Non seulement Ouattara déchire son propre programme politique, mais il multiplie les entités administratives et fait reculer la démocratie de proximité. Dans le seul but de contourner la faiblesse structurelle de son parti en milieu rural.
«En politique, les promesses n’engagent que ceux qui y croient», disait le truculent Charles Pasqua, célèbre figure de la vie politique française. Alassane Ouattara, lui a donné raison en rendant publique son «ordonnance d’orientation sur l’organisation générale de l’administration ivoirienne», qui signe sa réforme de la politique de décentralisation telle que pensée par le président Laurent Gbagbo. Puisqu’il faut abattre tout ce qui rappelle le rival détesté…
Sur la forme, il y a beaucoup de choses à dire. Une ordonnance qui ne s’appuie sur aucune autorisation de l’Assemblée nationale, qui n’a donc aucune valeur juridique dans le cadre du fonctionnement normal des institutions, a-t-elle la «légitimité» pour venir supprimer une loi discutée démocratiquement et votée par la représentation nationale dans sa diversité ? Un seul homme peut-il engager le destin national sur quelque chose d’aussi délicat que la politique de décentralisation, qui relève de la forme de l’Etat ?
Non. Il n’y avait aucune urgence en la matière. Et si Ouattara ne reconnait pas l’actuel Parlement ivoirien, il aurait pu attendre le renouvellement de la Chambre, à l’occasion des futures législatives, et faire passer un projet de loi en bonne et due forme devant les députés. Sa réforme est d’autant plus problématique qu’il ne peut même pas dire qu’elle fait partie de ses engagements de campagne, au nom desquels il a été élu – si l’on considère qu’il a été régulièrement élu, comme le Conseil national de la presse (CNP) d’Eugène Dié Kacou nous contraint à l’écrire…
Il avait promis de supprimer les deux Districts, il en crée douze nouveaux !
La réforme Ouattara sur la décentralisation tord en effet le cou, et de manière violente, à son propre programme de gouvernement. Dans son chapitre V, intitulé «Reprenons en profondeur le processus de décentralisation», il écrivait : «Nous supprimerons les Districts. Abidjan et Yamoussoukro, à l'image des autres villes à créer, seront dirigées par des conseillers municipaux élus». Arrivé au pouvoir, non seulement il ne supprime pas les Districts d’Abidjan et de Yamoussoukro, mais il en crée douze nouveaux !
Les deux Districts sous Gbagbo étaient dirigés par un Gouverneur choisi par le chef d’Etat au sein d’un collège d’élus passés par le «feu» du suffrage universel. Sous Ouattara, les Gouverneurs seront nommés par la seule volonté du Prince. Formidable recul démocratique, spectaculaire reniement politique.
Dans le même chapitre V de son programme politique, Ouattara écrivait : «Au niveau des sous-préfectures, des départements et des régions, seule la loi fera évoluer la carte administrative sur la base de critères équitables et précis». Une fois au pouvoir, il bouleverse cette carte administrative en dehors de toute loi, sans aucune concertation, et sans évoquer le moins du monde ses fameux «critères équitables et précis». Ouattara promettait de «reprendre en profondeur le processus de décentralisation en commençant d'abord par sa préparation», notamment en clarifiant les compétences des différentes entités, et se plaignait de la multiplication des entités. Non seulement il a «oublié» son étape préparatoire, mais en plus il n’a supprimé aucune entité. Là où Gbagbo évoquait 10 régions, il en crée 30. Là où il y avait 2 districts, il y en a désormais 14.
Les élus seront désormais chapeautés par des personnes nommées, qui les combattront.
Au point de vue de l’esprit, Ouattara fait reculer la démocratie de proximité. Il renforce l’administration à la solde du régime du moment, et affaiblit les élus. Le département, espace pertinent de développement, demeure, mais le préfet en demeure le chef absolu, puisque le Conseil général disparaît. Plus grave, les présidents des Conseils régionaux, élus, seront à l’étroit face aux Gouverneurs de district, nommés, qui limiteront leurs pouvoirs. Comme au
Cameroun de Paul Biya, où les délégués du gouvernement, nommés, ont été disséminés sur tout le territoire au début des années 1990, pour saboter l’action des maires de l’opposition.
Ce qui est le plus scandaleux dans cette affaire, c’est que Ouattara assujettit la destinée nationale, sur une question aussi structurante, à ses intérêts politiques immédiats. Il supprime les Conseils généraux parce que son parti a perdu lamentablement les élections départementales en juillet 2002, dans la mesure où les ruraux du grand Sud, en général FPI ou PDCI, viennent diluer l’influence du RDR dans certains grands centres urbains. C’est pourquoi le RDR a gagné les mairies de Gagnoa, Daloa, Soubré et Bouaflé… mais n’a réussi à avoir que dix Conseils généraux, tous au Nord.
Selon la même logique, il n’y a qu’au Nord –la région du Zanzan non comprise – que Ouattara est arrivé en tête lors du premier tour du dernier scrutin présidentiel. C’est cette faiblesse politique qu’il veut compenser en marginalisant les terroirs et en recomposant complètement une carte électorale qui n’a été que très légèrement aménagée en dix années de présidence Gbagbo. Ces manoeuvres politiciennes ne sont pas la marque d’un grand homme d’Etat.
De Benjamin silué de « Le Nouveau courrier »
Par thruthway
Source : lacotedivoirelavraie
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