« Nos évêques doivent s’excuser. Ils doivent demander pardon aux Ivoiriens pour ce qu’ils ont fait pendant la crise »
Getty Images
Ce titre ronflant barrait, le mercredi 25 janvier dernier, la une d’un journal auquel je ne veux faire aucune publicité en le nommant ici mais qui se reconnaîtra forcément. Dans la forme, je relève deux ambiguïtés majeures dans cet article :première ambiguïté : à la une de ce journal, il est clairement écrit : « Le Chef de l’Etat a ouvert hier, à Yamoussoukro, la conférence des Evêques de l’Afrique de l’Ouest ». En gros plan on peut lire : « Nos évêques doivent s’excuser ! » « Ils doivent demander pardon aux Ivoiriens pour ce qu’ils ont fait pendant la crise ». La question que je me pose est de savoir qui est l’auteur de ces phrases ? Est-ce le Chef de l’Etat qui ouvre les travaux de la Conférence épiscopale de l’Afrique de l’Ouest à Yamoussoukro ou le journaliste qui écrit cet article ? Tentative de réponse : pour celui qui comme moi n’a pas suivi l’ouverture de ces travaux et donc le discours qu’aurait prononcé le Chef de l’Etat à cette occasion, l’auteur de ces phrases ne peut qu’être l’auteur de l’article, c’est-à-dire le journaliste de ce canard. Ce qui me conforte dans ma réponse, c’est qu’aucune de ces phrases n’est mise entre guillemet. En grammaire, nous connaissons le rôle, la mission et la valeur de ces signes. Comprenez avec moi que l’ampleur de ces propos eût été proportionnelle à la qualité de celui qui les tient. Si ces propos avaient été prononcés par le Chef de l’Etat lui-même, ils auraient été plus graves que s’ils sont écrits par un simple citoyen, en l’occurrence ce frère journaliste.
Deuxième ambiguïté : le titre plaqué à la une du canard n’est pas du tout le même que celui de l’article lui-même : «Réconciliation nationale : les Evêques doivent demander pardon au peuple ». Sans être un spécialiste de la langue de Molière, j’avoue très sincèrement que ces phrases ne sont pas les mêmes et se situent dans deux contextes bien différents ; premier contexte : celui de l’ouverture des travaux de la Conférence épiscopale Régionale de l’Afrique de l’Ouest, selon le titre à la une. Deuxième contexte : Celui de la « réconciliation nationale », selon l’article. Alors, dans quel contexte se situe l’article de ce journaliste qui a la prétention de donner des ordres à nos Evêques ? Car du contexte de l’article, on aurait apprécié sa pertinence. En plus, « les Evêques doivent demander pardon au peuple » et « Nos Evêques doivent s’excuser » sont deux phrases apparemment interchangeables ou convertibles, mais foncièrement différentes voire opposées. Car « demander pardon » et « s’excuser » ne sont pas les mêmes et sont donc antinomiques. En littérature, à cause de l’élasticité des mots ou de leur non-frontière souvent, on peut prendre quelque plaisir à les jumeler, fût-il de force. A contrario, en religion et particulièrement en théologie morale, les mots ont leur place et leur valeur bien précises. Ainsi, « pardon » et « excuse » s’affrontent obligatoirement, de nature comme de degré. N’étant pas théologien moraliste, je ne voudrais pas me risquer dans des démonstrations d’expert au risque de ne pas aller « jusqu’au bout ». Pardonnez-moi et excusez-moi à la fois.
Que ce frère journaliste me permette cette petite remarque : ce qui fait la force d’un journal, c’est sa crédibilité en toute chose. Je veux dire par là qu’un journal doit prendre ses lecteurs au sérieux en ne les déphasant pas par deux titres opposés que traite un même article. Le titre à la une ne doit pas entrer en conflit avec le titre de l’article. Certes le titre doit être commercial. Mais il n’en demeure pas moins que l’article qui le justifie porte le même titre. Ce cas que je viens de souligner est malheureux. Evitez désormais la manipulation et le trafic d’informations.
Dans le fond. Je suis resté sur ma faim en lisant l’article et il m’a rendu perplexe. Dans son argumentaire, ce frère journaliste évoque des faits qui selon lui doivent justifier le « pardon » ou l’ « excuse » de nos prélats ici et maintenant:
1- « La participation du clergé aux différentes tragédies » ;
2- « Leur parti pris dans le débat politique » ;
3- « Toutes choses, qui ont contribué à ouvrir les fractures, au lieu de la refermer, à enflammer les passions au lieu de les adoucir, ou à pousser à la vengeance au lieu d’appeler au pardon ».
