lundi 30 janvier 2012

Ouattara à Paris : une prise de parole problématique, par Théophile Kouamouo


Décidément, il faut se rendre à une évidence. Anne Méaux, patronne de l’agence de communication Image 7, qui corrompait les patrons des médias français pour le compte du dictateur tunisien déchu Zine El Abidine Ben Ali, selon des révélations du Canard Enchaîné, et dont le client africain le plus en cour actuellement à Paris est Alassane Ouattara, fait du bon boulot. A chacune des (très nombreuses) visites de l’homme qui dirige aujourd’hui la Côte d’Ivoire en France, elle lui obtient nombre d’interviews et de plateaux télé. Du coup, l’on peut avoir l’impression (fâcheuse) que Ouattara s’exprime bien plus lorsqu’il est sur les bords de Seine que quand il se trouve sur les rives de la lagune Ebrié.
Anne Méaux assure à son client une bonne visibilité médiatique à son client. Mais ses conseillers politiques gagneraient à s’inquiéter de toute urgence de la qualité de sa prise de parole. En effet, Alassane Ouattara, à chaque fois qu’il se trouve à l’étranger, porte de violents coups de hache à la cohésion nationale, et finit par dévaluer la parole présidentielle par ses approximations et ses incessants règlements de comptes politiciens s’affranchissant sans scrupules de la vérité historique. L’on se souvient ainsi qu’il avait affirmé, lors d’un séjour aux Etats-Unis, qu’Hermann Aboa avait appelé au meurtre des gens du Centre et du Nord dans son émission télévisée – ce qui était absolument faux – et que Laurent Gbagbo se trouvait dans la résidence présidentielle de Korhogo dans le cadre de sa détention – ce qui était tout aussi faux. Lors de sa visite d’Etat à Paris, l’ancien directeur général adjoint du FMI a récidivé.

Le génocide selon Alassane Ouattara

«Je viens d'abord remercier le président Sarkozy et son gouvernement pour l'intervention menée en avril sous mandat des Nations unies. Sans elle, il y aurait eu, en Côte d'Ivoire, un génocide pire qu'au Rwanda. Abidjan, c'est 6 millions d'habitants. Tel que c'était parti, on aurait pu avoir un million de personnes assassinées», a dit Ouattara au Monde. On ne relèvera pas la légèreté avec laquelle il manipule les chiffres pour frapper les esprits et joue de la politique-fiction mortifère. On oubliera de dire que c’est ce type de propos qui fonde les discours sur la barbarie noire et la mission civilisatrice blanche. On fera semblant d’ignorer que le seul génocide qui a eu lieu dans l’Afrique contemporaine s’est déroulé, au Rwanda, sous les yeux de l’armée française…

L’histoire nous apprend que les génocides sont des drames particuliers qui ont certaines caractéristiques : ils visent à faire disparaître une communauté ; ils sont préparés idéologiquement, logistiquement, et militairement sur une longue durée. Contre quelle ethnie ivoirienne un projet de génocide était-il donc mis en œuvre ? Par qui était-il mis en œuvre ? Comment ce projet s’est-il manifesté ? Il n’est absolument pas sérieux de prétendre des choses pareilles sans avoir répondu clairement à ces questions. Il est irresponsable de vouloir s’assurer le soutien inconditionnel d’un groupe ethnique en lui faisant croire qu’il a été – et donc qu’il est – menacé d’extinction. De plus, on a beau lire de fond en comble les rapports des organisations internationales de défense des droits de l’Homme sur la Côte d’Ivoire, l’on ne trouve nulle trace d’actes d’épuration ethnique lors de la guerre postélectorale en dehors de ce qui s’est passé dans l’Ouest ivoirien contre les Guérés. C’est là-bas que des milliers de personnes ont été triées sur la base de leurs cartes d’identité et exécutées. C’est là-bas que des villages entiers ont été incendiés, que les habitants ont été chassés, que les greniers ont été brûlés, que de nouvelles populations ont remplacé les anciennes. Interrogé à ce sujet par des journalistes français, Ouattara n’a cessé d’invoquer l’argument des affrontements interethniques, histoire de noyer la responsabilité des FRCI dans des considérations sociologiques alambiquées…

Le concept dangereux de «rattrapage ethnique»

