mardi 30 août 2011

LES VÉRITÉS DE BERNARD HOUDIN SUR LA CRISE IVOIRIENNE




Bernard Houdin, Conseiller du Président Laurent Gbagbo n’est pas en Côte d’Ivoire ; à travers cet entretien effectué en ligne, il croque l’actualité ivoirienne avec la rigueur d’un observateur averti.
Conseiller français du Président Laurent Gbagbo, comment vivez-vous les événements tragiques en Côte d’Ivoire ?
Je suis effectivement français d’origine et j’ai acquis la nationalité ivoirienne il y a plusieurs années. Arrivé très jeune (un an) à Abidjan, j’y ai grandi et fait l’essentiel de mes études primaires et secondaires de l’école de la Ran au Banco jusqu’au lycée classique de Cocody en passant par le collège d’orientation du Plateau.
Mon père dirigeait une entreprise de travaux publics qui a bâti, entre autres, les deux ponts d’Abidjan et l’Hôtel Ivoire. J’ai, plus tard, travaillé au ministère des Finances de 1975 à 1977, quand M. Bédié en était le ministre, et dirigé la société Ash à la fin des années 1990 puis d’autres entreprises jusqu’à ce que le Président Gbagbo m’appelle à son cabinet en 2007.

J’ai vécu l’ensemble de la crise ivoirienne, de 2002 à aujourd’hui comme un gâchis effroyable dont les autorités françaises successives porteront la responsabilité devant l’Histoire. Après l’élection et la décision du Conseil Constitutionnel, je n’aurais jamais imaginé que le président français ordonnerait la destruction de la Résidence présidentielle et la capture du Président de la République par l’armée française, un acte qui entrera dans l’Histoire comme une des pires forfaitures des relations franco-africaines

Depuis le 11 avril, une nouvelle situation prévaut en Côte d’Ivoire. Que pensez-vous du choix du Président concernant le Porte-parole ?

Le ministre Koné Katinan a été, par mandat écrit, désigné par le Président Gbagbo comme son Porte-parole officiel. Je sais, d’expérience, que le Président ne pose jamais un acte à la légère. Le Porte–parole est le «lien» entre lui et tous ses partisans. Le choix de l’ancien ministre du Budget n’est pas anodin.
Dans une période difficile le Président a voulu promouvoir un homme de rigueur qui a démontré, dans le gouvernement formé après l’élection du 28 novembre, toutes les qualités pour mériter la confiance du Président.
Toutes celles et ceux, quelle que soit la structure à laquelle ils appartiennent, qui veulent s’engager dans le combat du Président doivent, d’abord, accepter ses décisions et sa vision des choses. En effet, comment peut-on se prévaloir du Président et, dans le même temps, ne pas respecter ses choix et décisions ?

Représentant du Président Gbagbo en Europe et en Amérique, sous l’autorité de son Porte-parole, quelle est votre mission ?

Pendant toutes mes années auprès du Président j’ai essayé d’agir sans ostentation, en m’efforçant de remplir honnêtement ma mission. Le choix du Président à mon égard, confirmé par le Porte-parole, tient, peut être, de sa conviction que je travaillerai, sans état d’âme, à la mise en œuvre de sa «feuille de route».
La feuille de route du Président était déjà claire, pour moi, le 11 avril lorsqu’ il a déclaré, à l’hôtel du Golf :
«La crise militaire est terminée, il faut régler la partie civile de cette crise pour que le pays reprenne».
Il a renouvelé ce mot d’ordre lors de la venue des Elders à Korhogo et il a délivré, dans son message à la nation à l’occasion de la Fête nationale, sa vision profonde de la crise et des conditions du renouveau du pays. J’encourage tous les Ivoiriens et, au-delà, tous les Africains épris de souveraineté et de dignité pour leurs pays respectifs, à s’approprier ce discours qui montre, une fois de plus, la vision politique et le sens de l’Histoire du Président Gbagbo.
C’est mon rôle, ici, de relayer la parole du Président, en accord avec le Porte-parole. Il existe en Europe et aux Amériques de nombreuses associations et représentations de partis politiques ivoiriens déjà implantés localement où qui sont apparus dans l’urgence de la crise. Il faut les faire travailler ensemble pour créer une force qui puisse peser sur les médias et l’opinion publique, ce qui finira par interpeler le monde politique.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?

