Traque aux pro-Gbagbo à Abidjan
REPORTAGE DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE
Des commandos fidèles à Ouattara chassent les derniers miliciens et rackettent les habitants.
Par HÉLÈNE DESPIC-POPOVIC Envoyée spéciale à Abidjan
Un combattant des «commandos invisibles» devant un salon de beauté, à Abobo, dans le nord d'Abidjan, le 19 avril. (REUTERS/Finbarr O'Reilly)
Dès qu’ils le voient, les uns se mettent au garde-à-vous, les autres s’inclinent. Avec sa coiffe ornée de coquillages sur un keffieh noir et blanc si élimé qu’il tombe presque en lambeaux, le commandant Sylla Adams ne passe pas inaperçu. Son couvre-chef est un fétiche censé l’avoir préservé des bombes et des balles. «C’est tout cela, Fognon», dit-on en référence à son nom de guerre - qui signifie «le vent» mais veut surtout dire «insaisissable» -, qu’il a porté pendant les deux mois qu’ont duré les combats dans son fief d’Abobo. Cet ancien marin, officier de carrière, est un des fondateurs du commando invisible, une organisation d’autodéfense née après le second tour de la présidentielle ivoirienne. Il fait aujourd’hui la pluie et le beau temps dans ce quartier populaire du nord d’Abidjan, favorable au nouveau président Alassane Ouattara, et soumis pendant plusieurs semaines à l’intense pilonnage des forces fidèles à l’ancien président, Laurent Gbagbo. Comme Sylla Adams, ils sont des dizaines de combattants à n’avoir disposé que de leurs propres forces pendant des semaines, sans pouvoir compter sur l’aide de leur camp. Sauront-ils rentrer dans le rang, une fois la guerre terminée ?
Sièges en cuir. Il y a quelques semaines, le commandant se déplaçait dans un pick-up cabossé. Il va et vient maintenant dans un confortable 4 x 4 BMW aux sièges en cuir ou une Mercedes rouge, sans plaques bien sûr. Des véhicules «réquisitionnés» qu’il promet de rendre. «Regardez dans la cour tous ces véhicules, ils ne sont pas à nous, nous avons dit aux gens qu’ils peuvent revenir les prendre», dit-il en faisant visiter sa base qu’il a baptisée camp Kosovo, «à cause de tous ces bombardements».
Il a installé son camp près de l’ancien centre émetteur de la télévision d’Etat, que le commando a pris d’assaut en février. Derrière les locaux, 130 jeunes font de l’exercice. Ils ont rejoint récemment le groupe et ne sont pas encore allés au feu. «Il y a tant d’armes qu’il vaut mieux avoir les jeunes dans les casernes que dehors, explique le commandant Cissé, un officier issu de la police qui a rejoint les «invisibles» dès la victoire de Ouattara. Sinon, dès qu’ils n’auront plus d’argent, ils vont devenir des coupeurs de route», ces bandits de grand chemin qui rackettent les voyageurs.
Membres du «groupement d’intervention rapide», les hommes d’Adams, répartis en sous-groupes dirigés chacun par un commandant - il n’y a pas d’autres grades -, agissent désormais en dehors d’Abobo, devenu le quartier le plus sûr et le plus vivant d’Abidjan. Ils vont dans les faubourgs voisins d’Angré et de Yopougon (l’ancien fief de Gbagbo) à la recherche de miliciens, de caches d’armes laissées par le président sortant, et de pillards qui terrorisent les habitants. Les relations personnelles jouent un grand rôle dans leur fonctionnement, qui mêle professionnalisme et amateurisme. «Nous recevons des coups de fil, les gens nous disent "venez ici, on nous rançonne", ou bien "ça tire". Et nous y allons.» Ceux qui appellent sont des amis, des parents, des voisins, des amis d’amis, ou bien des citoyens que ces militaires ont déjà rencontrés lors d’opérations similaires et auxquels ils ont laissé leur numéro de téléphone «au cas où».
