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Membre-fondateur du Rdr et oncle maternel d’Alassane Dramane Ouattara, Abou Cissé prend position pour les populations ivoiriennes qui vivent l’enfer depuis avril 2011. Avec son franc-parler habituel, il dénonce la politique du nouveau chef de l’Etat. « C’est du nazisme », assure-t-il.
Notre Voie : Alors qu’on s’attendait visiblement que l’oncle d’Alassane Dramane Ouattara que vous êtes se réjouisse de l’arrivée de son neveu au pouvoir, dans des conditions catastrophiques, vous le brocardez plutôt. Pourquoi une telle attitude?
Abou Cissé: Je ne pense pas qu’il faille associer la famille ou la religion à l’action politique. La gestion liée à une société n’est pas régie par l’amour pour un fils. La gestion d’un pays est faite de vérité et de consensus des différentes composantes de la société. C’aurait été malheureux que je m’en fuie de la Côte d’Ivoire alors que dans mon for intérieur, nous avons été le fondement de la création du Rdr. Ainsi que le défenseur farouche d’Alassane Ouattara pendant la polémique sur son identité face à Bédié.
N.V : Mais entre-temps, vous aviez changé de camp. Vous étiez avec Laurent Gbagbo. Et ce sont justement les partisans de Gbagbo qui étaient pourchassés en avril 2011 et continuent d’ailleurs d’être brimés par le nouveau régime…
A.C : Vous savez, j’ai pour moi, la vérité. Parce qu’au moment où Alassane Ouattara avait des problèmes face à Bédié, c’est Laurent Gbagbo et moi qui le défendions. C’est Gbagbo, à travers toute la Côte d’Ivoire, qui avait pris le bâton de pèlerin pour dire «non» à cette politique de destruction menée par Bédié. Si Ouattara a fait arrêter Gbagbo, m’arrêter aurait été une épine dans sa gorge.
N. V: Surtout que vous êtes son oncle. Peut-être que les liens parentaux ont été déterminants?
A.C : Peut-être, mais il y a aussi que je connais toute?l’histoire d’Alassane Ouattara. Notre famille est l’une des familles fondatrices d’Odienné. Par cela, nous connaissons l’histoire des Malinkés de Côte d’Ivoire mais également celle des Ouattara. Comme Laurent Gbagbo, j’ai foi en ce que je pose comme action. Autant j’ai pu défendre avec Gbagbo, Alassane Ouattara; autant je dois être capable aussi de défendre Laurent Gbagbo parce que je voyais venir ce qui devait lui arriver.
N.V : C’est-à-dire?
A.C : Par l’entremise de certains amis diplomates étrangers, j’étais informé du complot qui se tramait contre Gbagbo. Et l’élection présidentielle factice (sans désarmement des rebelles, ndlr) qu’on voulait mettre en place pour installer Alassane Ouattara de force.
N.V : En aviez-vous parlé au Président Gbagbo, quelle a été sa réaction?
A.C : J’ai eu à dire à Laurent (Gbagbo, ndlr) qu’il y a des artifices qui se préparent et dont nous n’avons pas la maîtrise totale. Ces artifices avaient pour but non pas à aider le pays dans la voie de la démocratie. Mais plutôt à mettre à nouveau la Côte d’Ivoire sous le joug colonial. Il m’a écouté et a dit : «Attendons pour voir». Non seulement, il a pris très au sérieux ce que je lui ai affirmé, mais il s’est dit que quelque part, il y a un Dieu qui peut réparer à tout moment les torts.
N.V : Ce que vos amis vous avaient dit est arrivé en avril 2011. Comment avez-vous vécu tout cela?
A.C : Une interview ne suffirait pas pour en parler. ça fait l’objet d’un livre qui constitue en quelque sorte mes mémoires. Il ne s’arrête pas à l’arrestation de Gbagbo…
N.V : Vous êtes donc en train de rédiger vos mémoires?
