K. Habib/K. Selim - Le Quotidien d’Oran
L’opinion internationale n’est pas dupe de ce qui se passe dans cette affaire libyenne... Pas dupe que cette insurrection elle-même n’a été ni spontanée ni portée par un mouvement en lutte contre la dictature et visant à instaurer la démocratie.
La Libye de Kadhafi ne subit pas seulement le bombardement de l’OTAN... elle est aussi pillée par des banquiers d’un type particulier.
Une tutelle dénommée « groupe de contact »
par Kharroubi Habib
L’on n’a pas vu les puissances étrangères créer de « groupe de contact » pour suivre les développements des révolutions du Jasmin en Tunisie et de la place « Tahrir » en Égypte. Ce que d’aucunes, occidentales et arabes, ont aussitôt constitué dès le déclenchement en Libye de l’insurrection contre El Kadhafi et son régime. Officiellement le « groupe de contact » pour la Libye s’efforce de coordonner l’aide internationale multiforme à prodiguer à cette insurrection pour qu’elle puisse poursuivre sa lutte contre le dictateur et ses partisans, faire face aux besoins de la population du territoire qu’elle contrôle et assurer le fonctionnement des services publics libyens.
Dans les faits, le « groupe de contact » qui réunit les puissances occidentales et certains États arabes s’est érigé en tutelle de l’insurrection libyenne. Au point que lors de sa réunion à Doha, il s’est arrogé le droit de définir ce que va être l’après-Kadhafi en Libye. Manifestation d’ingérence que n’autorise ni la légalité internationale, ni la résolution 1973 du Conseil de sécurité ayant autorisé une intervention internationale en vue de protéger la population libyenne contre l’emploi par El Kadhafi de son aviation et de ses armements lourds. Les puissances membres du « groupe de contact » ont outrepassé les dispositions de la résolution onusienne et agissent ouvertement en tant que partie dans le conflit interne libyen et dictent sa conduite au Conseil national de transition (CNT) censé être l’émanation de l’insurrection.
C’est ce même « groupe de contact » qui a fait pression sur le CNT pour qu’il refuse toutes les médiations internationales qui se proposaient en vue de permettre une solution négociée au combat fratricide inter-libyen. Pour disqualifier ces médiations, le « groupe de contact » les a accusées de chercher à « sauver la mise » au dictateur libyen et à son clan. La radicalité de la prise de position de ce groupe de contact est sujette à caution tant sont évidentes les motivations qui en sont à l’origine. Tel que les puissances membres du « groupe de contact » se sont inféodé le Conseil national de transition libyen, celui-ci n’a rien à leur refuser du projet qu’elles ont esquissé pour la Libye de l’après-Kadhafi. Un projet qui bien qu’elles l’ont paré d’intention de démocratisation de la gouvernance dans ce pays ne vise qu’à mettre celui-ci sous leur « coupe réglée ». L’opinion internationale n’est pas dupe de ce qui se passe dans cette affaire libyenne. Pas dupe que ces coalisés ont par humanitaire volé au secours de l’insurrection. Pas dupe que cette insurrection elle-même n’a été ni spontanée ni portée par un mouvement en lutte contre la dictature et visant à instaurer la démocratie.
En Libye, l’on assiste à une opération étrangère dont le but est d’imposer un frein à la dynamique d’émancipation qui s’est déclenchée dans le monde arabe dans la foulée de la révolution du Jasmin en Tunisie. Dans ce pays dont les ressources énergétiques sont cyniquement convoitées, El Kadhafi et ses fils finiront par tomber et disparaître mais le peuple libyen est déjà pris en charge, encadré pour qu’il n’ait pas la velléité de revendiquer d’être le maître de son destin et de celui de son pays. Les mêmes garde-fous sont en train d’être disposés par les mêmes puissances pour confisquer aux peuples yéménite et syrien les fruits de leurs révoltes contre leurs régimes dictatoriaux respectifs. Passé la surprise et le flottement que les révolutions tunisienne et égyptienne ont occasionnés au sein des États qui se sont octroyés le rôle de gouvernance mondiale, le « printemps arabe » doit se garder de verser dans l’euphorie de croire que ces États en accepteront les promesses de liberté et de démocratie dont il est porteur pour les peuples arabes.
La guerre des aigrefins
par K. Selim
La Libye de Kadhafi ne subit pas seulement le bombardement de l’OTAN. Ce malheureux pays, long temps terre de cocagne pour toutes sortes d’aventuriers qui ont fait fortune en profitant des largesses du clan au pouvoir et de la corruption endémique, est aussi pillé par des banquiers d’un type particulier en qui il avait placé sa confiance et des capitaux substantiels. Le très informé Wall Street Journal annonce qu’une enquête de la redoutée Security and Exchange Commission (SEC), organe de surveillance de la Bourse américaine, est en cours pour déterminer si la banque d’affaires Goldman Sachs avait enfreint la loi dans ses relations d’affaires avec le Fonds souverain d’investissement Libyan Investement Authority (LIA). Goldman Sachs aurait eu l’intention de verser au fonds libyen une commission « compensatoire » de cinquante millions de dollars pour le dédommager d’une perte monumentale de plusieurs centaines de millions de dollars.
