jeudi 7 juillet 2011

Adama Champion fait des révélations sur le rôle de l’armée française le 11 avril


De nouvelles révélations à couper le souffle d’Adama Champion – dont la femme a été enlevée après ses premières confidences au Nouveau Courrier – sur ce qui s’est passé lors des derniers jours de résistance à la Résidence présidentielle de Cocody. Sur le rôle actif des forces spéciales françaises, les soldats des FRCI présents sur les lieux… Et sur le jeu trouble du général Mangou.
Après votre témoignage exclusif sur l’arrestation du président Gbagbo, votre femme a semble-t-il été victime d’un enlèvement ?
Je suis vraiment peiné par un tel comportement et nous nous rendons de plus en plus compte que les nouvelles autorités ne sont pas prêtes à accepter la contradiction. Quand un chef d’Etat se met devant la Nation pour raconter ce qui n’est pas vrai et que quelqu’un qui a été témoin des faits, vienne apporter la contradiction, je ne crois pas que cela puisse poser problème. Puisque ce chef de l’Etat en question n’était pas sur les lieux. C’est ce qu’on a dû lui rapporté qu’il dit et moi qui étais sur les lieux, c’est ce que j’ai vécu à la résidence du président Gbagbo que j’ai raconté. En effet, ma femme a été enlevée aux alentours de 8h le jour de la publication de mon témoignage dans les colonnes de votre journal, c’est-à-dire le lundi dernier. Les hommes du commandant Soudja des Frci établis au 16ème arrondissement de Yopougon ont débarqué à bord d’un pick-up au Terminus 40, le quartier où vivait mon épouse et ont encerclé la cour. Ils ont fouillé toute la maison sans rien trouver et ont emmené ma femme avec eux.

Et que s’est-il passé par la suite ?
Elle a été séquestrée et bastonnée 24 heures durant dans les locaux du 16ème arrondissement avant d’être relâchée le lendemain, avec un message clair pour moi : «si on attrape ton mari, c’est un homme mort». Aujourd’hui, elle porte encore sur tout son corps, les séquelles de cette torture.

Revenons une fois encore sur les évènements d’avril dernier. Dans votre témoignage, vous aviez dit qu’il y a eu beaucoup de morts…
Oui, il y a eu énormément de morts de civils surtout, mais également de militaires. Les morts, on en voyait un peu partout. Depuis chez le président Mamadou Koulibaly (dont la résidence est à quelques pas de la résidence présidentielle) jusqu’à chez le président. Sur toute la voie, il y avait des cadavres de civils. Mais également devant le camp de la Garde républicaine qui se trouve à proximité de la résidence du président. Il y avait des tentes dressées là pour les civils qui affluaient à la résidence du président Laurent Gbagbo. Ils sont presque tous morts, je ne peux pas me hasarder sur les chiffres, mais ce sont des centaines de cadavres. Les cadavres étaient un peu partout dans ce périmètre-là jusqu’à l’intérieur de la résidence du chef de l’Etat. Et la Croix Rouge en sait quelque chose parce que c’est elle qui se chargeait de ramasser tous ces cadavres. Si les volontaires de la Croix Rouge, sur les lieux, sont honnêtes, ont une conscience professionnelle et un respect profond pour la mémoire de ces martyrs, ils ne diront pas le contraire de ce que je révèle dans les colonnes de votre organe de presse. Tous ces morts sont le fait des hélicoptères de l’armée française qui, durant plusieurs jours, tiraient sans retenue sur la résidence du président Laurent Gbagbo.

Vous, en ce moment là, où étiez-vous ?
Nous étions cachés sous les murs déjà tombés. Tantôt on rentrait à l’intérieur de la résidence, tantôt on se retrouvait sous un abri de fortune dehors. Mais on se rend compte aujourd’hui que c’est une grâce que Dieu nous a faite d’avoir eu la vie sauve. Nous aurions pu connaître le même sort que ces nombreux jeunes Ivoiriens tués par l’armée française depuis ses hélicoptères.