A.C : J’ai presque achevé la rédaction de mon livre. Il part de toute l’histoire d’Alassane Dramane Ouattara à l’arrestation de Laurent Gbagbo. Des raisons et du moment de décision de cette arrestation. Etant un homme courageux et un grand leader politique, Laurent Gbagbo savait, je crois, qu’on devait l’arrêter. Mais il voulait être un exemple devant l’histoire et non un martyr. Son attitude face à cette injustice correspond à celle de Nelson Mandela au moment où le régime de l’Apartheid l’arrêtait. Le combat de Gbagbo, c’est comme celui de Lumumba qui voulait transformer le Congo.
N.V : Vous ne croyez pas en la libération de Gbagbo qui viendrait poursuivre son combat?
A.C : La lutte politique ne s’arrête pas à une arrestation. Une incarcération, c’est une étape nécessaire pour créer une icône. On ne devient une icône comme Mandela, par exemple, parce que vous avez déclaré que vous voulez la liberté pour votre pays. Il y a des actes qu’inconsciemment vos adversaires vous font poser ou subir pour que vous atteigniez votre objectif: que le pays se libère et que vous entriez dans l’histoire. Gbagbo n’a pas fui la Côte d’Ivoire parce qu’il a conscience qu’il mène un combat pour tous les Ivoiriens et les Africains. Gbagbo va marquer l’histoire de la Côte d’Ivoire comme Nelson Mandela, Patrice Lumumba, Sékou Touré, Kwamé N’Krumah pour leurs pays respectifs. A travers le procès à la Cpi qui permettra à ceux qui ont attaqué la Côte d’Ivoire de s’expliquer, Gbagbo sortira la tête haute de la prison. Comme Houphouët-Boigny, Laurent Gbagbo est le produit de l’histoire de notre pays.
N.V : Depuis son arrivée au pouvoir, avez-vous rencontré le nouveau chef de l’Etat, Alassane?Dramane Ouattara?
A.C : Je n’ai pas besoin de le rencontrer. Parce que l’injustice, quand elle se caractérise par l’arrestation de personnes innocentes, en tant qu’homme de vérité, je ne vois pas pourquoi je dois aller vers l’auteur de ces actes. Je pense que mes déclarations et mes écrits l’inciteront à me rencontrer. Ce jour-là, je lui dirai ce que je pense.
N.V : Justement, est-ce vrai que vous recevez des menaces de mort pour vos déclarations et vos écrits critiques envers Ouattara?
A.C : Oui, mais tous ceux qui écrivent l’histoire sont souvent menacés par ceux qui ont peur que la vérité s’impose. Malheureusement pour eux, la vérité est en train de sortir. Tout le monde commence à savoir que c’est Gbagbo qui a remporté les élections présidentielles. Nous le savions depuis longtemps par l’entremise des ambassades étrangères. On sait aussi qu’au terme du procès à la Cpi, Gbagbo sera libéré. Et la Côte d’Ivoire sera transformée par le biais de la vérité.
N.V : Quel regard portez-vous sur la gouvernance de la Côte d’Ivoire?sous Ouattara?
A.C : Qui vous a dit que c’est Ouattara qui gouverne ce pays ? Il y a Alassane Ouattara qui est un commis, un administrateur. Il y a Soro qui détient les forces… du mal. Il y a la France qui ordonne tout. Et puis le pays va à vau-l’eau avec l’insécurité galopante, les licenciements par grappes dans les sociétés, les prix des denrées alimentaires qui flambent, la pauvreté qui est répandue etc. Aujourd’hui, le pouvoir ne tient que parce qu’on arrive encore à payer les fonctionnaires et les retraités. Le jour où cela sera bloqué, tout va s’écrouler.