«Pillards». Dans le quartier d’Angré, où vit la classe moyenne, notamment universitaire, les habitants en ont assez des pillages. «Ils sont arrivés armés, avec des bouts d’uniforme, m’ont forcé à ouvrir la porte et ont pris ma voiture et mon téléviseur, raconte Tetiali Mambo, psychologue à la retraite. Je suis allé me plaindre à un chef qui se fait appeler Kabila, et depuis cela a cessé.»«Aucun habitant du quartier n’a été tué. Mais, dans la rue d’à côté, il y avait des corps. Apparemment, un règlement de comptes avec les pillards ou entre pillards», affirme son voisin, Malan Aka, un enseignant du supérieur. Il les comprend presque :«Abobo a été le souffre-douleur de la crise. Ses habitants sont venus se servir dans un quartier bourgeois.» Les deux hommes, tous deux électeurs de Ouattara, appartiennent à des ethnies minoritaires, le premier à celle de Gbagbo, le second à une petite communauté du sud de la Côte-d’Ivoire. A ce titre, ils ne sont pas rassurés. Ils préféreraient voir des policiers dans les rues et non des combattants lourdement armés. «On m’a dit de venir chercher ma voiture. Mais qui sait si je ne vais pas devoir verser quelque chose pour la récupérer», dit le retraité.
A l’angle de la rue, les combattants de la nouvelle armée n’hésitent pas à arrêter les voitures sous prétexte de contrôle. «Donne-moi un peu d’argent, pour manger», lance l’un d’eux aux passagers. «N’as-tu pas de salaire ?» le questionne le conducteur. «Non. Ado [surnom donné à Alassane Ouattara par ses partisans, ndlr] ne nous paie pas», répond-il. Alors ils se paient eux-mêmes, comme dans le nord du pays où les hommes de l’ex-rébellion ont dressé à l’entrée et à la sortie des localités importantes des barrages-péages, parfois très rapprochés, taxant tout ce qui passe. Au camp Kosovo, chacun envisage différemment son avenir. «Les hommes d’Abobo se sont sacrifiés et ils attendent un geste du Président», dit un jeune commandant. Les plus âgés, dit-il, se démobiliseront contre «une récompense». La victoire n’a-t-elle pas toujours un prix ?
REPORTAGE DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE
Des commandos fidèles à Ouattara chassent les derniers miliciens et rackettent les habitants.
Par HÉLÈNE DESPIC-POPOVIC Envoyée spéciale à Abidjan
Un combattant des «commandos invisibles» devant un salon de beauté, à Abobo, dans le nord d'Abidjan, le 19 avril. (REUTERS/Finbarr O'Reilly)
Dès qu’ils le voient, les uns se mettent au garde-à-vous, les autres s’inclinent. Avec sa coiffe ornée de coquillages sur un keffieh noir et blanc si élimé qu’il tombe presque en lambeaux, le commandant Sylla Adams ne passe pas inaperçu. Son couvre-chef est un fétiche censé l’avoir préservé des bombes et des balles. «C’est tout cela, Fognon», dit-on en référence à son nom de guerre - qui signifie «le vent» mais veut surtout dire «insaisissable» -, qu’il a porté pendant les deux mois qu’ont duré les combats dans son fief d’Abobo. Cet ancien marin, officier de carrière, est un des fondateurs du commando invisible, une organisation d’autodéfense née après le second tour de la présidentielle ivoirienne. Il fait aujourd’hui la pluie et le beau temps dans ce quartier populaire du nord d’Abidjan, favorable au nouveau président Alassane Ouattara, et soumis pendant plusieurs semaines à l’intense pilonnage des forces fidèles à l’ancien président, Laurent Gbagbo. Comme Sylla Adams, ils sont des dizaines de combattants à n’avoir disposé que de leurs propres forces pendant des semaines, sans pouvoir compter sur l’aide de leur camp. Sauront-ils rentrer dans le rang, une fois la guerre terminée ?
Sièges en cuir. Il y a quelques semaines, le commandant se déplaçait dans un pick-up cabossé. Il va et vient maintenant dans un confortable 4 x 4 BMW aux sièges en cuir ou une Mercedes rouge, sans plaques bien sûr. Des véhicules «réquisitionnés» qu’il promet de rendre. «Regardez dans la cour tous ces véhicules, ils ne sont pas à nous, nous avons dit aux gens qu’ils peuvent revenir les prendre», dit-il en faisant visiter sa base qu’il a baptisée camp Kosovo, «à cause de tous ces bombardements».
