samedi 21 mai 2011

Interview / Kouadio Konan Bertin à propos du maintien de Soro : ‘’Le moment venu, les mesures idoines seront prises’’

Publié le lundi 16 mai 2011 | L'intelligent d'Abidjan

Après 45 jours d’absence en Côte d’Ivoire, Kouadio Konan Bertin dit KKB est à Abidjan depuis quelques jours. Son absence avait été diversement interprétée. Pour lever toute équivoque, le président national de la Jpdci s’est prêté à nos questions.
Quel est le sens de votre passage à notre rédaction ?
Cela faisait 45 jours que j’étais loin du pays et je n’ai pas assisté à la dernière phase du combat. Il était bon que je vienne m’assurer que vous vous portez bien, vous qui avez fait l’essentiel du travail, vous qui avez souffert, j’imagine bien. Je suis donc venu vous féliciter et vous dire bravo pour tout le travail que vous avez fait.

Que ressentez-vous aujourd’hui après quatre mois de combat qui ont abouti à la chute de Laurent Gbagbo ?

C’est comme un ouf de soulagement que chacun de nous pousse tout de suite. Je vous avais dit que le problème de la Côte d’Ivoire, c’était d’avoir eu la malchance d’avoir à sa tête des historiens qui voulaient écrire leur propre histoire. Et je ne me suis pas trompé. Sinon comment comprendre que quelqu’un comme Laurent Gbagbo qui prétend avoir fait de grandes études en histoire peut conduire la Côte d’Ivoire dans un gouffre pareil. Personne n’arrive à se l’expliquer. Il était devenu un cas pour la Côte d’Ivoire dont il fallait se débarrasser. C’est ce qui s’est passé. Je voudrais féliciter tous les acteurs. Parce qu’après l’avoir chassé par les urnes, on s’est rendu compte que la démocratie et le vote ne suffisaient plus pour qu’il s’en aille. On était bien obligé de recourir à la force légitime. Tous ceux qui ont aidé à le faire, je voudrais une fois les féliciter d’avoir soulagé tous les Ivoiriens. Il faut maintenant se mettre au travail.

Votre absence a suscité la polémique ici à Abidjan. Quelle était la raison de votre présence à Paris où vous étiez ?

Je ne m’explique pas parce que des gens spéculent là-dessus. Parce que je ne pense pas qu’il y en a qui aient plus de mérite que moi. Etre au Golf, enfermé et protégé par les uns ne vous confère pas beaucoup plus de mérite que ceux qui, pour des raisons évidentes, sont absents du Golf. J’ai été de tous les combats. Je suis allé à Paris avec la bénédiction du Président Ouattara. Ce n’était pas une partie de plaisir. Parce que c’est au Golf que j’ai piqué ma crise. Il a plu au président de la République de m’aider à aller me faire soigner dans de bonnes conditions en France. Je voudrais profiter de l’occasion pour lui traduire ma reconnaissance et ma gratitude. J’irai le voir avec toute ma famille pour lui traduire cela de vive voix. Mais le Président Ouattara sait pourquoi j’étais à Paris. L’ambassadeur Ally Coulibaly qui était à mon chevet sait pourquoi j’étais à Paris. A l’impossible nul n’est tenu. Je priais Dieu pour que je sois en bonne santé pour vivre l’après-Gbagbo. Je pense qu’après dix ou douze années consacrées à ce combat-là, je me dois quand même de voir la suite. Il fallait que je sois en bonne santé et je suis allé me faire soigner en France. N’en déplaise aux détracteurs. Ils peuvent dire ce qu’ils ont envie de dire. Le chien aboie toujours et la caravane passe. Je suis habitué à cela.

Il y a eu cet incident de la mairie de Cocody avant votre départ pour la France. Que s’était-il passé exactement ? 

Je m’étais retrouvé à la mairie par hasard. Je venais de la Pisam par rapport à mon mal et j’ai un beau-frère à la mairie, chaque fois que j’ai un papier de mes enfants à faire je passe le voir. Figurez-vous que ma dernière fille qui a deux ans, que j’ai déclarée là-bas n’avait pas encore d’extrait de naissance. J’étais derrière la cité rouge, dans une clinique, quand mon beau-frère m’a appelé pour venir chercher les papiers de ma fille qu’il avait sous la main. Je lui ai donc donné rendez-vous à la station Shell en face de la mairie pour qu’il me remette les papiers. J’arrive là et mon beau-frère tardait à arriver. J’ai donc décidé, par imprudence, d’aller à son bureau. Voilà tout le crime que j’ai commis. Quand les agents de la mairie m’ont vu, ils se sont rués sur moi. Ils ont appelé la Fesci au secours, la cité rouge, Saint Jean, Blockhauss, etc. D’aucuns se sont moqués de moi parce que j’ai été exfiltré, habillé en treillis. Mais à la fin, je me rends compte que je ne suis pas le seul qu’on habille en treillis à la seule différence que je n’avais pas porté de casque (rires). Le maire de Cocody lui-même a été pour qu’on me tue. Le commissaire de police qui n’était pas loin de là, est venu me voir aussitôt que la crise a éclaté. Au départ, les gens étaient un peu plus de trois cents personnes. Je pouvais les braver pour m’en aller. Le commissaire me dit qu’il a eu le maire au téléphone et il fallait que j’attende. Je lui ai dit que le maire ne viendra pas. Et que le maire lui-même pourrait appeler du renfort et au bout d’une heure la situation serait intenable. Le maire n’est jamais arrivé sur les lieux.

