Maître Ciré Clédor Ly, du barreau de Dakar, est l’un des avocats constitués pour la défense des intérêts du président Gbagbo et de ses proches emprisonnés au nord du pays le lendemain du 11 avril 2011. Il lève un coin du voile sur les tractations politico-judiciaires auxquelles il a assisté à Korhogo qui ont marqué les heures précédant le transfèrement du président Gbagbo à La Haye.
"Saisie par le Président Laurent Gbagbo et sa famille de requêtes dirigées contre l’Etat de Côte d’Ivoire et SEM Alassane Ouattara, la Cour de Justice de la Cedeao avait délocalisé toutes ses audiences du mois de novembre 2011 à Porto Novo, conformément à son Règlement de Procédure. En raison de la visite du Pape Benoît XVI au Bénin, les procédures initialement programmées le 18 novembre furent reportées au mardi 22 novembre 2011. Advenue cette date, la Cour, rendant sa décision sur le siège, ordonna la jonction des procédures déclarées urgentes avant de décider du renvoi au 19 décembre 2011 pour les plaidoiries des avocats constitués. Il est à signaler que l’avocat conseil de SEM Alassane Ouattara était cependant rentré de toute urgence en Côte d’Ivoire, sans attendre les débats.
La suite des évènements permettra de comprendre qu’en réalité, l’Etat de Côte d’Ivoire craignait d’entendre la Cour ordonner la libération du Président Laurent Gbagbo et sa famille, détenus illégalement depuis la prise du pouvoir par le nouveau régime. Il fallait d’urgence planifier le transfèrement du président à la Cour pénale internationale, pour mettre ainsi le monde entier devant le fait accompli. La Cour de justice de la Cedeao n’aurait aucun moyen, ni aucune base juridique pour empêcher le fait accompli qui avait un autre fondement juridique que celui sur lequel elle était saisie.
C’est ainsi que le 23 novembre 2011, les avocats du Président Laurent Gbagbo furent convoqués pour un interrogatoire au fond sur la procédure d’inculpation inédite de vol à main armée pour un chef d’Etat. L’on fera remarquer à cet effet que la procédure ainsi engagée violait les droits de la défense de Laurent Gbagbo car, en sa qualité de Président de la République pour certains, d’ancien Chef d’Etat et membre de droit du Conseil constitutionnel pour d’autres, ce dernier ne peut légalement faire l’objet d’une inculpation, d’un interrogatoire ou même un jugement par un magistrat, radicalement incompétent rationae personae.
Le 25 novembre 2011, par ordonnance N°42/11 rendue par Monsieur Kanga Penond Yao Mathurin, premier président de la Cour d’appel d’Abidjan, la Chambre d’accusation d’Abidjan sera autorisée à «se transporter et siéger au lieu de détention de monsieur Gbagbo Laurent et autres».
Korhogo fut ainsi investi par toute la Cour d’appel d’Abidjan, les avocats s’interrogeant sur cette présence massive et insolite de Hauts Magistrats, ignorant tout de l’Ordonnance précitée, mais soupçonnant que quelque chose se tramait.
Et alors que «l’interrogatoire» au fond du Président Laurent Gbagbo devait commencer le lundi 28 novembre 2011 à 09 heures devant le Tribunal de Première Instance de Korhogo, il ne débutera que le soir vers 16 heures, des membres des Nations Unies devant rendre visite au détenu pour s’enquérir de sa situation et vérifier les conditions de sa détention, selon les explications servies aux Avocats.
Le Président était assisté par cinq (05) avocats, le Sénégalais Ciré Clédor Ly qui rentrait de l’audience de Porto Novo, ainsi que quatre (04) avocats ivoiriens : Agathe Baroan Dioumency, Dako Zahui Toussaint, Dohora Blédé et Félix Bobré.
