Pendant que des honnêtes citoyens ivoiriens sont jetés en prison, des chefs de guerre non nationaux ayant combattu aux côtés des Frci (forces pro-ouattara) jouissent d’une impunité totale pour les crimes qu’ils ont commis avant, pendant et après la crise post-électorale. Les massacres de Duékoué et le pillage de la réserve du mont Peko pourraient rester sans suite. Enquête.
Dans la région de l’ouest, notamment dans le département de Duékoué où des tueries massives à l’actif des forces militaires qui ont accompagné le candidat Alassane Ouattara au palais présidentiel ont été enregistrées, la crise post-électorale a laissé des traces indélébiles. Avant même l’enlèvement du président Gbagbo le 11 avril 2011, les organisations non gouvernementales (Ong) internationales des droits de l’homme ont dénoncé de façon unanime ces crimes contre l’humanité et appelé à la prise de sanctions contre leurs auteurs. Un scénario inimaginable aujourd’hui, vu qu’aucune procédure judiciaire ne vise à ce jour les éléments des Frci, membres de la rébellion armée du nord de la Côte d’ivoire (Fafn) au moment des faits. Aussi les chefs de guerre, les com’zones dont un certain nombre ont été identifiés comme auteurs de crimes de sang, ont-ils été promus à des postes clés au sein de la nouvelle armée.
Sur place dans le département de Duékoué, la situation de terreur prévaut toujours. Les autochtones continuent de vivre à l’étroit, dépossédés de leurs terres, de leurs villages et martyrisés au quotidien par des hommes en armes qui occupent encore aujourd’hui, 5 mois après la fin des hostilités, la forêt du mont Peko et les sous-préfectures et villages environnants. Sous la pression des Ong internationales, des mesures ont été prises pour une meilleure sécurisation des populations de la région. Et l’Onuci s’implique dans l’assistance aux populations désœuvrées et désorientées. Le 10 août dernier dans la sous-préfecture de Bagohouo, la mission onusienne a même initié une opération de désarmement des bandes armées qui pullulent dans la zone. Pour la première fois, à cette occasion, apparaissait au grand jour, le tristement célèbre Amadé Ouéremi dont la simple évocation du nom suffit pour faire fuir des villages entiers dans la sous-préfecture de Bagohouo située sur l’axe Duékoué-Kouibly.
Un semblant de désarmement On pouvait, ce jour-là, faire des photos de lui sans perdre la vie ou, pour les plus chanceux, une oreille. Au grand étonnement des populations wê. Mais Amandé Ouéremi ne s’est présenté qu’avec 87 éléments sur le millier d’hommes qu’il compte dans ses rangs. Tous de nationalité burkinabé comme lui-même, ces hommes qui arborent fièrement le treillis n’ont déposé que 54 armes obsolètes. 35 fusils calibre 12, des obus de mortiers sans les mortiers eux-mêmes, deux AK 47 en mauvais état. Une mise en scène grotesque qui n’a pas échappé à l’attention des populations convaincues que l’arsenal militaire de leurs bourreaux reste intact. «Ils étaient déjà plus armés que les Fds et ils ont reçu des caisses d’armes et munitions pour combattre le régime Gbagbo lords de l’offensive des Frci à laquelle ils ont pris une part active. L’Onuci ne doit pas nous tromper ainsi. Si elle veut les désarmer, elle doit pouvoir assiéger leur Qg situé dans la forêt du mont Peko et faire un ratissage. Ces hommes sont trop puissants et si rien n’est fait, ils nous chasseront définitivement de nos villages et de nos plantations», s’indigne un villageois qui ne décolère pas. Fait notable, les représentants de l’Onuci avaient annoncé publiquement, au cours de la
prétendue cérémonie de dépôt des armes, que 25 éléments d’Amadé qui étaient en service
aux cotés des FRCI à Tabou et 30 à Abengourou étaient attendus dès le lendemain 11 août à Duékoué. Ce qui revient à dire que l’occupant de la forêt classée du mont Peko et ses environs a fourni des mercenaires sur tous les fronts. La preuve que des troupes venues des pays sahéliens limitrophes de la Côte d’Ivoire, particulièrement du Burkina Faso, ont pris une part active dans l’offensive militaire qui a conduit au renversement du pouvoir Gbagbo.