Il va même plus loin en donnant quelques faits qui lui paraissent probants et suffisants pour que nos Evêques fassent amende honorable à tout le peuple ivoirien:
1) « En 2002, le général Robert Guéi est abattu, alors qu’il vient de trouver refuge à la cathédrale d’Abidjan. Le curé de la paroisse a souvent confirmé et regretté cet assassinat » ;
2) « En 2004, après la barbarie qui s’est abattue sur les militants de l’opposition, faisant 120 morts, selon un décompte de l’Onu, le clergé catholique refuse de prier pour les morts. Il accuse les leaders de l’opposition d’avoir conduit leurs militants « dans le couloir de la mort ».
3) « En 2005, en plein débat, sur la question de savoir si la Constitution permet ou non, à un président de la République, qui a épuisé son mandat de cinq ans de le prolonger ou non, l’Eglise a, encore une fois, pris le parti du pouvoir ».
4) « Dépositaires de la morale divine, beaucoup de prêtres sont devenus, pendant les crises, des gardiens de la Constitution.»
5) « Et l’on se souvient aussi du transfèrement, à la résidence présidentielle de l’époque, du Saint sacrement. »
6) « La religion, en général, est devenue par moments, un facteur de division, d’exacerbations des passions et des clivages au lieu d’être un catalyseur d’harmonie.»
Pour tout cela donc, nos Evêques doivent impérativement demander pardon devant Dieu et devant les hommes. Cela me pousse à faire quelques observations qui me paraissent fondamentales :
Premièrement : En laissant au frère journaliste la charge d’assumer ses affirmations, je voudrais dire que rien n’empêchait nos Evêques d’agir comme ils l’ont fait. Dans la Mission divine qui est la leur, Mission qu’ils reçoivent directement de Dieu et non des hommes – qui fait d’eux ‘’dépositaires de la morale divine’’, les Evêques œuvrent pour que l’harmonie règne dans la société dont ils sont des acteurs de premier plan au nom de Celui qui les envoie. Ils agissent en son nom et leurs actes sont soutenus par la Vérité ; une Vérité qui vient de Dieu Lui-même et qui lui plaît et non une vérité venant des hommes et qui leur plait. Leur charge épiscopale est une charge de Vérité et quand ils proclament et méditent l’Evangile pour les hommes de tous bords, ils le font dans cette Vérité, non pas pour plaire aux hommes mais pour plaire à Dieu. De ce point de vue, nos évêques, par rapport aux faits que ce frère journaliste leur attribue, n’ont rien à se reprocher. C’est la Vérité qui les a conduits à agir ainsi. Ils assument leurs décisions et ils n’ont de compte à rendre à personne, si ce n’est qu’à Dieu. Ne prenons pas le risque de faire de nos Evêques des imposteurs.
Deuxièmement : Cet article qui créé plus de problèmes qu’il n’en résolve tente insidieusement de rendre nos Evêques responsables directs de l’apocalypse qu’a vécue notre pays. Ils « doivent demander pardon aux Ivoiriens pour ce qu’ils ont fait pendant la crise ». Ce frère journaliste qui veut harceler et accabler inutilement nos Evêques et leur donner mauvaise conscience à travers sa plume n’a pas le courage de nous dire qui sont les auteurs-clés de cette « Crise » pour que nos Evêques en soient des acteurs qui auraient manqué de jouer convenablement le rôle qui leur aurait été confié.
Troisièmement : Voici les vrais auteurs de la « crise » j’entends par « crise » la guerre qui a secoué notre pays depuis le 19 septembre 2002 : Alassane Ouattara, Soro Guillaume (qui d’ailleurs continue de revendiquer avec orgueil et fierté sa rébellion », Wattao, Chérif Ousmane, Koné Zacharia et tous les autres chefs de guerre, morts ou vivants, qui ont ouvertement revendiqué la rébellion ou ont affirmé clairement au nom de qui et pour qui ils agissaient. Ce sont ces chefs de guerre qui ont tué, violé, volé, pillé les Ivoiriens et non nos Evêques.
Quatrièmement : De quel côté devraient être les Evêques ? Selon ce frère journaliste, ils devraient être du côté de ceux qui ont suscité et animé au vu et au su de tous la rébellion et la crise qu’elle continue d’engendrer ! C’est une insulte grave faite à nos Evêques. C’est les traiter de brigands, de gangsters, de guérilleros, d’assoiffés de sang et de pouvoir. Ainsi, en chacun des responsables de la rébellion, se trouverait un évêque, armes au poing prêt à tirer sur les Ivoiriens au nom de son soutien aux bourreaux devenus victimes. Dans ce pire des cas, nos Evêques ne sont plus ce qu’ils sont et ne représentent plus Dieu sur la terre et alors on peut les traiter de chefs de guerres ou de trafiquants d’armes. S’ils doivent demander pardon, c’est certainement parce qu’ils ont refusé de jouer ce rôle qu’on aurait voulu qu’ils jouent de gré ou de force.
