Me Hervé Gouaméné est membre du collectif des avocats de l`ancien chef de l`État Laurent Gbagbo et de ses proches détenus dans différentes prisons de Côte d’Ivoire. Dans cette interview, il nous présente leur situation sanitaire et parle de la procédure judiciaire, 6 mois après leur incarcération.
Quelle est la situation de vos clients incarcérés depuis plusieurs mois dans différentes prisons de Côte d`Ivoire?
Hervé Gouaméné: Merci de me permettre de faire le point des conditions de détention, mais également de la procédure. Mes clients sont non seulement à Boundiali, mais à Korhogo, Bouna, Katiola et à la Maca à Abidjan. De façon générale, selon les dernières nouvelles que nous avons, à part quelques cas spécifiques souffrant de pathologies nécessitant des médecins spécialistes qui n`existent ni à Boundiali, ni à Korhogo, ni à Katiola, dans l`ensemble, l`état de santé de mes clients n`est pas alarmant. Mais, ils ont besoin de cardiologue, des spécialistes pour les maladies du rein, de l`hypertension. Ils ne sont pas suivis par leur médecin. Il n` y a que des médecins généralistes ou des infirmiers. Il faut améliorer ce fait, en leur permettant d`avoir des spécialistes en fonction des pathologies dont ils souffrent.
Qui sont ces clients souffrant de ces pathologies qui nécessitent des médecins spécialistes?
H.G: Pour le secret médical, je ne pourrai pas les nommer. Mais il faut retenir qu`il y a une bonne dizaine de personnes parmi ces détenus qui ont des pathologies spéciales qui nécessitent des médecins spéciaux. A part cela, ça va, même si nous avons à redire sur leurs conditions de détention. Sur la question de l`état de santé de mes clients, je voudrais dénoncer les publications d`informations alarmantes sur leur état de santé. Ce sont des personnes qui appartiennent à des familles, qui ont des amis… Bien que privés de leur liberté, ils ont quand même des droits. Je voudrais dénoncer un support qui a annoncé il y a quelques jours de cela que Henri Dacoury Tabley serait mort. Il faut vérifier l`information avant de la diffuser.
Henri Dacoury Tabley n`est donc pas mort…
H.G: Henri Dacoury Tabley n`est pas mort. Il se porte très bien. Dacoury Tabley n`a jamais été malade depuis qu`il est à Boundiali. A part le traitement barbare qu`il a connu à l`Hôtel du Golf lors de son arrestation, il va très bien. Également, il y a eu des rumeurs sur la mort du Premier ministre Pascal Affi N`Guessan. Ce sont des pères de famille. Affi N`Guessan n`est pas mort. Il va très bien, il est en vie. Même si nous dénonçons les conditions de leur détention, ils vont très bien.
Le ministre des Droits de l`Homme a visité vos clients il y a quelques temps de cela. Est-ce qu`il y a une amélioration de leurs conditions de détention, après ces visites?
H.G: Il n` y a pas d`améliorations particulières eu égard au statut des prisons dans lesquelles ils sont. Les prisons de Boundiali, Bouna, Katiola, pour changer leur statut, il faut changer de prison, vu que la façon dont ces prisons sont conçues n`est pas bonne. Il ne peut pas y avoir plus de dix personnes dans une cellule de prison. Il ne peut pas y avoir une prison située au milieu d`une broussaille. Il ne peut pas avoir des gens qui sont dans une prison où il n` y a pas de fenêtre. Il faut les faire changer de prison. Leurs conditions de détention ne peuvent pas changer tant qu`ils ne changent pas de prison.
Quel est le point au niveau des procédures judiciaires contre vos clients?
H.G: Là encore, il y a un problème. Les avocats que nous sommes, avons écrit au juge d`instruction chargé de la procédure pour lui demander de faire preuve d`une célérité. Depuis plus de quatre ou six mois en détention préventive, il n` y a pas eu d`acte d`instruction véritable. L`enquête les concernant n`a pas véritablement commencé, et cela fait plus de six mois qu`ils sont privés de leur liberté. Nous pensons que ce n`est pas normal. C`est un État qui viole les conventions internationales que la Côte d`Ivoire a signé, mais également nos lois. Selon ces conventions et lois, toute personne détenue privée de sa liberté devrait être jugée dans un délai raisonnable. Mais après six mois de détention irrégulière et abusive, il n` y a aucune instruction qui a commencé. Aucune enquête n`a commencé. On donne des infractions qu`on leurs reproches sans un contenu juridique, c`est déplorable qu`on prive des personnes de leur liberté et qu`il n`y ait aucune action menée.
Êtes-vous en train de dire qu`il y a une violation des droits de la défense?
H.G: Il y a une violation grave des droits de la défense parce que c`est un principe du droit de la défense qui veut qu`une personne privée de sa liberté puisse être jugée dans un délai raisonnable. Cela fait six mois qu`aucune instruction n`a commencé. Quand elle le sera, cela fera combien de temps, pour qu`on parte à un procès ou qu`il y ait un non lieu? Ces personnes risquent de rester des mois ou des années sans jugement.
Vous avez signifié tout à l`heure avoir écrit aux autorités judiciaires. Avez-vous reçu une réponse?
H.G: Non, il n`y a pas eu de réponse. Nous avons écrit pour dénoncer la lenteur de cette procédure, malheureusement il n`y a pas eu de réponse.
