jeudi 8 septembre 2011

5 mois après l’accession de Ouattara au pouvoir: Le trafic du cacao vers le Burkina ‘‘légalisé’’


L’ex-zone CNO est-elle désormais une province du pays dirigé par Blaise Compaoré ? En tout cas, en dépit du fait que le pays est désormais réunifié, et que les ex-rebelles ont «conquis» Abidjan, une bonne partie de la production ivoirienne de cacao continue d’aller au Burkina Faso. Les populations locales, qui protestent contre cette atteinte à l’économie nationale, dénoncent ce scandale. Et sont matées par les FRCI.

L’accession au pouvoir du président du Rdr Alassane Ouattara, à l’issue de la crise postélectorale, était censée mettre un terme sinon à la crise politico-militaire débutée en 2002, du moins à la partition du pays. Près de cinq mois après la chute de l’ancien régime, la normalisation et la réunification du pays sous une autorité unique restent pourtant des objectifs lointains. Un leurre. Au lieu de s’essouffler, l’exportation illicite du cacao ivoirien vers le Burkina Faso prend des proportions inquiétantes. On peut même dire qu’elle est devenue une activité légale, tant elle est tolérée.
Désormais, c’est au vu et au su de tous que le cacao ivoirien est collecté et acheminé vers le Burkina Faso et exporté à partir du port de Lomé. Depuis que les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci) ont pris le contrôle du pays, le circuit de collecte des productions de cacao en direction du pays de Blaise Compaoré s’est renforcé. Ainsi, il n’y a pas de jour sans que des camions de 60 tonnes affrétés par des acheteurs membres du réseau ne prennent la route du Burkina Faso. Tout le cacao qui est produit dans les régions des Montagnes, du Moyen Cavally et du Haut Sassandra, pour ne citer que ces régions, est systématiquement exporté vers le Burkina Faso – pays sahélien qui n’a pas un seul pied de cacao sur son sol – à partir de différents ports secs dont les exportateurs de ce pays disposent en Côte d’Ivoire. Selon nos informateurs au coeur du système, c’est tout un circuit que ces exportateurs qui font de gros chiffres d’affaires ont mis en place, en collaboration avec les Frci, pour organiser la fuite du cacao ivoirien. Les actions sont coordonnées à partir des deux grands ports secs que sont Duékoué, la ville carrefour, et Vavoua. Dans l’indifférence totale, les ressources nationales sont pillées.

Vavoua, principal point de collecte.

Dans le département de Vavoua, cela fait déjà plus de dix ans que le trafic illicite des fèves de cacao prospère. Il est donc très organisé et nocif pour l’économie nationale à la recherche de ses marques en cette période postélectorale. Récemment, des acteurs de la filière café-cacao du département de Vavoua ont tenté de bloquer un convoi de 4 à 6 camions de 60 tonnes qui s’ébranlait vers le nord du pays. En effet, à l’initiative du Syndicat national des pisteurs et chauffeurs du cafécacao en Côte d’Ivoire (Synapccci), des populations ont tenté, jeudi dernier, d’immobiliser une file de quatre camions qui transportaient du cacao en direction du nord du pays. Avec l’accord du Comité de suivi du café et du cacao présidé par le préfet du département. Des barricades ont été érigées sur la chaussée pour contraindre les camions à rembourser chemin. Mais c’était sans compter avec les Frci. Des éléments lourdement armés venus expressément de Séguéla ont, aux environs de 2 heures du matin, dégagé violement la chaussée, dispersant les manifestants dans un vacarme impressionnant.

«Selon le délégué local du Synapccci, une quinzaine de camions de cacao a déjà traversé la ville de Vavoua pour la même destination, se passant ainsi de la procédure douanière en vigueur pour l’exportation des produits de rente en Côte d’Ivoire», rapporte l’Agence ivoirienne de presse. Le secrétaire général du Comité de suivi du café et du cacao, Coulibaly Doh, par ailleurs directeur départemental de l’Agriculture, ne cache pas son indignation. Si les manifestants n’ont pu empêcher les camions transportant des tonnes de cacao de sortir du pays, au moins leur action aura permis d’interpeller les autorités sur la nécessité de mettre fin à ce trafic préjudiciable à l’économie nationale. A quelques semaines de l’ouverture de la campagne de commercialisation 2011-2012 du cacao prévue en octobre, cette question parait fondamentale.