Cinquièmement : Au nom de la « réconciliation nationale », nos Evêques « doivent demander pardon aux Ivoiriens pour ce qu’ils ont fait pendant la crise ». Personne ne peut refuser de demander « pardon » pour que la « réconciliation advienne. » Nos Evêques demanderont humblement pardon s’ils reconnaissent avoir péché sur ce sujet. D’ailleurs, le pardon, ils en demandent toujours. Cependant, dans ce processus de « réconciliation nationale », il est clair que ce qu’on demande aux Ivoiriens, c’est que ceux qui n’étaient pas pour le camp adverse demande pardon à ceux qui y étaient. Ainsi, nous nous retrouvons non pas dans une « réconciliation nationale » qui aurait pu harmonieusement fédérer tous les Ivoiriens, mais plutôt dans une « réconciliation » ou les « vaincus » doivent obligatoirement demander pardon aux « vainqueurs ». Une telle « réconciliation » n’aboutira nulle part. Elle créera plus de problèmes qu’elle ne réconciliera les Ivoiriens.
Sixièmement : Si les « Evêques doivent demander pardon », et les autres ? Pourquoi les acteurs principaux des crimes biens connus ne viendraient pas d’abord ouvrir le bal du « pardon aux Ivoiriens » pour leurs crimes et les rassurer et au besoin rendre leurs biens volés ou confisqués. Comme on tient à faire notre « réconciliation » dans la « justice », il nous faut emprunter ce chemin d’abord. A coup sûr, il est la voie royale qui donnera la confiance et l’espérance à tous les Ivoiriens qui accepteront alors de battre leur coulpe. Au lieu de cela, ce qui nous est donné de voir n’augure pas d’un bel avenir où les Ivoiriens pourraient véritablement se réconcilier entre eux.
Sans conclure véritablement, je souhaiterais qu’on éloigne la question religieuse de la résolution de notre apocalypse. Cette crise dont les conséquences demeurent encore prégnantes et graves n’est pas une crise religieuse. Ce ne sont pas des croyants de différents bords qui ont pris des armes pour s’entretuer parce qu’ils ne veulent plus adorer le même Dieu. Notre crise est une crise politique, ni plus ni moins, que des politiciens pressés de s’enrichir ont suscitée de toutes pièces pour des intérêts bien connus aujourd’hui. Selon ces intérêts, ils ont tenté d’instrumentaliser la religion. Heureusement l’Esprit Saint a éclairé nos guides religieux de tous bords qui n’ont pas succombé à la tentation. Exiger aux Evêques de demander « pardon » ou des « excuses », c’est nous conduire encore sur ce terrain mouvant de la religion. Nos responsables religieux sont assez mûrs pour savoir quels actes posés pour que le peuple de Côte d’Ivoire retrouve la paix et se réconcilie avec les valeurs qui le guidaient naguère. Quand ils le feront, ils seront jugés n’ont pas par une quelconque autorité terrestre, mais par Dieu et leurs fidèles aviseront. Ils n’ont pas d’injonctions et d’impératifs à recevoir de personne. Ne mêlons pas la religion à nos affaires politiques. Sous nos tropiques, ces deux réalités n’ont jamais fait bon ménage. Leur cohabitation est toujours chaotique. Cette façon de faire est à la fois tendancieuse et dangereuse. Que les politiciens et leurs hagiographes de journalistes et consort se tiennent bien loin de nos églises, temples et mosquées. C’est en cela que je déplore gravement que l’évêque d’Odienné ait reçu la mission, de la part du « Président de la République de jouer un rôle spirituel à côté de Mme Simone GBAGBO » détenue à Odienné. Qu’un évêque reçoive sa mission spirituelle d’une autorité civile et politique, je me demande bien à qui rendra-t-il compte : à Dieu ou à César ?
Père JEAN K.
Merci mon Père pour cet éclairage. Que Dieu lui-même nous manifeste sa glorieuse présence dans notre beau pays tant convoité par nos voisins et le monde entier d'ailleurs. Qu'ils sachent tous que le secret de la prospérité de la Côte d'Ivoire est basé sur la bonté, la générosité et la foi des Ivoiriens (je ne parle pas des ivoiriens par habitude)en Dieu seul, créateur du ciel et de la terre. Dieu vous bénisse, mon Père.
RépondreSupprimer