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J’ai récemment collaboré avec la chaîne qatari AlJazeera, à leur demande. Dans une étude intitulée « l’Afrique subsaharienne et la Libye : enjeux et perspectives », ils voulaient en savoir un peu plus sur les fonds d’investissement libyens éparpillés à travers l’Afrique subsaharienne. Je vous offre, ce matin, un extrait qu’ils ont publié, en arabe, sur le site de leur centre d’études. L’image en dessous illustre cette publication.
L’Afrique subsaharienne et la Libye : enjeux et perspectives
La Libye est probablement le pays africain qui a le plus fait pour l’Afrique. Non seulement sur le plan politique en supportant à hauteur de plus de 50% le budget de fonctionnement de l’Union africaine (UA), mais aussi, sur le plan économique, financier et technologique. Ces dernières années, les performances macroéconomiques de l’économie africaine se sont significativement améliorées contrairement à ce que beaucoup croient. Dans cette courte étude, il s’agira de s’appuyer sur les investissements libyens en Afrique subsaharienne, de brosser un tableau du spectre qui gagne les dirigeants et les peuples du berceau de l’humanité pour finir sur l’avenir entre les futures relations de cette Afrique-là, et la future Libye, à l’aulne de l’opération de l’Otan, « Aube de l’Odyssée ».
Les fonds d’investissement libyens.
La Libye a les plus grandes réserves de pétrole en Afrique avec 42 milliards de barils de pétrole et plus de 1,3 billions de mètres cubes de gaz. Or, aujourd’hui, seulement 25% de son territoire sont explorés. Dans les années à venir, ce pays sera probablement le n°1 en Afrique subsaharienne. La multitude des fonds d’investissement libyens, éparses certes, s’appuient sur la Jamahiriya National Oil Corporation (NOC). Ils ont permis à l’économie africaine, malgré la crise mondiale, de progresser considérablement. De 2.6 % en 2009, on estime que le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) a presque doublé pour atteindre 5 % en 2010. Dans toute l’Afrique subsaharienne, Oil Libya a racheté le pétrolier anglo-néerlandais Shell. Au Soudan, en Éthiopie et à Djibouti, le groupe public libyen poursuit son expansion continentale dans l’aval pétrolier (raffinage et distribution). ExxonMobil a chuté de 67 % en Afrique. Et au cours de la même période, la présence de Chevron a régressé de 37 % et celle de Shell de 20 %. Oil Libya, dont le réseau de stations-service a explosé de 596 % en cinq ans sur le continent fait même de l’ombre à Total...
Alors que Total qui est le seul pétrolier à résister à la montée exponentielle d’Oil Libya avec ses 4000 stations-service, le libyen fait un bond estimé à 2200 stations-service et son appétit d’ogre continue. La Libye de Mouammar Kadhafi a aussi progressé dans le secteur hôtelier.
La Libya Arab Africa Investment Company (LAAICO) ou encore le fonds Libya Africa Portfolio (LAP), ont investi considérablement dans le secteur du tourisme. Depuis la City londonienne (mise en place du hedge fund), sorte de rampe de lancement appuyée par des traders chevronnés, les investissements de la LAAICO sont passés de 25 millions de dollars en 1991 à 1,5 milliard de dollars en 2008. C’est ainsi qu’on a vu la Libye s’accaparer de prestigieux hôtels à travers l’Afrique, notamment au Mali (hôtel Amitié) ou au Togo. Le cas le plus spécifique et qui interpelle fortement les observateurs avertis vient de Gambie où, on a vu le président de cette République, Yayah Jammeh, vite reconnaître le Conseil national de transition (CNT) libyen. En Gambie, les fonds libyens ont massivement investi dans l’hôtellerie, avec la construction du complexe Jerma Beach Hôtel, la reprise de l’Atlantic Hôtel et du Dream Park. C’est ainsi que ce chef d’Etat est soupçonné de vouloir faire main basse sur ces biens en cas de chute de Mouammar Kadhafi. Le gel des biens libyens dans ce pays ont déjà entraîné des pertes considérables d’emploi...Que ce soit en Guinée, au Sénégal, au Liberia, au Niger ou en Zambie etc. la LAAICO détient, probablement 100% des parts d’investissements du secteur touristique...
Comment l’Afrique voit-elle ce qui se passe en Libye ?