Il a installé son camp près de l’ancien centre émetteur de la télévision d’Etat, que le commando a pris d’assaut en février. Derrière les locaux, 130 jeunes font de l’exercice. Ils ont rejoint récemment le groupe et ne sont pas encore allés au feu. «Il y a tant d’armes qu’il vaut mieux avoir les jeunes dans les casernes que dehors, explique le commandant Cissé, un officier issu de la police qui a rejoint les «invisibles» dès la victoire de Ouattara. Sinon, dès qu’ils n’auront plus d’argent, ils vont devenir des coupeurs de route», ces bandits de grand chemin qui rackettent les voyageurs.
Membres du «groupement d’intervention rapide», les hommes d’Adams, répartis en sous-groupes dirigés chacun par un commandant - il n’y a pas d’autres grades -, agissent désormais en dehors d’Abobo, devenu le quartier le plus sûr et le plus vivant d’Abidjan. Ils vont dans les faubourgs voisins d’Angré et de Yopougon (l’ancien fief de Gbagbo) à la recherche de miliciens, de caches d’armes laissées par le président sortant, et de pillards qui terrorisent les habitants. Les relations personnelles jouent un grand rôle dans leur fonctionnement, qui mêle professionnalisme et amateurisme. «Nous recevons des coups de fil, les gens nous disent "venez ici, on nous rançonne", ou bien "ça tire". Et nous y allons.» Ceux qui appellent sont des amis, des parents, des voisins, des amis d’amis, ou bien des citoyens que ces militaires ont déjà rencontrés lors d’opérations similaires et auxquels ils ont laissé leur numéro de téléphone «au cas où».
«Pillards». Dans le quartier d’Angré, où vit la classe moyenne, notamment universitaire, les habitants en ont assez des pillages. «Ils sont arrivés armés, avec des bouts d’uniforme, m’ont forcé à ouvrir la porte et ont pris ma voiture et mon téléviseur, raconte Tetiali Mambo, psychologue à la retraite. Je suis allé me plaindre à un chef qui se fait appeler Kabila, et depuis cela a cessé.»«Aucun habitant du quartier n’a été tué. Mais, dans la rue d’à côté, il y avait des corps. Apparemment, un règlement de comptes avec les pillards ou entre pillards», affirme son voisin, Malan Aka, un enseignant du supérieur. Il les comprend presque :«Abobo a été le souffre-douleur de la crise. Ses habitants sont venus se servir dans un quartier bourgeois.» Les deux hommes, tous deux électeurs de Ouattara, appartiennent à des ethnies minoritaires, le premier à celle de Gbagbo, le second à une petite communauté du sud de la Côte-d’Ivoire. A ce titre, ils ne sont pas rassurés. Ils préféreraient voir des policiers dans les rues et non des combattants lourdement armés. «On m’a dit de venir chercher ma voiture. Mais qui sait si je ne vais pas devoir verser quelque chose pour la récupérer», dit le retraité.
A l’angle de la rue, les combattants de la nouvelle armée n’hésitent pas à arrêter les voitures sous prétexte de contrôle. «Donne-moi un peu d’argent, pour manger», lance l’un d’eux aux passagers. «N’as-tu pas de salaire ?» le questionne le conducteur. «Non. Ado [surnom donné à Alassane Ouattara par ses partisans, ndlr] ne nous paie pas», répond-il. Alors ils se paient eux-mêmes, comme dans le nord du pays où les hommes de l’ex-rébellion ont dressé à l’entrée et à la sortie des localités importantes des barrages-péages, parfois très rapprochés, taxant tout ce qui passe. Au camp Kosovo, chacun envisage différemment son avenir. «Les hommes d’Abobo se sont sacrifiés et ils attendent un geste du Président», dit un jeune commandant. Les plus âgés, dit-il, se démobiliseront contre «une récompense». La victoire n’a-t-elle pas toujours un prix ?
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