L’axe Duékoué-Man

Le deuxième port sec opérationnel depuis le début de la crise postélectorale, c’est Duékoué. Depuis que les Frci contrôlent la région du moyen Cavally (Guiglo, Duékoué), ce sont au moins 10 camions de 60 tonnes transportant du cacao qui transitent par le nord du pays pour rejoindre le Burkina Faso. Selon nos investigations, ces camions en provenance du Ghana transportent généralement des marchandises à destination des villes du Moyen Cavally. Une fois débarrassés de leurs chargements, ces gros porteurs escortés par des éléments des Frci lourdement armés embarquent des stocks de cacao qu’ils acheminent à Bobo-Dioulasso. Et pour contourner les douaniers en poste à Daloa, ceux de Duékoué ne pouvant jouer correctement leur rôle, les convois transitent par la ville de Man, sous contrôle des forces nouvelles, pour rallier le nord du pays. De là, et sans être inquiétés, les conducteurs se frayent un chemin pour arriver au Burkina.

Destination Lomé… ou Conakry

La contrebande de cacao est devenue l’une des principales sources de devises du Burkina Faso. Au point qu’aujourd’hui, plusieurs exportateurs qui préfèrent éviter le port d’Abidjan ont des représentations aux pays des hommes intègres. Aussi, différentes filières se livrent-elles une concurrence hardie. Certaines filières – de loin les plus nombreuses – aboutissent au port de Lomé qui profitent énormément de ce trafic juteux.

Des documents dont nous avons pu obtenir copie attestent de l’existence de cette filière. En l’occurrence, un certificat d’analyse sur des échantillons de cacao appartenant à la société «Entreprise Tata Yade-Africa» basée à Lomé au Togo, délivré à la date du 10 juin 2011. «Nous soussigné SGS Burkina, mandaté par Entreprise Tata Yade-Africa-Lomé, aux fins d’effectuer un échantillonnage suivi d’un contrôle qualité sur les fèves de cacao conditionnées en sacs de jutes. Nombre de sacs : 2575 soit 182 MT 430.

Circonstance de notre intervention : les inspecteurs se sont rendus le 09-05-2011 aux entrepôts sis secteur 24 de la ville de Bobo-Dioulasso. Ils ont procédé à la vérification, visuelle des sacs, au prélèvement d’échantillon. Conformément aux instructions reçues, un échantillon pour les analyses a été envoyé au laboratoire sous le N°WAT /01 /BF. Nous rappelons les résultats ci-dessous n°000090 du 10 – 05 –b 2011. (…) Fait à Ouagadougou le 10-06– 2011».

Ce sont les informations portées sur le connaissement d’un stock de cacao ivoirien exporté par le port de Lomé. En atteste le second certificat délivré, lui, par MAERSK Burkina à l’exportateur Tata Yade, pour l’enlèvement de «11 conteneurs d’un poids total net de 182430 kg». Des chiffres qui correspondent exactement aux données relevées sur le certificat d’analyse. On apprend de ce deuxième document que le port de destination est Hambourg en Allemagne. Voilà donc qui montre comme le cacao ivoirien arrive sur le marché mondial avec le label Burkina Faso, sans que l’Etat ou les organisations internationales spécialisées dans la filière ne s’en émeuvent. Tout est donc normal. Autant dire que le trafic illicite du cacao ivoirien ne s’arrêtera pas de sitôt. Vue l’indifférence des autorités politiques, redevables au président burkinabé Blaise Compaoré, et qui ne veulent certainement pas risquer de s’attirer ses foudres en privant son économie des ressources douanières énormes qu’il tire de l’exportation du cacao ivoirien.

Par ailleurs, selon nos investigations, des filières naissantes explorent la piste du port de Conakry pour l’exportation des cargaisons de cacao sorties de la Côte d’Ivoire. Elles concernent principalement les acheteurs basés dans les régions des Montagnes et du Moyen Cavally et qui trouvent long le chemin menant à Bobo-Dioulasso. A partir du département de Danané, frontalier avec la Guinée, les camions affrétés par ces opérateurs véreux rallient le port de Conakry d’où les produits sontembarqués pour les pays occidentaux, assurent nos sources.

Emmanuel Akani

eakani@nouveaucourrier.com

Source: Le Nouveau Courrier

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