Dans nos sociétés modernes, la prolifération des moyens d’expression, en particulier à travers toutes les possibilités offertes par l’internet, rend difficile la maîtrise de l’action politique. Aujourd’hui, ces moyens de communication amplifient la propagation des informations et, le plus souvent, des rumeurs. Vue de Paris, de Hambourg ou de Montréal, la situation du pays est «scrutée» en permanence et si, juste après le 11 avril, les manifestations «émotionnelles» étaient légitimes et nécessaires, il faut désormais agir de façon plus «politique», ce qui impose aux uns et aux autres un effort sur soi-même car il est évident que le sort actuel du pays nous fait naturellement pencher vers des actions plus radicales.
Je rentre du Canada où j’ai représenté le Président aux cérémonies organisées par la diaspora ivoirienne à l’occasion du 51e anniversaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire. J’ai rencontré des hommes et des femmes bien intégrés dans la société canadienne, mais qui se sentent totalement concernés par l’état du pays. C’est une prise de conscience que je retrouve partout où je vais. Cela démontre la justesse du combat du Président qui a toujours privilégié le respect du Droit et qui accepte les pires humiliations pour faire triompher, à la fin, sa vision d’une Côte d’Ivoire moderne et démocratique, qui soit un exemple pour l’Afrique et le monde.
Dans cette période de combat politique, nous devons montrer à l’opinion internationale et aux medias que nous représentons une «force tranquille» et ne pas risquer d’être entrainés dans des provocations de toutes sortes. Mais je dis à toutes celles et à tous ceux qui se battent avec nous qu’il leur faut rester mobilisés et entretenir autour d’eux la flamme de l’espérance. Il faut arriver à comprendre que, dans ce genre de situation, l’action la plus efficace n’est, généralement, pas la plus bruyante.

Quatre mois après le 11 avril, la situation de la Côte d’Ivoire est en effet toujours très précaire. Quelle est votre analyse ?

Il est commun de dire que «l’on récolte ce que l’on a semé». Le jeudi 25 novembre 2010, à la veille du 2e tour, j’avais demandé audience à l’Ambassadeur Jean Marc Simon. Au cours de l’entretien, déjà inquiet des manœuvres qui avaient commencé dans le nord au 1er tour et émettant différentes hypothèses pour le scrutin du dimanche suivant, je lui ai dit :
«je pense, hypothèse n°1, que le Président va gagner, que Ouattara va contester quelques temps mais que les choses rentreront rapidement dans l’ordre, Mais, hypothèse n°2, si l’on fait gagner Ouattara, alors là je vous promets le chaos».
La réponse de l’Ambassadeur de France résonne encore à mes oreilles : «je crains, monsieur, que l’on s’achemine vers votre dernière hypothèse» ! Vous connaissez la suite…
La vérité est que le Président Gbagbo avait gagné effectivement l’élection du 28 novembre 2010. Le scrutin a été truqué et, passé la période où «le monde entier a été trompé par l’annonce de M Choi»comme l’a déclaré, en son temps, le Président angolais Eduardo Dos Santos lors de ses vœux au corps diplomatique en poste à Luanda, cette vérité commencera, imperceptiblement, à prendre corps.
Un seul chiffre, incontournable, est le «talon d’Achille» de ce trucage: le taux de participation du 2e tour, officiellement annoncé par la Cei à 70,84 % le lundi 29 novembre 2010, confirmé par un communiqué de l’Onuci et, brutalement, «augmenté» à 82 % dans la «proclamation» du président de la Cei du 2décembre 2010, dans les conditions que l’on sait.
J’ai participé, en juin dernier, à l’invitation des Autorités vénézuéliennes, à une Convention sur l’Afrique à Caracas. Au cours de la séance d’ouverture, l’ancien Président Jerry Rawlings a dit clairement à la tribune :
«en Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo a gagné l’élection mais a perdu la guerre contre la France».
Le pouvoir en place n’est pas celui élu démocratiquement et tous les «cris d’effroi» que pourront pousser certains, hommes politiques et medias confondus, n’y feront rien. Un jour, qui n’est peut être pas si lointain, le point d’inflexion de cette crise sera atteint et vous verrez les choses changer.
D’ailleurs la politique menée par les autorités installées par le coup de force des dirigeants français démontre chaque jour sa vraie nature : un pouvoir faible et dissolu, incapable d’instaurer un climat d’apaisement pour rassurer l’ensemble des Ivoiriens. Dans ce contexte la déclaration du Premier ministre français à l’Assemblée nationale, après le 11 avril 2011, précisant «sa fierté que l’armée française ait contribué à restaurer la démocratie en Côte d’Ivoire» apparaît encore plus cynique alors que nous entrons dans le 4e mois de gestion de monsieur Ouattara.
La France va entrer dans la phase active de la période pré-électorale pour la présidentielle de 2012. Il faudra peser de toutes nos forces et «inviter» la crise ivoirienne dans le débat.
Dans le même ordre d’idée, les élections à venir en 2012 dans le monde, aux Etats-Unis, au Sénégal, au Mali et au Cameroun seront, elles aussi, l’occasion de rappeler qu’en Côte d’Ivoire certains ont truqué délibérément le suffrage universel pour assouvir une soif de pouvoir personnel, ce qui n’est rien d’autre que le viol de la conscience collective du peuple ivoirien.