Les subsahariens voient tous d’un mauvais oeil ce qui se passe en Libye. Non seulement pour leur sécurité future, mais aussi pour l’avenir de l’Afrique. C’est ainsi que dans les conversations, les peuples fustigent la guerre de « recolonisation » des Occidentaux sous commandement de l’Otan et critiquent leurs dirigeants qu’ils traitent de serviles avec leur silence assourdissant et leur indécision au sein de l’Union africaine (UA). Pire, ces dirigeants sont même considérés comme apathiques et bas... Face à « la guerre de prédation » en cours en Libye, disent-ils, c’est l’Afrique qu’on tue une énième fois.
Puisque sur le terrain on parle de l’existence de mercenaires côtés Mouammar Kadhafi, les risques sont multiples. Ne va-t-on pas assister, d’une part, à la déstabilisation du Tchad frontalier ? D’autant plus que, en cas de nouveau conflit tchadien, le Cameroun voisin ne sera pas à l’abri. Que dire du Mali ou du Niger ? C’est chacun qui s’enfuira probablement avec sa kalachnikov. Par manque d’argent, ces derniers seront confrontés au trafic, à la rapine voire au terrorisme pour des revendications politiques. La circulation d’arme qui se pose déjà avec acuité sera encore plus problématique. Véritable danger pour la sécurité des États et de leurs populations. Les groupes terroristes de l’Aqmi (Al Qaïda au Maghreb islamique), présents dans toute la frange sahélienne, se sont renforcés auprès des rebelles libyens et se sont emparés d’importants stocks d’armes.
Les conséquences de la guerre ont déjà provoqué le retour en terre africaine de plus d’un million de migrants qui ont dû fuir la Libye dans des conditions dantesques, souvent dramatiques, sans compter ceux qui ont été tués par les rebelles libyens car soupçonnés d’être des mercenaires. Leurs apports en devises, qui soutenaient leur famille et indirectement l’économie de leur pays se sont évaporés comme neige au soleil. Ainsi, revenant sur le financement libyen du satellite RASCOM dont l’état pétrolier détient 61% des parts, et qui devait permettre à l’Afrique de ne plus dépenser des fortunes en matière de communication, surtout que l’Occident ponce depuis des lustres la coquette somme de 500 millions de dollars par an, voit l’Afrique remise en esclavage. Or, RASCOM devait assurer la couverture universelle du continent pour la téléphonie, la télévision, la radiodiffusion et de multiples autres applications telles que la télémédecine et l’enseignement à distance ; pour la première fois, une connexion à bas coût devait devenir disponible sur tout le continent, jusque dans les zones rurales grâce au système par pont radio WMAX...
Le changement probable des relations Afrique-Libye.
A l’aulne du conflit qui a lieu actuellement en Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste, l’avenir des relations de ce pays africain avec l’Afrique subsaharienne s’inscrira probablement en pointillé. Les risques de pertes d’emploi et la nationalisation par les États où se situent ces fonds libyens risquent d’intervenir rapidement et se poseront indubitablement avec acuité. Entre le Conseil national de transition (CNT) qui réclamera ces fonds et les Gouvernements africains, il y aura un réel problème...En prévision donc, d’un côté, les rebelles libyens, et de l’autre, les États africains où la Libye a massivement investi. Ces derniers s’élèvent à plus de 60 milliards de dollars à travers toute l’Afrique subsaharienne. Le casse tête indescriptible qui se prépare sera un vaste chantier de ruines à restaurer.
Comment procèderont les rebelles libyens s’ils remportent la guerre ? Seul Dieu le sait. Avec 23 unités hôtelières dont est propriétaire la Libya Arab Africa Investment Company (LAAICO), qui se répartissent sur 15 pays, à savoir la Tunisie, l’Afrique du Sud, la Tanzanie, l’Ouganda, le Rwanda, le Gabon, le Congo, le Burkina Faso, le Tchad, la Centrafrique, le Ghana, la Gambie, la Guinée, le Mali et le Togo, il y a de quoi se perdre dans cet abîme, cette marre abyssale...
Au total, en Afrique, continent qui compte aujourd’hui 50 pays en incluant Madagascar, et 55 en incluant tous les archipels avec le tout nouveau Sud-Soudan, une trentaine d’entre eux ont bénéficié d’investissements libyens. On peut donc logiquement ajouter dans ce labyrinthe, la Mauritanie, Madagascar, ou Sao Tomé et Principe, sans compter le Cameroun où la Libye voulait implanter le siège du Fonds Monétaire Africain qu’elle voulait mettre sur pied dès 2011. Les rebelles vont-ils poursuivre, aussi, la mise en œuvre de la Banque Centrale Africaine et celle de la Banque Africaine Des Investissements, des vœux de Mouammar Kadhafi qui avait eu l’aval de ses pairs africains ? Là se situe le nœud du problème
Source : Camervoice
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