriels chez Peugeot avec une menace directe sur 6200 emplois. Déjà !!!

On voit bien finalement que, sauf à délocaliser toutes leurs usines ( en Afrique ? ) avec le risque d’accentuer le chômage en France, les constructeurs automobiles français sont obligés, avec le pessimisme qui s’est durablement emparé de leurs compatriotes, de consentir d’énormes efforts pour tenir leur rang longtemps assuré par leur position monopolistique en Afrique.

Alexis GNAGNO

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