samedi 26 novembre 2011

Fareed Jaunbocus (expert international): «…la Côte d’Ivoire est presque dans le coma» «Le destin de la Côte d’Ivoire n’est pas entre les mains des étrangers»

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Expert-consultant international, Fareed Jaunbocus collabore depuis quelques années avec la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (Cgeci). A l’occasion de la deuxième phase de l’atelier de Côte d’Ivoire 2040 organisée du 21 au 22 novembre 2011 par le Patronat ivoirien à Yamoussoukro, Soir Info l’a interrogé. Entretien.

Depuis quelques années, vous êtes consultant de la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (Cgeci). Vous menez des activités semblables dans des dizaines de pays à travers le monde. Votre pays, l’Ile Maurice, est un exemple mondial en matière d’environnement économique attrayant. A travers vous et certainement d’autres experts internationaux mauriciens, peut-on affirmer qu’en plus d’être ouverte aux investissements, l’Ile Maurice essaie de vendre son expertise économique ?

Fareed Jaunbocus : Non, loin de là. Je vous fais remarquer qu’en tant que consultant, mes interventions se font dans plus d’une cinquantaine de pays à travers le monde, des États-Unis jusqu’en Chine, l’Europe, l’Afrique, l’Asie, etc. Je suis présent partout. Et, je peux facilement comparer. Il y a des modèles de développement très difficile. Le Botswana, le Rwanda et l’Ile Maurice sont des exemples de réussite.

Vous arrive-t-il de comparer l’Ile Maurice à la Côte d’Ivoire ?

F.J. : Pour comparer la Côte d’Ivoire à l’Ile Maurice, il faut dire que les deux pays étaient presque au même point de départ dans les années 60. Dans les années 70, la Côte d’Ivoire avait un taux de croissance qui était supérieur à la croissance moyenne mondiale et nous, nous étions une économie purement agricole qui n’avait rien d’autre, à part le sucre qui comprenait 95% de notre agriculture. Quand vous regardez l’Ile Maurice à l’époque, si vous ne voyez pas une maison, vous voyez un champ de canne. Mais depuis lors, nous avons adopté une stratégie de diversification très pointue qui fait qu’aujourd’hui, nous avons un secteur de zone franche très performante. Nous n’avons pas de coton à Maurice, mais nous faisons partie des premiers exportateurs de produits finis liés au coton au monde. Maurice est l’un des principaux exportateurs de prêt-à-porter. De très nombreuses griffes célèbres y ont leur unité de production. Nous fabriquons à Maurice, mais nous exportons sur toute l’Europe et les États-Unis. Notre secteur manufacturier a tellement réussi que nous avons aussi construit des usines à Madagascar. Nous avons investi dans des usines au Bangladesh, en Inde. Maintenant, nous investissons dans des usines en Chine. Tout cela pour montrer qu’avec un petit pays comme l’Ile Maurice et avec une stratégie définie et très performante, on peut arriver très loin. Au-delà de ce secteur manufacturier et industriel, nous avons aussi le tourisme que nous avons beaucoup développé à Maurice. A l’Ile Maurice, il y a beaucoup d’hôtels. Pour une population de 1 200 000 habitants, nous avons presque un million de touristes qui nous visitent chaque année. Notre politique, c’est d’avoir 2 millions de touristes par an. Nous voulons avoir deux touristes par tête d’habitant. Il y a aussi un secteur offshore qui est très récent et qui est très performant. Nous sommes le premier investisseur en Inde à travers notre secteur offshore. Nous avons aussi un secteur de services très performant. La preuve, en tant qu’expert comptable, je visite beaucoup de pays. Il y a aussi le secteur des télécommunications, informatique et communication que nous développons.

Nous avons une cybercité que nous avons construite. Dans chaque secteur, nous avons diversifié. Nous avons mis tout le paquet pour ces aventures.

Apparemment, ça vous réussit ?

F.J. : Nous réussissons ces aventures. Vous avez certainement remarqué que l’Ile Maurice est citée par plusieurs institutions comme un exemple de réussite. Selon des indicateurs reconnus mondialement, nous sommes les meilleurs à plusieurs niveaux en Afrique relativement au climat des affaires. L’île Maurice est classée premier pays en Afrique pour la bonne gouvernance pour la quatrième année consécutive, selon l’Indice Mo Ibrahim. Tout cela, c’est beaucoup d’efforts.

Pour un pays d’1,2 million d’habitants et de 2 040 km2 ?

F.J. : Non. Ne voyez pas l’ile petite géographiquement, parce que Maurice est en train de construire, d’investir ailleurs. Nous avons des usines de sucre en Tanzanie, des hôtels en Afrique. Nous progressons dans notre croissance. Nous avons dépassé les frontières de Maurice.

La diaspora mauricienne est-elle impliquée dans cette dynamique ?

F.J.: A Maurice, on voyage beaucoup. Il y a une bonne diaspora qui est en Afrique, qu’on a placée avec des contrats très précis.

Depuis que vous avez commencé à observer les forces et les faiblesses de la Côte d’Ivoire, quel état des lieux avez-vous établi ?