Interrogé par L’Express sur la nomination de ressortissants du Nord à des postes-clés, Ouattara a répondu ceci : «Il s'agit d'un simple rattrapage. Sous Gbagbo, les communautés du Nord, soit 40 % de la population, étaient exclues des postes de responsabilité». Une fois de plus, les chiffres sont utilisés de manière légère pour servir une thèse douteuse. Mais ce n’est pas le plus important. Est-ce le rôle d’un chef de l’Etat d’alimenter le dolorisme ethnique qui aujourd’hui justifie toutes les dérives ? Quelles études scientifiques permettent à Ouattara d’affirmer qu’il y avait hier exclusion là où les personnalités les plus en vue de l’Etat réflétaient bien mieux la diversité nationale que ce que l’on voit aujourd’hui ? De plus, si l’exclusion d’une partie des Ivoiriens était avérée, la correction ne devrait-elle pas venir d’une politique transparente d’affirmative action dont un des objectifs serait notamment l’augmentation des taux de scolarisation, plus bas que la moyenne nationale, des fameuses «communautés du Nord» ? Laurent Gbagbo, dans son programme, prévoyait la réouverture des internats de jeunes filles dans les régions septentrionales du pays. A part la cession de la force publique à des «comzones», caporaux quasi analphabètes bardés de gris-gris au nom du «rattrapage», que propose Ouattara ?

La question de la liquidation des banques publiques

«Nous allons procéder à la liquidation des banques publiques. C’est ce que nous avons fait il y a 20 ans, malheureusement ces banques publiques sont revenues au premier plan. Je ne pense pas que la place de l’Etat soit nécessairement dans les banques. Nous allons donc, à nouveau, procéder à la liquidation des banques publiques qui s’apparentent souvent à des caisses pour les hommes politiques. L’Etat va se concentrer sur ses missions régaliennes», a affirmé Alassane Ouattara face au patronat français. Une fois de plus, la diabolisation de l’adversaire est instrumentalisée par Ouattara pour masquer un projet fondamentalement antinational – le fait que l’annonce soit faite notamment les patrons des banques françaises, est à ce titre révélateur.

Déjà, il faut remarquer que la seule banque d’Etat historique qui existe en Côte d’Ivoire est la Banque nationale d’investissement (BNI), anciennement Caisse autonome d’amortissement (CAA). Elle n’a pas été dissoute sous Ouattara quand il était Premier ministre, et elle a pris de la valeur entre 1993 et aujourd’hui. En cas de privatisation, elle vaudra donc plus cher que ce qu’elle aurait valu si elle avait été liquidée sans ménagement. La Versus Bank et la Banque pour le financement de l’agriculture (BFA) sont entrées dans le giron de l’Etat parce qu’elles étaient menacées dans leur survie, et parce qu’il ne fallait pas créer un effet domino en les laissant s’effondrer en pleine crise financière mondiale. Au Nigeria, dans les pays occidentaux, les gouvernements ont fait la même chose.

Dans le fond, l’histoire récente de la Côte d’Ivoire nous montre que les banques privées peuvent devenir frileuses en cas de crise grave. Si la BNI n’existait pas, certaines obligations de l’Etat n’auraient pas été honorées après le déclenchement de la rébellion. Est-ce être prévoyant que de se priver d’un tel instrument dans un pays qui demeure fragile ? Par ailleurs, alors que la Côte d’Ivoire ne peut manier l’arme monétaire pour mettre en œuvre une politique de relance économique, peut-elle se priver de banques qui peuvent appuyer sans rouspéter des programmes comme le Fonds national de soutien (FNS) soutenant les emplois-jeunes, ou d’initiatives en faveur du vivrier ou des artisans ? Ce qui est amusant dans tout cela, c’est qu’au moment où Ouattara se glorifie de livrer le secteur financier de son pays à la voracité des multinationales, son ami Nicolas Sarkozy annonce, dans le cadre d’une interview télévisée surmédiatisée, la création d’une banque publique destinée à soutenir l’industrie, qui sera une filiale de l’Oseo, tout aussi publique, qui appuie déjà les PME. De son côté, François Hollande annonce que s’il était élu, il mettrait en place une Banque publique de l’investissement (BPI). Un drôle d’économiste préside aux destinées du pays des Eléphants

Théophile Kouamouo

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