Quels sont les commandants Frci que vous avez pu identifier chez le président Gbagbo le 11 avril dernier ?
Il y en avait certainement plusieurs. Etant dans le feu de l’action, on ne pouvait pas prendre le temps de reconnaitre tout le monde. Mais, en réalité ceux que j’ai pu voir, ce sont Wattao, puisque c’est lui-même qui s’est interposé entre ses éléments et le président Laurent Gbagbo, Delta, qui était à l’époque le chef de la sécurité de Guillaume Soro, je ne sais pas s’il l’est encore. Il y avait également Atchengué de Bouna (Morou Ouattara, ndlr). Ce sont les quelques-uns que j’ai pu identifier. En tout cas, je n’ai pas fait attention à Vétcho que j’ai découvert après dans les médias, puisque je ne pouvais pas tout voir, d’autant plus que je m’évertuais à sauver ma peau.

Y’a-t-il eu un affrontement entre les Fds et les Frci à la résidence du chef de l’Etat ?
Je suis formel et catégorique. Il n’y a pas eu d’affrontement entre Frci et les éléments des Fds qui étaient à la résidence présidentielle, ni dans les alentours. Parce que depuis 6 heures du matin, les chars de l’armée française étaient déjà garés devant la résidence de l’Ambassadeur de France. Et depuis cette heure, ils (soldats français, ndlr) ont commencé à faire des manoeuvres au moment où les hélicos bombardaient la résidence du président Gbagbo. Les éléments des Fds étaient presque tous partis. Ceux qui sont restés, pour la plupart, ce sont les cadavres des soldats tués par l’armée française. Et quand les éléments des Frci ont été informés et rassurés qu’il n’y avait plus de résistance, c’est en ce moment là qu’ils sont venus tranquillement rentrer dans la cour, faire ce qu’ils avaient à faire. Sinon dire que les Frci ont échangé des tirs avec les Fds, c’est archifaux. Les Frci même sont conscientes que n’eût été le concours de ces gens-là (les forces spéciales françaises, ndlr), elles ne pouvaient rien dans la capture du président Laurent Gbagbo.

Vous qui étiez à la résidence, qu’est-ce qui s’est passé le jour où le président recevait les Généraux, avec à leur tête le Général Mangou ?
Le jour où le président recevait les Généraux, nous avons été tous surpris de voir le Cema, le Général Mangou, qui avait trouvé refuge quelques jours plutôt chez l’Ambassadeur d’Afrique du Sud. Il a dit être venu présenter ses excuses au chef de l’Etat et aux jeunes patriotes qui y étaient. Il a été hué par les jeunes. On lui a même dit que nous ne voulons pas d’un chef d’état-major traitre, d’un fuyard. Mangou nous a dit, pour se justifier, qu’il y est allé (chez l’Ambassadeur d’Afrique du sud, ndlr) contre sa volonté et que la pression s’était accentuée sur lui. C’est ce qui l’avait poussé à se réfugier. Et qu’il était de retour, présentant ses excuses à l’ensemble des Ivoiriens. Nous avions cru en ces propos. Après ce jour, il n’a plus jamais remis les pieds à la résidence.

La dizaine de jours passés chez le président, un fait particulier vous a-t-il marqué?
Tout le temps que j’ai passé à la résidence, ce qui m’a le plus marqué, c’est le dimanche 10 avril aux alentours de 8 heures, à l’heure du petit déjeuner, où le président Gbagbo est sorti avec une serviette au coup pour nous retrouver dehors. Il nous a dit : «ah je vous ai dit de rentrer, vous êtes encore ici ?». Et il s’est approché de moi et m’a dit ceci en souriant: «toi, ils ne vont pas te tolérer, parce que tu es du nord. Donc est-ce que tu ne vas pas partir ?». Je lui ai dit : «non monsieur le président, je vais rester.» J’ai été profondément marqué par cet échange entre lui et moi. Et, jusqu’à ma mort, je n’oublierai jamais cet instant d’intimité entre le président et moi. Et ce qui était aussi intéressant, c’est que chaque soir, il organisait des séances de prière pour qu’on pardonne à ceux qui nous tuent. Il est resté humble, serein et toujours souriant jusqu’à la minute même de son arrestation.