F.J.: Après les années 70 où la Côte d’Ivoire avait un taux de croissance qui était supérieur à la croissance moyenne mondiale, depuis les années 80, le pays est endormi, presque dans que le coma. Le pays est en train de se réveiller, mais il faut le réveiller en sursaut. Il faut aller vite. Il faut être capable de croire en la Côte d’Ivoire de 2040. Les gouvernants et la population doivent être capables de croire qu’ils peuvent conquérir l’Afrique où 120 millions de personnes auront un pouvoir d’achat discrétionnaire de plus de 10 000 dollars en 2020 ; une Afrique où on a 50 % des richesses et des ressources mondiales ; une Afrique où on trouve 60% des terres cultivables dans le monde. Croire en cette Afrique sur laquelle les pays émergents comptent parce que sans elle ils ne pourront pas aller loin. Ils savent que la croissance économique de l’Afrique sera importante dans quelques années. Les pays émergents regardent l’Afrique différemment. Quand l’Occident regarde l’Afrique et dit « corruption, sida, etc. », les pays émergents, eux, disent : « marché, commodité, ressources ».

Mais la corruption n’existe-elle pas réellement ?


F.J. : C’est vrai qu’elle existe en Afrique. Mais est-ce qu’elle n’existe pas ailleurs ? Est-ce que Madoff (ndlr : né Bernard Lawrence Madoff aux États-Unis, Madoff est homme d’affaires président-fondateur d’une des principales sociétés d’investissements de Wall Street. Il a été arrêté et mis en examen par le FBI pour escroquerie portant sur des dizaines de milliards de dollars américains) est mieux qu’autre chose ? Il a vécu. Est-ce que la crise de l’Euro n’est pas pire que le sida ? Est-ce que la crise des subprimes aux États-Unis n’est pas aussi mauvaise que le sida ? Des milliers de personnes ont perdu leur emploi.

De façon précise, quel est le mal de la Côte d’Ivoire ?

F.J. : Il faut que la Côte d’Ivoire ait une vision partagée par tous les acteurs de développement. Tous les pays qui ont réussi avaient une vision partagée par le public et le privé. Il faut aussi une volonté de vouloir réussir. Il faut oublier le passé et les crises. Le Rwanda a réussi ce pari. L’Ivoirien qui a vécu la récente crise ne souhaite certainement pas revivre cela. Il faut aussi que chacun se mette au travail. Le destin de la Côte d’Ivoire n’est pas entre les mains des étrangers. Il est dans les mains des Ivoiriens. C’est à eux de s’engager pour le développement de leur pays.

Le Président ivoirien envisage 200 000 emplois par an dans les 5 années à venir. Quel commentaire ?

F.J. : C’est possible. On peut même aller au-delà dans tous les secteurs. La Côte d’Ivoire a les ressources et les moyens sans oublier l’agriculture. La Côte d’Ivoire est capable de devenir le grenier de l’Afrique. La Côte d’Ivoire a la terre, l’eau, la main d’œuvre, les ressources. Qu’est-ce qui manque pour le développement ? C’est la stratégie.

L’Etat ivoirien a besoin de combien d’années pour se développer ?

F.J. : Dans ce nouveau monde, la vitesse devient très importante. Contrairement au passé, aujourd’hui tout est suivi en temps réel. Le rythme dépend de l’infrastructure qui sera mise en place. Ça dépend de la vitesse des mesures incitatives que le gouvernement ivoirien mettra en place. Il faut compter aussi sur l’importance des compétences que la Côte d’ivoire va mobiliser pour le développement. Tout dépend de la vitesse. Tout dépend des objectifs des gouvernants de la Côte d’Ivoire. Ça peut aller très vite. Ça peut se faire facilement en 5 ans.

Quelle est la place du partenariat public – privé dans cette dynamique ?

F.J. : Il faut bien trouver une formule. Les ppp sont partout. Il faut non seulement aller dans les ppp, mais aller aussi dans des structures où il n’y a pas de risques. Dans tous les cas, il faut que tout le monde se retrouve.

Que pensez-vous du fait que la Cgeci ait pris l’initiative d’organiser Côte d’Ivoire 2040 ?

F.J. : C’est une très bonne initiative. Il n’y a pas beaucoup de pays dans la région qui réfléchissent sur comment ils vont devenir en 2040. C’est positif. Ça ramène tout le monde dans le même bateau. Avec cela, on sait où on veut aller. C’est très dangereux de ne pas savoir où on va parce que n’importe quelle route vous mènerait là-bas. Dans ce cas, vous n’irez nulle part.

Les hommes d’affaires mauriciens sont-ils intéressés par des investissements en Côte d’Ivoire ?

F.J. : Si le Président est disposé à recevoir des hommes d’affaires, on peut les faire venir. Il faut savoir comment les inciter à cet investissement. Si la Côte d’Ivoire a le cadre nécessaire, les incitations fiscales nécessaires, la garantie nécessaire, je ne vois pas pourquoi, les opérateurs économiques mauriciens iront chercher ailleurs.

Où pourront-ils investir ?

F.J. : Avant toute chose, il faut savoir qu’ils ne pourront investir que dans les secteurs que la Côte d’Ivoire veut promouvoir. Mais l’agriculture reste une possibilité. Le secteur manufacturier aussi. Les mesures incitatives restent le préalable à tout investissement. Il faut que la Côte d’Ivoire soit parmi les 10 premiers dans le Doing business (ndlr : ). C’est possible avec la volonté des gouvernants de travailler sur les indicateurs de performance.

Réalisé par Hermance K-N à Yamoussoukro – Soir Info

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