N.V : La réconciliation nationale est quasi impossible, le dialogue politique notamment entre le pouvoir et le Fpi, le principal parti d’opposition, est au point mort…
A.C : Mais, je crois que la presse attribue trop de choses au Fpi. C’est la société ivoirienne, dans son ensemble, qui n’accepte pas Alassane Ouattara. Ne voulant pas de lui, les populations ivoiriennes ne sont pas prêtes à engager des actions politiques et sociales en accord avec lui. Un Président qui est entouré de militaires français et de l’Onu. Je n’ai jamais vu un chef d’Etat qui est aussi entouré d’armes. Le peuple ne veut même pas être associé aux élections qu’organise Ouattara. A preuve, il y a eu 13% de taux de participation aux législatives.
N.V : La Commission électorale a dit officiellement 36,56% de taux de participation…
A.C : Ce pourcentage de 36,56%, c’est pour faire plaisir à la France et aux Etats-Unis. Sinon la communauté internationale sait que ce n’est pas 36,56%, mais exactement 13,13%. Pire?encore lorsqu’Alassane Dramane Ouattara soutient que la population ivoirienne est constituée à 40% de dioula (malinké, sénoufo etc.), c’est archifaux. Il ne dit pas vrai. La population dioula du nord de la Côte d’Ivoire représente exactement, d’après les statistiques, 13,55% de la population ivoirienne.
N.V : Face à la presse française, Alassane Ouattara a affirmé que les nominations à caractère tribal qu’il effectue dans l’administration publique, l’armée et les sociétés d’Etat visent à faire «un rattrapage» puisque, selon lui, sous les régimes précédents, les ressortissants du nord étaient victimes d’injustice. Qu’en dites-vous?
A.C : Mais le nord n’a pas mandaté Ouattara pour rétablir une prétendue injustice. Et puis, de quels ressortissants du nord parle-t-il ? Si Ouattara estime qu’il est à la tête du pays pour les ressortissants du nord, il n’avait qu’à se faire élire Président du nord et laisser le sud en paix. C’est une erreur grave que de tenir de tels propos. La Côte d’Ivoire a 64 ethnies. C’est dangereux qu’un chef d’Etat privilégie une ethnie ou une région au détriment des autres. Une telle politique, c’est du nazisme. C’est ce que Hitler a fait en Allemagne avec des conséquences désastreuses pour l’humanité. Ce n’est pas bon pour les dioulas, eux-mêmes, qu’un dioula dise qu’il travaille pour eux.
N.V : Croyez-vous que la réconciliation nationale est possible?
A.C : Le pouvoir actuel n’est même pas sur la voie de la réconciliation nationale. Il est plutôt en train de diviser les différentes ethnies du pays à travers une politique de nazisme. Et créer ainsi les conditions d’une guerre ethnique, tribale, religieuse et civile. Parce que la tendance actuelle de privilégier les dioulas par rapport aux autres ethnies indique clairement qu’à un moment donné, les autres ethnies vont se révolter. Ce qui va occasionner une situation comme celle du Rwanda.
N.V: Que faut-il faire pour éviter cela?
A.C : Il faut que ce pouvoir s’en aille pour que le peuple installe un pouvoir fort pour permettre l’unification de la Côte d’Ivoire.
N.V: Qu’entendez-vous par un pouvoir fort?
A.C : C’est un pouvoir légitime, voulu par les Ivoiriens. Je pense que la société civile et les partis politiques doivent manifester leur désaccord de façon éclatante face à ce que nous vivons actuellement. Il ne faut pas que la peur fasse que la Côte d’Ivoire aille en lambeaux. La manière dont le pays est actuellement conduit ne peut que détruire notre patrimoine commun. La Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny ne pouvait jamais accepter qu’on envoie l’un de ses dignes fils en exil ou en prison dans un autre pays. A cause de sa politique, le président installé par la France à la tête de notre pays est totalement isolé au plan national et africain. C’est inadmissible, par exemple, qu’un chef d’Etat ivoirien soit gardé par des militaires étrangers. Où allons-nous avec tout ça ? Il est temps que les Africains et Ivoiriens se mobilisent pour que les choses changent.
Interview réalisée par Didier Depry – Notre Voie
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