Dans la période entre janvier et juin 2008, LIA a versé 1,3 milliard de dollars à la banque américaine pour des investissements sur les marchés financiers. En février 2010, de ce capital, il ne restait plus que 25,1 millions de dollars, 98% de l’investissement libyen a disparu dans la mer des sargasses des opérations spéculatives dans lesquelles Goldman Sachs s’était engagée. Cette perte figurera certainement au Guinness Book des records les plus absurdes. A côté de cette extraordinaire performance, la perte de la moitié des fonds engagés auprès de la Société Générale dans des opérations « structurées » - les aigrefins de la finance internationale apprécient le langage pseudo-scientifique pour abuser le gogo et se convaincre de l’extrême sophistication de leurs martingales - paraît presque modeste. La LIA, qui a décidément le nez creux, avait confié 1,8 milliard de dollars à la banque française dont plus de la moitié a disparu dans des opérations aventureuses.
Le Wall Street Journal ne donne pas d’autres éléments sur la nature des contrats entre ces banques et la LIA ni sur le type exact de transactions qui ont abouti à de tels résultats. Mais il est clair que le fonds libyen a été le dindon d’une farce très coûteuse que les banquiers interrogés ne s’expliquent pas. En effet, selon les spécialistes, les investissements à risque sont très généralement « bordés », c’est-à-dire qu’ils sont encadrés de sorte à ce que les pertes éventuelles restent limitées à des niveaux raisonnables. Or, dans les deux cas évoqués, aucun filet de sécurité ne semble avoir fonctionné et le client libyen a assumé pleinement les choix hasardeux de gestionnaires de fonds aussi incompétents que peu scrupuleux. Il semblerait en effet que les Libyens n’aient pas été informés de l’évolution catastrophique de leurs placements par des banquiers décidément très « légers ».
L’incompétence et la corruption notoires des bureaucrates libyens n’expliquent pas tout, il semble bien que le Trésor libyen, qui appartient au peuple de ce pays, ait été victime d’élégants hold-ups pratiqués par des gangsters tout aussi élégants. Car ces pertes astronomiques vont être en définitive assumées par le peuple libyen ; qui devra s’en souvenir et agir en conséquence pour tenter de récupérer ce qui peut l’être auprès de banques qui tiennent plus du casino que de l’établissement financier. Quant aux dirigeants actuels et futurs du fonds d’investissement libyen, ils pourront méditer à loisir le vieil adage qui veut que pour dîner avec le diable, il faut se munir d’une longue cuillère.
L’opinion internationale n’est pas dupe de ce qui se passe dans cette affaire libyenne... Pas dupe que cette insurrection elle-même n’a été ni spontanée ni portée par un mouvement en lutte contre la dictature et visant à instaurer la démocratie.
La Libye de Kadhafi ne subit pas seulement le bombardement de l’OTAN... elle est aussi pillée par des banquiers d’un type particulier.
Une tutelle dénommée « groupe de contact »
L’on n’a pas vu les puissances étrangères créer de « groupe de contact » pour suivre les développements des révolutions du Jasmin en Tunisie et de la place « Tahrir » en Égypte. Ce que d’aucunes, occidentales et arabes, ont aussitôt constitué dès le déclenchement en Libye de l’insurrection contre El Kadhafi et son régime. Officiellement le « groupe de contact » pour la Libye s’efforce de coordonner l’aide internationale multiforme à prodiguer à cette insurrection pour qu’elle puisse poursuivre sa lutte contre le dictateur et ses partisans, faire face aux besoins de la population du territoire qu’elle contrôle et assurer le fonctionnement des services publics libyens.
Dans les faits, le « groupe de contact » qui réunit les puissances occidentales et certains États arabes s’est érigé en tutelle de l’insurrection libyenne. Au point que lors de sa réunion à Doha, il s’est arrogé le droit de définir ce que va être l’après-Kadhafi en Libye. Manifestation d’ingérence que n’autorise ni la légalité internationale, ni la résolution 1973 du Conseil de sécurité ayant autorisé une intervention internationale en vue de protéger la population libyenne contre l’emploi par El Kadhafi de son aviation et de ses armements lourds. Les puissances membres du « groupe de contact » ont outrepassé les dispositions de la résolution onusienne et agissent ouvertement en tant que partie dans le conflit interne libyen et dictent sa conduite au Conseil national de transition (CNT) censé être l’émanation de l’insurrection.
C’est ce même « groupe de contact » qui a fait pression sur le CNT pour qu’il refuse toutes les médiations internationales qui se proposaient en vue de permettre une solution négociée au combat fratricide inter-libyen. Pour disqualifier ces médiations, le « groupe de contact » les a accusées de chercher à « sauver la mise » au dictateur libyen et à son clan. La radicalité de la prise de position de ce groupe de contact est sujette à caution tant sont évidentes les motivations qui en sont à l’origine. Tel que les puissances membres du « groupe de contact » se sont inféodé le Conseil national de transition libyen, celui-ci n’a rien à leur refuser du projet qu’elles ont esquissé pour la Libye de l’après-Kadhafi. Un projet qui bien qu’elles l’ont paré d’intention de démocratisation de la gouvernance dans ce pays ne vise qu’à mettre celui-ci sous leur « coupe réglée ». L’opinion internationale n’est pas dupe de ce qui se passe dans cette affaire libyenne. Pas dupe que ces coalisés ont par humanitaire volé au secours de l’insurrection. Pas dupe que cette insurrection elle-même n’a été ni spontanée ni portée par un mouvement en lutte contre la dictature et visant à instaurer la démocratie.