Vu d’Europe quels sont les éléments qui vous donnent l’espoir que les choses pourraient changer en Côte d’Ivoire ?

Si nous avons confiance ici, toutes celles et ceux qui luttent pour une vraie démocratie en Côte d’Ivoire, certains signes alimentent notre conviction. Prenons l’exemple de la presse. Au lendemain du 11 avril 2011 une chape de plomb s’est abattue sur la presse «bleue» et malheur à ceux qui auraient eu l’idée de critiquer les «nouveaux maitres».
Aujourd’hui, dans un climat de violence et d’intimidation permanente, des esprits libres et courageux permettent aux Ivoiriennes et Ivoiriens de ne pas entendre seulement une propagande aveugle. Votre propre journal en est l’incarnation : malgré les menaces et les sanctions iniques, vous ne cédez pas. Vous êtes un modèle pour tous ceux qui luttent de l’extérieur : ce que vous faites à l’intérieur est infiniment plus compliqué et courageux que tout ce que l’on peut faire à l’extérieur.
Cela doit être un motif permanent de persévérance dans l’action. D’un autre côté, nous voyons chaque jour nos interlocuteurs, Ong, médias, milieux politiques, s’interroger de plus en plus ouvertement sur la vraie nature de cette crise ivoirienne.

Revenons au quotidien de votre travail. On parle de dissensions dans l’organisation de la diaspora. Qu’en pensez-vous ?

La gravité de la situation actuelle rend vaine et dérisoire toute polémique. Les faits sont clairs. Le Président fait des choix, ceux qui se réclament de lui doivent les suivre ou sont libres d’agir selon leur propre entendement. Mais ils ne peuvent pas, dès lors, le faire au nom du Président. Depuis toujours je m’attache à agir selon un des principes cardinaux du Président :
«Asseyons nous et discutons».
J’entends et j’observe, ça et là, des propos et des initiatives peu propices à favoriser un climat serein nécessaire à l’efficacité de la lutte. Ne comptez pas sur moi pour me prêter à ce jeu et à me détourner de l’objectif qui m’a été assigné. Je dis et redis qu’il y a un temps pour tout. Après le 11 avril 2011, dans l’émotion des événements, il fallait montrer que l’on ne se soumettrait pas au diktat de l’étranger.
Aujourd’hui est venu le temps du combat «politique», moins ostentatoire mais indispensable. Dans ce contexte les manifestations (marches, rassemblements) doivent être des armes à utiliser à bon escient pour en conserver toute leur efficacité. A titre d’exemple, l’an dernier les Français sont descendus par millions dans les rues pour manifester leur opposition à la réforme des retraites. M. Sarkozy l’a finalement imposée (avec un Conseil Constitutionnel composé de 9 membres sur 9 de sa famille politique…).

On se rend compte que pendant qu’il tend la main aux Gbagbo, le pouvoir inculpe ses membres. Comment expliquez-vous cette politique ?

Depuis son installation par le coup de force de la France, M. Ouattara n’a de cesse de prôner la réconciliation nationale. Dans ce domaine, comme dans tous ceux où il a pris position depuis le 11 avril 2011, les actes posés contredisent singulièrement les propos émis. Les «inculpations» de la majorité des dirigeants de la mouvance présidentielle Lmp, au-delà du caractère «loufoque» des motifs invoqués, sont de nature à briser durablement le tissu national que le Président Gbagbo avait commencé à tisser avec patience.
La position du Président et de la 1ere Dame, vice-présidente de l’Assemblée nationale, sans aucun statut juridique, conduit aujourd’hui même les plus fervents défenseurs d’Ado à se sentir «gênés». En fait tout cela rend raison au Président Gbagbo qui apparaît chaque jour qui passe comme le seul à pouvoir rendre au débat démocratique en Côte d’Ivoire toute sa signification. Cela rappelle, aux uns et aux autres, que le mandat du Président n’a, à aucun moment, été celui d’un dictateur tel que les parrains du complot antinational ont voulu le faire paraître.
La liste est longue des actes à caractère démocratique posés par Laurent Gbagbo pendant sa présidence, guidé par le souci de la préservation de l’avenir du pays, en privilégiant sans cesse le dialogue entre les Ivoiriens, au risque, avéré désormais, de voir les ennemis de la liberté se servir de cette ouverture d’esprit pour mieux avancer masqués.
Au contraire, les dirigeants actuels, mués par la satisfaction de leurs intérêts personnels au détriment de l’intérêt général, s’enferrent dans leurs contradictions et prennent, à chaque fois, les mauvaises décisions. Ce cycle «infernal» aura ses limites tôt ou tard. C’est parce que l’attelage hétéroclite du Rhdp n’a, ni consistance politique ni un soutien populaire majoritaire qu’il n’a pas d’avenir. Préparons-nous, comme le Président Gbagbo nous l’a toujours enseigné, à avoir une réponse «politique» à cet état de fait.

