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Le président de la Commission de l’Union africaine (UA) a sejourné à Tripoli. Il devrait échanger avec les nouvelles autorités libyennes de questions d’intérêt à la veille du XVIIIe sommet d’Addis Abeba. Mais pourquoi donc ce séjour de Jean Ping en Libye à la veille du sommet de l’UA ? Hasard ? Problèmes de calendrier ? Calculs politiques ?
Certes, depuis le renversement suivi de l’assassinat du Guide Mouammar Kadhafi, ce n’est ni le grand amour, ni l’amour parfait entre le Conseil national de transition (CNT) et l’UA. Mais les problèmes épineux ne manquent pas. Il va donc falloir les éplucher et surtout baliser le terrain avant cette première participation des dirigeants du CNT à une rencontre africaine au sommet de si grande portée. Selon l’Union africaine, le CNT libyen avait donné l’assurance que toutes les sensibilités seront prises en compte dans le gouvernement de transition. C’était donc le préalable posé par l’UA pour reconnaître la légitimité du CNT qui bénéficiait à l’époque de la reconnaissance d’une vingtaine de pays africains.
Reste donc à savoir si plusieurs mois après, les préalables de l’organisation panafricaine ont été respectés. Après des mois de bombardements intenses et de guérilla urbaine, la Libye nouvelle est à genoux. Il faut tout rebâtir. Le CNT au pouvoir semble avoir été marginalisé par l’UA qui bénéficiait du soutien du colonel Kadhafi. Celui-ci, reconnu comme étant le principal bailleur de fonds de l’UA et de nombreux pays du continent, avait pendant longtemps fait figure de préféré des dirigeants africains. Cela, contrairement à ses successeurs dont nul ne sait au fond s’ils se détourneront du continent ou s’ils poursuivront son œuvre de pourvoyeur et de philanthrope.
En ce qui la concerne, l’UA, elle, à coup sûr, aura besoin du concours précieux des successeurs du Guide défunt. En attendant, à Tripoli, le président de la Commission de l’UA et ses différents interlocuteurs du CNT et du gouvernement auront à se pencher sur des dossiers brûlants. Parmi ces derniers, il y a ceux de nombreux immigrants africains qui souffrent le martyr durant leur séjour ou leur transit en terre libyenne. Cela avait même poussé Jean Ping à relever qu’il était « dangereux d’assimiler mercenaire et noir ». Il ne croyait pas si bien dire.
Trop de morts, de blessés, de gens dépouillés, meurtris, pourchassés et expulsés figurent aujourd’hui au tableau de chasse du CNT, de ses partisans et tant d’autres individus animés par la vengeance, la haine ou la jalousie. L’Afrique sub-saharienne voudrait bien que le CNT rende compte et surtout qu’il dédommage toutes les familles endeuillées et dépouillées. En outre, des dispositions doivent être prises pour que les exactions et autres intimidations cessent à l’égard de ceux qui résident en Libye.
Il est inadmissible que d’un côté on parle de liens d’amitié et de fraternité, de renforcement de la coopération bilatérale ou multilatérale, alors que des ressortissants de pays membres de l’UA continuent de subir des traitements dégradants et humiliants. Sur ce chapitre, le CNT doit absolument clarifier ses positions et prendre les mesures qui s’imposent, afin que les familles des migrants africains cessent de verser des larmes en terre libyenne d’Afrique, et surtout que chacun rentre dans ses droits. Il y va aussi de la participation libyenne dans les activités de l’UA.
Le prochain sommet de l’UA, devra, entre autres sujets, se pencher sur le renouvellement ou pas du mandat du président de la Commission. Jean Ping qui aspire succéder à lui-même, ne va certainement pas rater l’occasion de solliciter l’appui des dirigeants libyens. Sa réélection figurera donc inévitablement au menu des échanges avec le CNT.
Après avoir regardé, impuissante, et presque impassible, le déroulement des événements en Libye, l’UA voudrait bien se rattraper à travers la personne du président de la Commission. Le diplomate gabonais a besoin d’appuis face à la candidate que l’Afrique du Sud compte dresser devant lui. En venant à Tripoli, Jean Ping mettra sans doute ses atouts en avant. Par exemple, le président de l’UA connaît l’ensemble des chefs d’Etat membres de l’organisation. Il est mieux placé que quiconque pour jouer le médiateur et installer diplomatiquement le CNT à la recherche d’une forme de reconnaissance sub-africaine. Le CNT en aura besoin dans les mois et années à venir tant sur le continent qu’à travers le monde : conférence islamique, Nations unies, etc. Etre membre de la Ligue arabe ne suffit pas. Et d’ailleurs, des pays africains en sont membres.
Dans les négociations internationales, il faudra au CNT un soutien diplomatique. Et les Africains, même en ordre dispersé, constituent une force non négligeable, qu’ils soient arabophones, anglophones, francophones, lusophones, etc. Jean Ping qui a un carnet d’adresses bien fourni, se présentera sans doute en allié et futur défenseur des causes du CNT. Il ne désespèrera pas de recevoir en retour un appui à sa candidature.
Par ailleurs, chaque leader politique au sein du CNT a besoin de visibilité autant que de soutien politique et diplomatique. On peut avancer, sans grand risque de se tromper, que Jean Ping séjourne en Libye pour faire du plaidoyer en faveur de l’Afrique, du CNT et de…lui-même.
Et la période est bien choisie : qu’il le veuille ou pas, les nouveaux dirigeants de la Libye subissent actuellement des pressions dont ils voudraient bien être débarrassés au plus vite. L’après-Kadhafi pose trop problèmes inattendus. Des non-dits et des incompréhensions enveniment encore les rapports entre le CNT et les dirigeants de l’Afrique sub-saharienne. Un petit froid existe bel et bien. Il trouve sa source dans l’assassinat de Kadhafi le « bienfaiteur » pour les masses africaines.
Mais les rancœurs deviennent tenaces, les interrogations étant demeurées jusque-là sans réponse quant au traitement infligé aux migrants africains vivant sur le sol libyen ou en transition vers l’Occident. En allant à Tripoli, Jean Ping fait preuve de réalisme, l’UA ayant été considérée par l’opinion comme un anti-CNT. Le président de la Commission sauve la face, même si des exigences restent encore à satisfaire.
Source: Le Pays/iNFODABIDJAN
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