Est-ce qu’au bout de quatre longs mois de crise il ne vous est jamais arrivé de douter de l’aboutissement de votre combat ?

Je ne suis pas un homme de doute. Je suis un homme de foi. J’ai toujours cru en ce combat-là. D’abord en tant que militant du Pdci-Rda, j’étais convaincu que Gbagbo serait battu dans les urnes. Parce que quand vous associez les voix du Pdci-Rda et du Rdr, ce sont deux forces imbattables. Mais l’après urne était l’équation inconnue pour moi. Parce que je ne suis pas habitué à la manipulation d’armes. Donc c’était ça le plus difficile.

Ce qui a été gênant durant votre séjour à Paris, c’est la présence de deux de vos collaborateurs, Anoblé Félix et Koffi Michel, auprès d’Ibrahim Coulibaly. Quel éclairage avez-vous à apporter ?

C’est vraiment gênant pour moi de savoir que deux amis que je connais bien en l’occurrence Anoblé et Koffi Michel aient été avec IB. Avec Anoblé numéro 2 d’Ibrahim Coulibaly. J’en ai été secoué à l’hôpital. Ceci dit, j’ai déjà condamné ces actes. La Jpdci ne les a pas envoyés en mission, ils sont allés de leur propre chef et je ne vais plus revenir là-dessus. Mais je condamne fermement ces agissements qui m’ont fait beaucoup de peine. Je sais que tous ceux qui sont tapis dans l’ombre et qui cherchent l’occasion pour me nuire voudraient absolument me voir impliqué dans cela et en faire une affaire KKB. Mais on se connaît bien en Côte d’Ivoire dans le milieu politique et je ne suis pas celui qui affectionne le combat des armes. Jamais je ne me suis mis dans ça. C’est vrai, on dira que deux de mes jeunes se sont laissés aller à la tentation mais je n’ai rien à y voir.

Et vos rapports avec Atsé Jean Claude ?

Atsé Jean Claude demeure toujours un jeune frère. Toutes les fois qu’il a fait ses petites scènes, j’ai regardé ça avec beaucoup de sang froid. Parce que croyez-moi, Atsé n’a jamais été un problème pour moi. Atsé est une marionnette. C’est comme un jeu de dames. Vous avez le damier et les pions. C’est le doigt qui pousse le pion qui est important pour moi. Tous les doigts qui étaient autour d’Atsé et qui le manipulaient, ce sont ces doigts-là qui étaient importants pour moi. Je les ai tous identifiés. Tout ce qu’ils redoutaient pour qu’ils se comportent de cette façon-là, je leur dis, ils seront servis de toute façon.



Le Président Bédié a récemment déclaré qu’il ne revendiquait aucun poste et qu’il se voyait plutôt dans un rôle de conseiller. Comment accueillez-vous cette déclaration à la Jpdci au moment où la course aux postes fait rage ?

Je voudrais féliciter le Président Henri Konan Bédié, homme de lumière qui a une vision et qui sait où il va. Je me réjouis de savoir qu’il se soit sorti d’affaire par la grande porte. Parce que n’oubliez pas que Bédié a déjà dit à qui veut l’entendre qu’il était à son dernier combat. J’ai été heureux de sa déclaration et cela prouve qu’il est un homme d’Etat. Dans une République organisée, il n’y a pas deux chefs.

Le Président Ouattara est élu par les Ivoiriens et il est important qu’on le laisse gouverner. S’il lui plaît de s’abreuver de l’expérience du grand frère Bédié pour ses conseils, ce serait une bonne chose. Pour le faire, Bédié n’a pas besoin d’un titre ou d’un statut particulier. Quand on a été président de la République, quand on a été président de l’Assemblée nationale d’un pays, quel autre poste peut-on encore occuper dans cette même République ? Bédié a donc raison. En le disant, il se met volontiers au service de la République comme il l’a fait depuis l’âge de 26 ans. Il dit là sa disponibilité à se mettre au service de la Côte d’Ivoire en étant chez lui. S’il plaît au président Ouattara d’aller demander ses conseils, c’est avec joie, plaisir et empressement que le président Bédié les lui donnera. Ça c’est la marque des grands hommes.