Après un rapport accablant de l’Onuci contre les Frci et les Dozo sur les violations des Droits de l’Homme en Côte d’Ivoire, les deux entités indexées disent être irréprochables, innocentes. Finalement, personne n’a tué ceux qui sont morts pendant cette crise ?

Depuis le 19 septembre 2002, jour où, ne l’oublions jamais, plusieurs centaines de personnes sont mortes, en majorité des soldats des Fanci qui ont sauvé la République à ce moment là, jusqu’aux dernières exactions quotidiennes des «Frci», le peuple de Côte d’Ivoire est victime de la «volonté de pouvoir» d’une caste politique qui n’ a pas hésité à s’appuyer sur la force de puissances étrangères d’une part, et de bandes armés dont la conviction politique est inversement proportionnelle à la soif de pillage économique d’autre part.
Oui, on a tué, on a beaucoup tué en Côte d’Ivoire ces dernières années, mais les bourreaux «paradent» dans Abidjan et les villes de l’intérieur, avec la complicité veule d’une partie de la classe politique dont l’appât du gain et la recherche d’un «poste» tient lieu de viatique.
Heureusement les Ong telles que Human Rights Watch et Amnesty International ainsi qu’une partie croissante de la presse d’investigation commencent à «briser» la loi du silence qui s’était abattue sur le pays depuis le 11 avril 2011. C’est un combat long et difficile à mener où le courage et l’honneur devront triompher du mensonge et de la manipulation.
Les victimes ne sont pas les tueurs et ceux-ci devront, un jour, rendre compte au tribunal de l’Histoire. Je salue d’ailleurs, à cette occasion, le travail exemplaire que votre journal, dans la pire adversité, continue à réaliser. Il illustre bien une phrase du Président Gbagbo dans son message du 7 aout dernier : «…Car, jamais un peuple qui lutte pour sa liberté n’a été vaincu».

Quel message voudriez-vous retenir ?

La crise actuelle donne raison au Président Gbagbo. Le 15 octobre 2010, dans sa déclaration de candidature à l’élection présidentielle, il avait dit : «je suis le candidat de la Côte d’Ivoire contre le candidat de l’étranger et cette élection marquera la fin de la période houphouetienne de l’Histoire du pays….».
Ce qui arrive aujourd’hui en est l’illustration parfaite et si nous nous plaçons dans une perspective historique, le Président Gbagbo, par son sacrifice personnel, va faire rentrer la Côte d’Ivoire dans une nouvelle époque, celle de la souveraineté nationale au vrai sens du terme. Aussi, son message du 7 août doit être lu, relu et médité par chacun et chacune.
Aussi permettez-moi, en conclusion, de donner la parole au Président :
« (…) je voudrais me permettre de partager avec vous quelques réflexions sur le sens profond de la journée de ce 7 août. Cette réflexion est un exercice de prospection de nous-mêmes qui s’impose à chaque de ce pays, mais surtout aux dirigeants et aux responsables politiques et administratifs qui ont la charge de construire le destin de notre nation, surtout dans le contexte actuel de grands traumatismes causés à notre peuple, qui n’aspire qu’à vivre sa souveraineté en tant qu’acteur et sujet de l’humanité, et non pas comme simple objet ou simple spectateur de la construction de sa propre histoire (…)
Mes chers compatriotes, de mon lieu de détention, je continue de garder la foi en notre combat. Comme dans tous les combats il y a des batailles perdues. (… )
Qu’une bataille perdue ne nous détourne pas de notre objectif final qui est l’affirmation de notre existence en tant que communauté de destins libre et souveraine (…)
Les grandes puissances qui nous en imposent aujourd’hui sont passées par ces épreuves. Leurs générations actuelles jouissent des dividendes de luttes menées par leurs ancêtres. (…)
Demeurons toujours mobilisés et confiants. Car, jamais un peuple qui lutte pour acquérir sa liberté n’a été vaincu. C’est aussi une vérité historique»

Entretien réalisé par Germain Séhoué
Le Temps

Source : lacotedivoirelavraie Par thruthway

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