En Libye, l’on assiste à une opération étrangère dont le but est d’imposer un frein à la dynamique d’émancipation qui s’est déclenchée dans le monde arabe dans la foulée de la révolution du Jasmin en Tunisie. Dans ce pays dont les ressources énergétiques sont cyniquement convoitées, El Kadhafi et ses fils finiront par tomber et disparaître mais le peuple libyen est déjà pris en charge, encadré pour qu’il n’ait pas la velléité de revendiquer d’être le maître de son destin et de celui de son pays. Les mêmes garde-fous sont en train d’être disposés par les mêmes puissances pour confisquer aux peuples yéménite et syrien les fruits de leurs révoltes contre leurs régimes dictatoriaux respectifs. Passé la surprise et le flottement que les révolutions tunisienne et égyptienne ont occasionnés au sein des États qui se sont octroyés le rôle de gouvernance mondiale, le « printemps arabe » doit se garder de verser dans l’euphorie de croire que ces États en accepteront les promesses de liberté et de démocratie dont il est porteur pour les peuples arabes.
La guerre des aigrefins
par K. Selim
La Libye de Kadhafi ne subit pas seulement le bombardement de l’OTAN. Ce malheureux pays, long temps terre de cocagne pour toutes sortes d’aventuriers qui ont fait fortune en profitant des largesses du clan au pouvoir et de la corruption endémique, est aussi pillé par des banquiers d’un type particulier en qui il avait placé sa confiance et des capitaux substantiels. Le très informé Wall Street Journal annonce qu’une enquête de la redoutée Security and Exchange Commission (SEC), organe de surveillance de la Bourse américaine, est en cours pour déterminer si la banque d’affaires Goldman Sachs avait enfreint la loi dans ses relations d’affaires avec le Fonds souverain d’investissement Libyan Investement Authority (LIA). Goldman Sachs aurait eu l’intention de verser au fonds libyen une commission « compensatoire » de cinquante millions de dollars pour le dédommager d’une perte monumentale de plusieurs centaines de millions de dollars.
Dans la période entre janvier et juin 2008, LIA a versé 1,3 milliard de dollars à la banque américaine pour des investissements sur les marchés financiers. En février 2010, de ce capital, il ne restait plus que 25,1 millions de dollars, 98% de l’investissement libyen a disparu dans la mer des sargasses des opérations spéculatives dans lesquelles Goldman Sachs s’était engagée. Cette perte figurera certainement au Guinness Book des records les plus absurdes. A côté de cette extraordinaire performance, la perte de la moitié des fonds engagés auprès de la Société Générale dans des opérations « structurées » - les aigrefins de la finance internationale apprécient le langage pseudo-scientifique pour abuser le gogo et se convaincre de l’extrême sophistication de leurs martingales - paraît presque modeste. La LIA, qui a décidément le nez creux, avait confié 1,8 milliard de dollars à la banque française dont plus de la moitié a disparu dans des opérations aventureuses.
Le Wall Street Journal ne donne pas d’autres éléments sur la nature des contrats entre ces banques et la LIA ni sur le type exact de transactions qui ont abouti à de tels résultats. Mais il est clair que le fonds libyen a été le dindon d’une farce très coûteuse que les banquiers interrogés ne s’expliquent pas. En effet, selon les spécialistes, les investissements à risque sont très généralement « bordés », c’est-à-dire qu’ils sont encadrés de sorte à ce que les pertes éventuelles restent limitées à des niveaux raisonnables. Or, dans les deux cas évoqués, aucun filet de sécurité ne semble avoir fonctionné et le client libyen a assumé pleinement les choix hasardeux de gestionnaires de fonds aussi incompétents que peu scrupuleux. Il semblerait en effet que les Libyens n’aient pas été informés de l’évolution catastrophique de leurs placements par des banquiers décidément très « légers ».
L’incompétence et la corruption notoires des bureaucrates libyens n’expliquent pas tout, il semble bien que le Trésor libyen, qui appartient au peuple de ce pays, ait été victime d’élégants hold-ups pratiqués par des gangsters tout aussi élégants. Car ces pertes astronomiques vont être en définitive assumées par le peuple libyen ; qui devra s’en souvenir et agir en conséquence pour tenter de récupérer ce qui peut l’être auprès de banques qui tiennent plus du casino que de l’établissement financier. Quant aux dirigeants actuels et futurs du fonds d’investissement libyen, ils pourront méditer à loisir le vieil adage qui veut que pour dîner avec le diable, il faut se munir d’une longue cuillère.
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