Etant donné l’heure tardive, l’interrogatoire au fond n’a pu être mené à terme pour des raisons sécuritaires et fut reporté au lendemain 29 novembre 2011. Mais avant que celui-ci ne débuta, le procureur général près la Cour d’appel d’Abidjan informa les avocats de son intention d’enrôler séance tenante la demande de transfèrement du Président Laurent Gbagbo formulée par la Cour pénale internationale. Pris de court par cette nouvelle pour le moins inattendue, les Conseils n’ont pu bénéficier que d’une seule et unique heure pour se préparer et ce, contrairement à la Loi ivoirienne qui organise les droits de la défense et prévoit un délai suffisant de préparation des avocats avant leur comparution et plaidoirie devant la Chambre d’accusation, quel que soit le motif de la saisine.
Le mandat d’arrêt fut alors notifié sur le champ par le Procureur de la République près le Tribunal de 1ère Instance d’Abidjan, Monsieur Koffi Kouadio Simplice, lequel procéda immédiatement à la vérification d’identité et à «l’arrestation» du Président. Ce dernier fut informé des incriminations qui lui sont imputées ainsi que de ses droits prévus par l’article 55 du statut de Rome.
Il convient de souligner que l’arrestation d’un Président de la République ou d’un ancien président de la République, lequel est membre de droit du Conseil constitutionnel, ne peut se faire que sur autorisation de la Commission d’instruction près la Haute Cour de Justice, le Procureur de la République n’étant nullement habilité à opérer une telle démarche, aux termes de la Constitution ivoirienne du 23 août 2000 et de la Loi n° 2005-201 du 16 juin 2005 portant statut d’ancien Président de la République, d’ancien Chef ou Président d’institution nationale et d’anciens membres du gouvernement.
Naturellement, les cinq (05) avocats présents et confirmés par le Président Laurent Gbagbo n’eurent d’autre choix que de plaider, la Chambre d’accusation ayant catégoriquement refusé tout renvoi, n’accordant à la défense que quinze (15) minutes pour consulter le dossier avant les plaidoiries.
A l’examen, il est apparu que l’Accord de coopération entre la Cour pénale internationale et l’Etat de Côte d’Ivoire ne figurait pas dans le dossier. Les avocats n’avaient donc pas pu prendre connaissance dudit Accord, ce qui constitue une violation inadmissible des droits de la défense. La Chambre d’Accusation donnera finalement un avis favorable au transfèrement du Président à la Cour pénale internationale, rejetant à l’occasion et toujours sur le siège la demande de liberté provisoire présentée par les conseils du Président.
Toutes les recommandations prévues par le Statut de Rome et qui garantissent les droits de la défense étaient royalement ignorées. Après le retrait de la Chambre, le Procureur Général près la Cour d’Appel d’Abidjan, Monsieur Ibrahima Fofana, demanda au Président de décharger la notification de l’Avis qui venait d’être rendu sur le transfèrement. Les Avocats s’y opposèrent, exigeant de voir la décision, laquelle n’était naturellement pas disponible. C’est ainsi que le Président Laurent Gbagbo, dépité par cette mascarade judiciaire, trancha en ces termes : «Maîtres, laissez-moi signer…Tout cela est politique».
L’Homme était visiblement exténué, déçu et dégoûté de tout cela. La maxime selon laquelle «la plus éloquente des plaidoiries se brise immanquablement sur le récif d’un dossier partisan» venait d’être encore confirmée. Les Avocats n’auront finalement que quelques petites minutes pour parler au Président, les conditions sécuritaires donnant tous les prétextes pour arracher la proie à ses défenseurs impuissants et sans arme. Ils ne furent même pas informés de l’immédiateté du transfèrement, et c’est ainsi que celui qui présidait aux destinées d’une grande nation, la Côte d’Ivoire, avait été embarqué sans même avoir eu la possibilité de s’armer de sa paire de lunettes.
L’Homme était emporté dans le noir, le droit élémentaire d’écarquiller les yeux pour essayer de percer l’obscurité lui étant refusé. Nous sommes incontestablement à la croisée du droit national et du droit international, à l’intersection des illégalités et de l’Arbitraire."
Par Maître Ciré Clédor Ly, Avocat au barreau de Dakar, membre du collectif des avocats du président Gbagbo .
Source : http://www.nouveaucourrier.info/2012/02/02/deux-mois-apres-le-transferement-de-gbagbo-les-revelations-dun-avocat-exclusif/
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