mercredi 13 juillet 2011

Côte d’Ivoire: Duékoué, carrefour de la haine


Publié le mardi 12 juillet 2011 | Slate Afrique

Règlement militaire du conflit ivoirien: Les Forces républicaines à Duékoué
Duékoué. Members of Pro-Ouattara forces hold their weapons on March 29, 2011 in Duekoue, in western Ivory Coast. Photo: DCA


Que s’est-il passé à Duékoué, cette ville de l’ouest de la Côte d’Ivoire où plus de 816 personnes ont été tuées fin mars 2011? Florent Geel, directeur Afrique de la Fédération internationale des droits de l’homme, prépare un nouveau rapport sur la question. En avant-première, il livre son analyse à SlateAfrique.

Duékoué, l’une des plus grosses échardes plantées dans le pied d’Alassane Ouattara, intéresse toujours au plus haut point les organisations de défense des droits de l’homme. Et pour cause: beaucoup de questions se posent sur la responsabilité des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), l’armée levée par le camp Ouattara pour chasser Laurent Gbagbo du pouvoir, dans les événements du 29 mars 2011 qui se sont déroulés dans cette petite ville de l’Ouest peuplée de 72.000 habitants.

Le rôle-clé des Dozos

Ce jour-là, les hommes et les garçons de l’ethnie Guéré sont traqués et exécutés, tandis que femmes et fillettes trouvent refuge à la Mission catholique. Florent Geel, le directeur Afrique de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), s’est rendu sur place début juin, et pointe le «rôle particulier» joué par les Dozos, des chasseurs traditionnels issus des ethnies du Nord (Dioulas et Malinkés) et organisés en milices.

«Ces chasseurs, armés de machettes, de couteaux, de fusils et parfois d’armes de guerre ont accompagné les FRCI dans leur conquête d’Abidjan, et ont commis des exactions dans l’Ouest du pays, affirme Florent Geel. Leur rôle a consisté à contrôler le territoire pendant l’avancée des FRCI, pour empêcher la formation de milices dans leur dos.»

La présence des Dozos est loin d’être anodine: elle s’avère même centrale pour l’avenir politique d’Alassane Ouattara. Les FRCI pourraient en effet devoir répondre de leurs actes à Duékoué devant la justice internationale, la Cour pénale internationale (CPI) ayant ouvert une enquête sur les exactions commises en Côte d’Ivoire après le 28 novembre 2010, date du second tour de l’élection présidentielle.

Le rôle des Dozos a été souligné par l’Organisation des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) dans son premier communiqué après le massacre de Duékoué. L’Onuci faisait alors état de 330 morts, dont 110 imputés aux milices pro-Gbagbo et 220 imputés aux chasseurs Dozos.

Un premier bilan qui contraste très nettement avec celui du Comité international de la Croix rouge (CICR), qui estime de son côté le massacre à 816 morts, principalement parmi des membres de l’ethnie Guéré, pour la seule journée du 29 mars. A tort ou à raison, le communiqué des Nations unies avait été perçu comme un moyen de relativiser la responsabilité directe des FRCI.

Le rôle des Dozos a aussi été mentionné par Amnesty International, dans son rapport publié le 25 mai, qui présente ces chasseurs comme des forces supplétives aux FRCI. Dans l’Ouest, la responsabilité des Dozos dans «une majorité de crimes paraît clairement établie», selon l’ensemble des témoignages recueillis par la FIDH.

Des questions importantes, sur le plan politique aussi bien que judiciaire, restent posées: qui sont exactement ces chasseurs traditionnels aux chapeaux à frange, bardés d’amulettes, armés de couteaux, de machettes, de fusils et d’armes de guerre? Sont-ils des électrons libres opérant depuis des années en toute impunité, ou des membres à part entière de l’ex-rébellion nordiste des Forces nouvelles (FN), dont les 20.000 hommes ont formé le gros des troupes des FRCI? Quel est leur lien hiérarchique avec les FRCI? Début de réponse de Florent Geel:

«Les FRCI savaient. Au mieux, ils ont protégé les Dozos. Au pire, ils ont été les instigateurs de leurs crimes.»

La FIDH recommande comme Amnesty International des enquêtes impartiales et indépendantes, mais Florent Geel précise qu’il faudra faire le tri dans les témoignages, crédibles ou pas, recueillis sur le terrain:

«La situation est tellement complexe qu’on ne peut pas se fier aux témoignages, dit-il. J’ai moi-même été confronté à des témoignages bidon et instrumentalisés, essentiellement à Duékoué.»

Tensions et violences intercommunautaires

Si le pire est arrivé à Duékoué, ce n’est pas seulement parce que le contingent de 200 Casques bleus marocains posté à moins d’un kilomètre du quartier Carrefour s’est distingué par sa passivité, comme le dénonce Amnesty International. Aux yeux de Florent Geel, la région concentre plusieurs facteurs explosifs.


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