Le mont Peko et ses environs toujours occupés
Une fois la cérémonie terminée, Amadé Ouérémi qui s’est présenté comme le protecteur des populations tant allogènes qu’autochtones s’est retranché avec ses hommes dans la jungle du mont Peko où il conserve intacte son arsenal de guerre et ses effectifs. Deux jours après la cérémonie de dépôt des armes, soit le 12 août dernier, des Frci arrêtent deux de ses éléments à Sibably, dans la sous-préfecture de Bagohouo. Les nommés Ouédraogo Ousmane et Ouédraogo Abdoulaye avaient été pris en flagrant délit de vol de cacao. Ils ne resteront pas longtemps en prison pour autant. Amadé obtiendra leur libération, après une intervention de l’Onuci. Aussi lors d’une récente visite du chef d’état-major, Soumaïla Bakayoko, le comandant Losséni a plaidé pour que l’Etat octroie des titres fonciers aux Burkinabé qui occupent la forêt classée du mont Peko.
Pour l’instant donc, et malgré les professions de foi des gouvernants, des hommes soupçonnés d’avoir massacré des populations civiles innocentes continuent de sévir en toute impunité. Tant en ce qui concerne les crimes économiques que les crimes de sang. A la tête de plusieurs centaines de mercenaires Burkinabé qui ont combattu aux cotés du MPCI de Soro Guillaume en 2002, Amadé Oueremi dont les hauts faits ne se comptent plus a contrôle la réserve nationale du mont Peko d’une superficie de 36000 hectares depuis près d’une décennie. En janvier 2011, ses effectifs avaient littéralement grossi, les prémices d’une reprise des hostilités militaires étant déjà perceptibles. Maitre des lieux, Amadé favorise l’installation par vagues successives de Burkinabé auxquels il vend des parcelles entières de ces terres qui font pourtant partie du patrimoine mondial de l’humanité. Personne, même les casques bleus, n’y a accès. La forêt est surexploitée en toute impunité.
Les bois précieux prennent la direction du Burkina Faso, son pays. En 2010, des agents des Eaux et Forêts basés à Duékoué tentent de se rendre dans la réserve pour s’imprégner de la situation sur place. Ils seront repoussés à l’arme lourde, leur véhicule de type 4X4 carbonisé dans le village de Guezon-Taouaké où l’épave du véhicule est encore visible. Le 2 décembre 2011, des gendarmes sont désarmés et humiliés à Bagohouo. Les Fds y retournent le lendemain 3 décembre 2010 avec des renforts. Mais c’était sans compter avec la capacité de feu d’Amadé Ouéremi et ses hommes qui règnent en maitres dans la région. Les Fds seront mis en déroute et perdront jusqu'à 6 éléments : des gendarmes et des militaires dont un officier des FANCI.
A la faveur de l’offensive contre le régime Gbagbo en mars dernier, Amadé devient un pourvoyeur d’hommes des Forces nouvelles muées par un décret d’Alassane Ouattara, alors retranché au Golf Hôtel, en Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI).
Un acteur clé des événements de Duékoué
Avant le début de l’opération, l’occupant burkinabé chasse les autochtones guéré des villages de Blodi, Toazeo, Yrozon, Zia, Bagohouo… Certains villageois fichés comme des activistes pro-Gbagbo seront tout simplement exécutés. Trois agents de santé sont enlevés et envoyés au Qg de la bande armée, afin d’y administrer des soins aux blessés dans leurs rangs. A ce jour, l’on est sans nouvelles de ces agents de l’Etat qui auraient finalement été exécutés parce qu’ils constituaient désormais un danger pour leurs bourreaux.
Le 28 mars dernier, pendant l’attaque de la ville de Duekoué, Amadé fera son entrée dans la ville par le quartier Diagne Bernard «Carrefour». Ses hommes et lui feront, dès le mardi 29 mars, plus de 1000 morts selon des témoignages recueillis dans la ville. Des pasteurs ne sont pas épargnés. Femmes, enfants, vieillards etc. périssent égorgés. D’ailleurs, il est cité dans tous les rapports des organisations internationales des droits de l’homme qui ont mené des investigations sur le terrain comme étant le bourreau des populations de Duékoué.
Pour «avoir su maitriser la ville», Amadé recevra des félicitations, le 30 mars 2011, d’un haut gradé des FN à la gendarmerie de Duékoué. Au cours des événements, ses hommes ont abattu de sang-froid le chef du village de Bagohouo. Menacé de mort, l’adjoint au chef du village prend la fuite pour avoir la vie sauve. Et c’est finalement le chef de guerre burkinabé qui désignera quelqu’un à la tête de la chefferie traditionnelle, en la personne de Do Simplice.
Edouard Amichia
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire