Que s’est-il passé ? Tout comme ces Ivoiriens et autres observateurs de la politique de la Côte d’Ivoire qui se perdent en conjectures, je n’en sais rien. Le Pr Paul Yao N’Dré, président du Conseil constitutionnel, vient de réussir la pirouette de la honte de l’histoire juridique de notre pays. En moins de cinq mois, il fait deux prestations de serment contradictoires de la même présidentielle. Début décembre 2010, il déclare Laurent Gbagbo Président de la République, réélu à l’issu du scrutin du 28 novembre 2010. Le 5 mai 2011, il annule cet arrêt et proclame Président de la République Alassane Dramane Ouattara qui, le 11 avril 2011, au terme du coup d’Etat opéré par la France au moyen de sa force Licorne, a pris le pouvoir d’Etat. C’est une chape de plomb qui a accompagné la déclaration télévisée du président du Conseil constitutionnel, entouré des membres de cette institution, les visages fermés ou fuyant la camera.
Pourquoi Yao N’Dra fait-il cela ! « S’il devait dire cela, pourquoi ne l’avait-il pas fait dès le départ pour épargner tous ces morts et tous ces pillages ! Pourquoi a-t-il laissé mourir tant de personnes et occasionner tant de désolation dans les familles ! » Ce sont là les complaintes de gens simples, assommés par la pirouette du Professeur de droit. Dans la population, s’expriment deux sentiments. Pendant que l’effarement s’empare de personnes ayant placé pleine confiance dans Paul Yao N’Dré, d’autres, pro Ouattara, ricanent de la forfaiture de l’homme, disant : « On avait bien dit qu’il n’avait pas dit le droit, Yao N’Dré, voilà ! » Paul Yao N’Dré avait-il besoin de cette pirouette ? Que gagne-t-il à la faisant, au mépris de sa propre dignité et de la mémoire de tous ces morts depuis sa déclaration donnant Laurent Gbagbo vainqueur de la présidentielle du 28 novembre 2010 ? Paul Yao N’Dré évoque les pv. du vote du 2e tour de la présidentielle, des résultats provisoires donnés par la Commission électorale indépendante (Cei) et les décisions du Panel de l’Union africaine. Qui seraient contraignantes à tous et que les lois internationales primant sur les nationales, le Conseil constitutionnel prenait acte de ces conclusions et déclarait Alassane Ouattara Président de la République. Or, en décembre dernier, le même président du Conseil constitutionnel avait déclaré que la Cei n’avait jamais donné de résultat et que la certification du représentant de l’Onu, Young Jin Choi, était nulle parce que les décisions des Organisations internationales, fut-elle l’Onu, n’étaient pas au dessus de la Constitution. D’où vient-il donc que le 6 mai 2011, il en soit à faire prêter serment celui qu’il avait déclaré perdant de la même présidentielle ? Pourquoi alors ne s’était-il pas rendu à la convocation de l’Ua à Addis-Abeba pour y déclarer Ouattara vainqueur ? Les autorités françaises auraient-elles forcé la main à Paul Yao N’Dré ? Qu’on ne me parle pas d’argent, de beaucoup d’argent qu’aurait reçu cet homme pour se déculotter. La raison doit être bien ailleurs.
« Si cette forfaiture pouvait permettre d’arrêter les exactions contre les membres et personnalité de la Majorité présidentielle, l’on le comprendrait, mais malgré tous les actes d’allégeance que posent nos leaders pour rassurer Alassane Ouattara, il s’en moque et les arrestations, les tueries et les pillages continuent dans le camp du Président Gbagbo» constate un interlocuteur. La preuve, l’arrestation du Dg de la Sicogi Libi Koita à son bureau, alors que les nouvelles autorités ont demandé aux Ivoiriens de reprendre le travail ; et l’assassinat dans son village du colonel Ehouman, ex-chef de la sécurité du Président Gbagbo.
Nous avons suivi l’analyse de Théophile Kouamouo. Bel article pour la fiction et non pour la réalité du terrain. Ce n’est que l’ouverture d’un débat auquel se livrent des intellectuels. Mais le mal étant déjà fait, quel est l’impact d’un tel débat sur le terrain ? Ce qui est indéniable, c’est que Paul Yao N’Dré et Mamadou Koulibaly viennent d’« enterrer » le Président Gbagbo à partir de cette reconnaissance d’Alassane comme Président de la République. Et l’on se demande vraiment à quelle fin politique. Est-ce pour pouvoir récupérer le Fpi et en faire un fonds de commerce ? Sinon, qui, sur le terrain de la population, ira au-delà du fait qu’Alassane Ouattara a été déclaré vainqueur de la Présidentielle de novembre 2010 par le Conseil constitutionnel et a prêté serment devant lui ? Peu importe pour les masses, qu’il soit le Président imposé par la communauté internationale. Cela, on le savait déjà. On retiendra également que Mamadou Koulibaly, président de l’Assemblée nationale, était à la prestation de serment de Ouattara au moment où ses camarades de parti sont poursuivis ou recherchés, alors qu’à celle du Président Gbagbo, il n’était pas présent. Est-ce à dire que c’est aujourd’hui qu’il reconnait son rôle de président de l’Assemblée nationale ? A quoi cela rime que de faire prêter serment Ouattara le jour même où le Président Laurent Gbagbo doit être entendu par le procureur de la République ? Quelles garanties Paul Yao N’Dré et Mamadou Koulibaly ont-ils obtenues de Ouattara pour réaliser leur pirouette, leur parjure, en admettant que les lois internationales, les décisions de l’Union africaine, sont au-dessus de la Constitution et que cette organisation peut choisir le président de la Côte d’Ivoire ? Que le nouveau Président exceptionnel va réhabiliter l’Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel, libérer les membres du Fpi et de la Majorité présidentielle détenus en prison et mettre fin aux exactions et exécutions sommaires dans leur camp ? Vraiment ? Ne sont-ils pas là, en train de donner plus d’éléments à Ouattara pour envoyer Gbagbo devant les juridictions internationales ? Ou alors, leur préoccupation aujourd’hui, c’est d’avoir des postes au Gouvernement Ouattara ? Pourtant Laurent Gbagbo étant dans l’opposition, discutait avec le pouvoir sans être dans le gouvernement. Qu’ont-ils appris de lui, Paul Yao N’Dré, Mamadou Koulibaly et Miaka Oureto ? L’histoire situera les Ivoiriens sur leurs actes. Mais on retient qu’ils viennent vraiment de plonger Laurent Gbagbo dans l’oubli.
Germain Séhoué in LE TEMPS
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