Il y a aussi que le poste de Premier ministre devrait revenir au Pdci selon les promesses de campagne. Mais la réalité est qu’aujourd’hui les ex-Forces nouvelles tiennent ce poste. Est-ce que cela n’est pas une menace pour la cohésion au sein des alliés du Rhdp ?

C’est ce que dit la rumeur, mais on ne peut pas construire un pays sur des rumeurs. Nous sommes partis en alliance. Personne n’a pensé que cette alliance tiendrait plus d’un mois.

Mais Soro n’est pas du Rhdp…

Certes. Mais on était dans le G7, et par la suite est venu le Rhdp plus les Forces nouvelles à un moment donné. La politique, dit-on, c’est la saine appréciation des réalités du terrain, bonnes ou mauvaises. Quand le Président Ouattara a gagné et que Gbagbo s’est opposé, il nous fallait une force. Nous ne disposions pas de force. C’est Soro qui disposait déjà d’une force. C’est la réalité du terrain. Nous lui avons renouvelé notre confiance et nous continuons de travailler dans cette voie. Donc il n’y a pas de malaise. Mais croyez-moi, le moment venu, quand nous apprécierons la situation autrement, les mesures qui doivent être prises le seront, mais pour l’instant nous nous sentons bien.

Il n’en demeure pas moins que le Pdci refuse pour l’instant de se dissoudre dans le Rhdp dans le cadre du parti unifié…

Il est vrai que j’étais absent du pays, mais la voix officielle du Pdci, c’est Henri Konan Bédié. Ensuite M. Alphonse Djédjé Mady, à la limite Kouadio Konan Bertin président des jeunes ou madame Dao. Le Pdci, c’est quand même beaucoup d’Ivoiriens et vous ne pouvez pas empêcher que des anonymes donnent leur avis dans un maquis, chez eux au salon, n’importe où. Cela entretient le débat. Le Pdci est un parti sérieux et responsable. Nous avions dit que celui qui viendrait au second tour serait soutenu par les autres. Nous l’avons démontré. Le moment venu, Bédié l’a dit et ses militants l’ont suivi. Le même Bédié a dit que nous allons au parti unifié. Pourquoi les gens veulent qu’il y ait absolument problème ? Pour l’instant, je viens d’arriver et je vais convoquer les jeunes le 14 mai (NDLR : avant-hier) à la maison du parti pour une assemblée générale. Le tout n’est pas d’élire un président. Dans une démocratie, quand vous l’avez élu, il faut lui donner une majorité confortable à l’Assemblée nationale. Et notre alliance a dit que nous allons ensemble aux élections législatives, municipales et toutes les autres. C’est cela qu’il faut qu’on prépare dans la sérénité et dans la cohésion au sein du Rhdp pour que nous donnions une majorité à Ouattara au sein de l’Assemblée nationale, et les autres débats viendront après.

Est-ce à dire que Soro n’est pas un os dans la gorge du Président Ouattara et du Rhdp ? 

Je ne suis pas à la place du président Ouattara et je ne peux pas savoir si Soro est un os dans sa gorge. Au Rhdp, je ne le pense pas dès lors que vous dites vous-mêmes qu’il n’est pas membre du Rhdp. Nous avons du chemin à parcourir. Attendons de voir les événements qui arrivent devant nous. Soro est un allié au Rhdp. C’est le moins que je puisse dire. 


Face au défi de la réalité du pouvoir, il y a aujourd’hui ce que d’aucuns qualifient de ruée vers les postes. Des cadres au sein des alliés se lancent déjà des peaux de bananes; chacun revendiquant une part de la victoire. Quel est votre sentiment sur cet état de fait ?

La Côte d’Ivoire nouvelle ne va pas se limiter seulement à reconstruire les routes et les ponts. La Côte d’Ivoire va nécessiter un Ivoirien nouveau. Notre crise est d’abord profondément morale. La crise morale ce n’est pas seulement les leaders. C’est le peuple ivoirien lui-même qui est devenu méconnaissable depuis quelque temps. Il faut bâtir l’Ivoirien nouveau sur des valeurs précises. Diantre ! Quelqu’un est élu. Pourquoi pense-t-on qu’en Côte d’Ivoire on ne peut être à l’aise qu’en étant forcément ministre ? On a élu M. Ouattara, mais en même temps s’il était notre camarade avec qui on mangeait hier, il ne l’est plus. Il est le président de la République. Et le président élu se donne les hommes qu’il faut pour gouverner le pays. Mais nous avons été habitués à cette mentalité-là. Cependant, je comprends que depuis dix ans Gbagbo a exclu systématiquement les cadres du Pdci et du Rdr de l’administration ivoirienne. Ils étaient brimés, c’était une minorité qui jouissait. Dès lors que nous avons l’occasion, je comprends que chacun veuille retrouver ses attributs d’hier.