Non seulement nous n`avons pas eu de réponse, pis nous avons engagés des procédures devant la chambre de procédure de la Cour d`appel de manière à ce que ces informations que nous jugeons irrégulières soient annulées et que ces personnes soient mise en liberté provisoire d`office. Il y a une volonté manifeste de ne pas faire bouger les procédures. L`information ne bouge pas, les procédures que nous engageons à la Cour d`appel pour faire annuler les informations irrégulières pour obtenir la liberté provisoire ne bougent pas. Il y a un problème.
Où se situe le problème?
H.G: Le problème, c`est la volonté manifeste de ne pas aller au jugement. De ne pas libérer ces personnes. Lorsqu`une requête est faite et qu`une suite n`est pas donnée nous pensons qu`il y a un problème.
L’un de vos clients l`ancien chef de l`État Laurent Gbagbo a-t-il des chances d`être traduit devant la Cour pénale internationale (Cpi)?
H.G: Ce n`est pas une chance d`être traduit devant la Cpi. Je pense que l`on dit beaucoup de choses sur la question de la Cpi. On entend aussi des choses très graves qui n`ont rien à voir avec le droit. Certaines personnalités disent que “nous souhaitons que Gbagbo soit jugé devant la Cpi“. D`autres disent que “nous le poursuivons pour des infractions économiques, mais nous souhaitons que pour les crimes de sang, il soit jugé par la Cpi“. Cela n`a pas de sens. C`est une hérésie juridique. Lorsqu`on part des fondements de la création de la Cpi, c`est clair. La Cpi est une juridiction complémentaire. La Cpi vient de façon subsidiaire aux institutions nationales. Pour que la Cpi puisse se saisir d`un dossier, il faudrait que dans cet État, il n`y ait pas d`appareil judiciaire qui fonctionne. Il faut que dans cet État les autorités judiciaires n`aient pas de volonté de poursuivre les personnes concernées. Mais en Côte d`Ivoire, il y a des poursuites. Si on les poursuit pour des infractions économiques, pourquoi ne peut-on pas les poursuivre également pour des crimes de sang ?. C`est une aberration juridique de dire qu`on réserve un certains nombre d`infractions à la Cpi, qu`on souhaite que la Cpi les poursuivent, pourtant on a des juridictions en Côte d`Ivoire qui fonctionnent. Nous sommes sereins sur la question. Nous savons que la Cpi est une juridiction complémentaire. S` il y a des infractions retenues contre ces personnes, il faut qu`elles soient jugées par les autorités ivoiriennes. Nous observons et nous sommes tranquilles.
La question de la Cpi est-elle politique dans ce cas?
H.G: Pour l’instant, nous ne voulons pas croire que c`est une manipulation politique parce que nous sommes seulement au stade de l`enquête. On attend que la Cpi finisse ses enquêtes. Nous attendons ce qu`ils décideront à la suite de cette enquête. Dans tous les cas, nous disons qu`il y a des règles de compétence et de recevabilité à la Cour pénale internationale. Nous pensons que cette juridiction internationale qui a été créée pour, dit-on, lutter contre l`impunité, contre l`État de non droit, ne va pas elle-même violer les droits des personnes détenues. Dans tous les cas, nous ne sommes pas inquiétés parce que nous pensons que la Cpi qui a été créée pour lutter contre l`impunité le fera. En Côte d`Ivoire, il n` y a pas seulement le 28 novembre 2010. Cela a commencé depuis septembre 2002, où des femmes enceintes ont été éventrées, où des femmes ont été violées, où des personnes ont été enfermées dans des contenairs et massacrées, où près de quatre vingt (80) gendarmes ont été massacrés à Bouaké. Ce sont des violations graves des droits de l`homme qui sont passibles de crimes contre l`humanité de crimes de guerre. Nous attendons que la Cpi réagisse face à tous ces crimes de guerre et contre l`humanité.
Pour enquêter à partir de 2002, la Cpi a demandé qu’on lui fournisse des preuves…
H.G: La Cpi n’a pas besoin qu’on lui fournisse des preuves. La Cpi a déjà des preuves. Souvenez-vous qu`en 2004, le Haut commissariat aux droits de l`Homme des Nations unies a fait une enquête. L’enquête avec toutes les preuves est claire. Récemment, dans la décision de la Chambre préliminaire III de la Cpi, il y a une disposition qui demande aux Nations unies de leur donner le rapport d’enquête. Il y a exagérément de preuves. Même les organisations internationales comme la Fidh, Human Wrights Watch, Amnesty international ont produit des rapports d`enquête, il y a des preuves, les témoins existent encore. Les preuves sont abondantes.
Vous avez donc l`espoir que les enquêtes vont commencer à partir de 2002?
H.G: Nous ne parlerons pas d`espoir, mais nous y croyons et nous voulons croire que si la Cpi est crédible, si elle veut vraiment lutter contre l`impunité en Côte d`Ivoire elle devrait pouvoir commencer les enquêtes à partir de 2002.
Quelle a été votre réaction lorsque certains ont affirmé que la Cpi viendrait chercher Laurent Gbagbo pour le transférer au siège de la Cpi à la Haye?
H.G: Cela nous a fait sourire. Nous ne pouvons pas réagir à tout. Il y a des choses qui sont du domaine de l`hérésie juridique, qui n`ont pas de sens. Nous sommes des juristes, des spécialistes du droit, nous observons. Toutes ces déclarations nous font sourire.
Réalisée par K.A.Parfait
Source: Soir Info
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