par La rédaction le 18/01/12 à 11:07
Guillaume Soro, ancien secrétaire général de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) propulsé à la tête de la rébellion qui a balafré la Côte d’Ivoire pendant près de neuf ans, sera-t-il le sacrifié de la nouvelle pacification de la Côte d’Ivoire, façon «communauté internationale» ? Si l’on en croit le site Internet de Jeune Afrique, le Premier ministre a été au centre des échanges entre Hillary Clinton, la secrétaire d’Etat américaine en visite à Abidjan, et Alassane Ouattara. Au-delà de «la langue de bois diplomatique» qui «a été bien respectée», «la chef de la diplomatie américaine n’a pas hésité à employer son franc-parler habituel avec son interlocuteur», nous apprend l’article. Qui précise : «De sources diplomatiques américaines, il a été fortement recommandé au chef de l’État ivoirien de former un gouvernement de réconciliation nationale avec, à la clé, le départ de l’actuel Premier ministre. «Les États-Unis souhaitent que Guillaume Soro et tous les proches du pouvoir qui auraient pu commettre des crimes et exactions comparaissent devant la Cour pénale internationale (CPI), même en qualité de simples témoins. Ce message très clair a été passé au président ivoirien», confie une source américaine consultée par Jeune Afrique.
« Briser » le noyau de l’ex-rébellion
Bien entendu, le «même en qualité de simples témoins» est une formulation purement rhétorique. L’Oncle Sam a lancé l’opération de criminalisation de Guillaume Soro, sur lequel les regards des juges de la Cour pénale internationale sont priés de s’appesantir, alors même que le chef des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), créées par décret le 17 mars 2011, a été et reste Alassane Ouattara. Le sacrifice d’un gros poisson comme Guillaume Soro est considéré par les grandes puissances et la «bulle explicative mondiale» comme un moyen de faire accepter aux opinions africaines et à la communauté des défenseurs des droits de l’homme l’incarcération du président Laurent Gbagbo, voire une inculpation possible de figures centrales de la Résistance ivoirienne, comme Simone Gbagbo ou Charles Blé Goudé.
Mais là n’est pas le plus important. Désormais que la Côte d’Ivoire est conquise, il faut désormais la pacifier pour mieux l’exploiter. Il faut donc «briser» le noyau de l’ex-rébellion des Forces nouvelles, qui s’est emparé de l’appareil sécuritaire du pays – et grâce auquel Soro impose une sorte de «co-présidence» à Ouattara. Il faut faire place nette pour que l’armée française et l’ONUCI «prennent le pouvoir» et mettent en œuvre la réforme du secteur de la défense et de la sécurité qui rassurera les milieux d’affaires occidentaux – et achèvera la mise sous contrôle totale de la Côte d’Ivoire. Soro doit donc s’effacer.
Que fera Ouattara ? Dans le fond, il ne veut pas maintenir aux affaires son actuel Premier ministre. Il a trop vu, avec Ibrahim Coulibaly dit «IB» et Gbagbo, à quel point Soro pouvait servir un chef puis le poignarder dans le dos. Il pourra donc s’abriter derrière les injonctions de la «communauté internationale» pour assouvir ses propres desseins, et donner une dimension inédite à son « hyper-présidence » qui, dans sa conception, ne doit être redevable qu’aux parrains américain et français.
Les armes que pourrait utiliser Guillaume Soro
Il reste que Guillaume Soro garde un vrai pouvoir de nuisance. S’il n’est pas clairement rassuré – et les fuites orchestrées sur son cas ne sont pas faites pour le rassurer –, il peut réagir de plusieurs manières. Premièrement, se débrouiller pour que le thermomètre politique se réchauffe brusquement, pour que l’adversité avec l’opposition se renforce au point de menacer un Ouattara à qui il présentera ses «comzones» et ses «dozos» comme un irremplaçable rempart. Deuxièmement, se dresser contre le chef de l’Etat dans un face-à-face très risqué pour lui, dans la mesure où «ADO» dispose de la protection française. Troisièmement, faire comprendre à son «patron» qu’il peut mettre au jour les secrets partagés, et faire voler en éclats la répartition des rôles qui exonère Ouattara de tout rôle actif dans la violence militaire qui s’est abattue pendant près d’une décennie sur le pas des Eléphants. L’arme du chantage, en somme.
«Sécuriser ces gains pour la démocratie, la prospérité et la sécurité – pour les gens d`ici comme pour vos voisins – demandera beaucoup de travail. Il sera particulièrement important d`inclure toutes les voix, y compris celles qui sont discordantes, dans le dialogue politique», a dit à Abidjan Hillary Clinton, appelant à la reprise des négociations avec l’opposition, voire à un gouvernement d’ouverture. Guillaume Soro sait aussi que le gouvernement d’union nationale auquel appelle la «communauté internationale», soucieuse d’éviter un retour à la tension alors que la base du régime qu’elle a contribué à installer s’effrite à vue d’œil, ne sera pas facile à mettre en place. Il sait que Ouattara est quasiment incapable de concéder des compromis à une opposition dont il n’ignore pas la force. Il peut donc faire le mort, et essayer de gagner du temps en se disant qu’il peut réussir à rester à la Primature, en dépit des pressions internationales, jusqu’à ce que son anniversaire arrive le 8 mai prochain (ses 40 ans) et qu’il puisse conquérir le perchoir, au prix du prolongement pendant quatre longs mois de l’état d’exception dans lequel le pays est plongé depuis l’installation de Ouattara.
Une chose est sûre : la méfiance est désormais à son paroxysme au sommet de l’Etat ivoirien. Et il ne faut pas avoir le don de divination pour chuchoter à l’oreille de l’enfant de Ferkéssédougou : «Guillaume, l’heure de ton sacrifice est arrivée !»
Philippe Brou
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