Ces cadres étaient pourtant dans les cabinets ministériels gérés par le Pdci et le Rdr…

Les cabinets à eux seuls prenaient combien de personnes ? Connaissez-vous le nombre d’Ivoiriens qui ont voté pour Alassane Ouattara ? On n’avait que sept portefeuilles ministériels. Pouvait-on les caser tous ?

Croyez-vous à la commission vérité-réconciliation et est-ce que vous avez confiance quant aux personnes désignées pour l’animer ?

Je fais entièrement confiance en Charles Konan Banny. Je dis qu’on n’a même pas de question à se poser. La réconciliation est une nécessité pour la survie de la nation. Heureusement que le Président Ouattara a eu le nez creux pendant la campagne en sortant le slogan du vivre ensemble. On ne peut pas revivre ensemble avec des fusils. Il faut que les Ivoiriens acceptent de se parler à nouveau, de se mettre d’accord autour du président Alassane Ouattara pour rebâtir la Côte d’Ivoire. Le président Ouattara ne bâtira pas ce pays s’il n’y a pas un minimum de paix intérieure. Cette paix intérieure commande que nous prédisposions nos cœurs au pardon, surtout nous qui sommes au Rhdp. Nous devons tendre la main à nos bourreaux d’hier qui heureusement ou malheureusement sont des Ivoiriens que nous ne chasserons pas de ce pays. Ce n’est pas ‘’le ôte-toi pour que je m’installe’’ Il faut qu’on se tende la main pour faire de notre pays le pays phare qu’il était.

Les détracteurs disent de Banny qu’il n’est pas neutre pour avoir joué un rôle dans la crise pour être l’oiseau rare qui va réconcilier les Ivoiriens ?

Vous faites bien de parler de détracteurs. Qui est neutre en Côte d’Ivoire ? Si Banny est un cas, comme c’est une commission vérité et réconciliation, ceux qui détiennent des vérités sur Banny auront là l’occasion d’aller les dire et on en tiendra compte.

Dans la gestion des affaires, le gouvernement Ouattara risque de passer un ou deux ans pour rétablir la sécurité. Le Rhdp aura-t-il le temps de réaliser ses promesses électorales ?

Nous avons le devoir d’apporter le bonheur au peuple de Côte d’Ivoire. Les Ivoiriens n’ont pas choisi M. Ouattara pour se poser des questions. Dieu seul sait qu’ils ne seront pas tendres avec nous. Nous savons la situation telle qu’elle est. Nous avons accepté d’être là et nous nous battrons pour faire plaisir aux Ivoiriens.

Il y a la question de la Fesci qui revient aujourd’hui sur toutes les lèvres. Vous avez été étudiant et côtoyé cette organisation. La dissoudre maintenant serait une bonne chose ou pas ?

Je ne suis pas bien placé pour donner un avis parce que j’ai été adversaire de la Fesci. Donc mon avis devait être connu tout de suite. C’était en principe la défescisation radicale de l’école ivoirienne. Mais il faut être courageux. La Fesci a été ce grand mal de notre génération. Les dernières décennies ont secrété cette structure qui a gangrené la jeunesse ivoirienne. Quand vous mettez l’Université d’un pays au service du mal, ça ne peut que donner ce que ça donne aujourd’hui. Tous les camps belligérants sont peuplés de militants de la Fesci parce que ce qu’ils savent faire, c’est la violence, la braise comme moyen d’action. C’est ce que nous avons toujours combattu. Ça doit disparaître et je crois qu’avec l’arrivée de M. Ouattara au pouvoir l’on ne devrait plus se poser la question. On n’a même pas besoin de dissoudre la Fesci pour lui faire une fausse publicité. Il faut l’ignorer tout simplement. Parce que je ne vois pas qui, encore sur le Campus, est capable de dire, je vais loger des étudiants pour mon propre compte, je prends une machette. L‘esprit Fesci est mort avec le départ de M. Gbagbo. Il faut ignorer la Fesci et démocratiser le syndicalisme estudiantin. Parce que l’université est pour moi le lieu de l’apprentissage de la démocratie. S’ils apprennent à cohabiter sur le Campus avec leurs différences, il peut avoir plusieurs syndicats. Que des étudiants qui ne sont pas d’accord avec un mot d’ordre le disent sans être inquiétés. Il faut donc défesciser en esprit l’école ivoirienne.

Réalisée par Touré Youssouf, S. Débailly, Olivier Dion- col:Joël Touré

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