Les nouvelles autorités semblent déterminées à allier réconciliation et justice…
Pour que la réconciliation soit vraiment une réussite, il faudrait qu’Alassane Ouattara dise la vérité sur certains aspects de la crise que traverse notre pays. S’il tient vraiment à la réconciliation, qu’il s’arrange aussi à retirer les mandats d’arrêts internationaux contre ceux qui sont en exil pour leur survie et leur demander de rentrer au pays. On ne peut pas menacer d’arrêter les Ivoiriens qui sont dehors et parler de réconciliation. S’ils rentrent au pays, ils seront arrêtés ou tués, nous le savons tous. Il ne faut pas que Ouattara oublie que les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Le président Bédié avait lancé un mandat d’arrêt international contre lui en 1999, il y a eu le coup d’Etat. Le Général Guéi, à son tour, a voulu arrêter un certain nombre de personnes, dont les sergent-chef IB et compagnie qui se sont retrouvés hors du pays. On sait ce qui est arrivé par la suite, il y a eu septembre 2002. Si Ouattara aspire réellement à une réconciliation vraie comme il le dit, qu’il mette fin à sa justice des vainqueurs. Qu’il fasse la part belle à une justice impartiale. Je pense que nous pourrons parvenir à cette réconciliation.

Ne voyez-vous pas qu’on se dirige vers le rétablissement de l’ordre aussi bien à Abidjan qu’à l’intérieur du pays ?
Quand vous-même vous regardez, vous voyez quel ordre qui est rétabli ? Les Frci sont partout dans les villes, villages et campements avec des armes. Des gens qui ne doivent pas avoir des armes qui ont des armes. On parle d’encasernement, mais est-ce qu’ils sont réellement encasernés ? Ils sont dans la ville, ils sèment la terreur partout. Aucun jour ne passe sans qu’on entende que les Frci ont fait ci, les Frci ont fait ça. Où est l’ordre en ce moment. C’est une comédie qu’on nous sert, il faut que les Ivoiriens comprennent cela. La preuve en est que l’unicité des caisses n’est pas encore une réalité en Côte d’Ivoire. Le nord n’est toujours pas rallié à la zone gouvernementale, le cacao continue toujours de prendre la direction du Burkina Faso. Si Ouattara contrôlait la situation, au moins il aurait pu mettre fin aux activités de la centrale des Forces nouvelles. Où va cet argent? Bien sûr dans les poches de Soro et ses hommes.

Votre parti, le Fpi continue de se chercher…
Oui, en effet ! Le Fpi est décapité. C’est en cela que moi j’appelle les uns et les autres à s’unir autour du président Mamadou Koulibaly qui assure en ce moment l’intérim. Il faudrait pour cela, mettre fin aux querelles inutiles et réorganiser le parti. Si possible, convoquer rapidement un congrès et désigner un président, en la personne de Mamadou Koulibaly pourquoi pas, qui aura les pleins pouvoirs, pour faire face aux problèmes auxquels nous sommes confrontés. Notamment, oeuvrer pour la libération de nos camarades, préparer les futures échéances électorales… Tout le monde connait la force de frappe du Fpi et c’est ce qui fait peur à Ouattara. Il ne veut pas que le Fpi s’organise et, nous aussi, nous n’allons pas tomber dans son jeu. Il faudrait qu’on se réorganise pour se mettre en ordre de bataille. C’est pourquoi, j’invite tout le monde à l’union et à l’entente autour de l’idéologie et des autorités actuelles du parti pour repositionner très vite le Fpi.

Source: Gérard Koné – LE NOUVEAU COURRIER

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