«Si nous gagnons le procès, l'Otan quittera la Belgique»
Ghislain Dubois, avocat au barreau de Liège (Belgique), a été mandaté par deux ressortissants libyen et marocain pour défendre leurs intérêts et demander des dédommagements dans un procès intenté contre l'Otan à Bruxelles.
Les deux plaignants ont vu leurs proches tués dans des bombardements aériens menés par l'Otan en Libye. l'Otan qui avait reconnu cette «bavure» ne souhaite pas perdre le «prestige» de détenir le siège de l'Alliance atlantique en Belgique. Maître Ghislain Dubois nous livre dans cet entretien la gêne dans laquelle se trouve la justice belge, et d'autres détails intéressants sur cette affaire.
Le Temps d'Algérie : Vous avez été mandaté pour défendre les droits de Khaled El Hamidi, ressortissant libyen, et de Abdellatif Chlih, ressortissant marocain, et demander des dommages et intérêts suite à des bombardements menés par l'Otan en Libye. Ces actions judiciaires ont-elles des chances d’aboutir, selon vous ?
Me Ghislain Dubois : Tout d'abord, il s'agit d'une seule et même affaire puisque c'est d’un commun accord et par la même action que mes deux clients ont saisi le tribunal de première instance de Bruxelles en réparation des dommages moraux, sentimentaux, psychologiques et matériels que leur a causés l'Otan en bombardant à 8 reprises la maison familiale de Khaled El Hamidi, tuant 13 personnes innocentes dont son épouse et trois de ses enfants ainsi que Aïcha, la nourrice des enfants assassinés de mon client marocain, M. Chlih.
Le but de ce raid était d'assassiner le général à la retraite El Hamidi, père de mon client, car il était proche du pouvoir et sa mort aurait été un signal fort à ceux qui comme lui restaient fidèles au gouvernement légal libyen. Je demande donc réparation des dommages subis par mes deux clients, et pour cela, la désignation d'experts judiciaires afin d'évaluer ces dommages. Nous sommes donc dans le cadre d'un procès purement civil.
Quant aux chances de réussite de cette action, elles me paraissent tout à fait sérieuses, et ce, pour les raisons suivantes : l'Otan n'a pas répondu à la lettre de mise en demeure que M. Chlih lui a adressée le 28 juillet 2011. l'Otan ne dispose pas d'un système interne de règlement des conflits qui permette à ses victimes de réclamer, voire d'obtenir réparation des dommages causés par son fait.
Or, si l'Otan dispose de l'immunité de juridiction, ce l'est à la condition qu'il existe un tel système interne de règlement des litiges avec les particuliers. A défaut, le juge belge doit se déclarer compétent pour juger l'Otan. Sinon, le juge belge violerait la convention européenne des droits de l'homme qui prévoit que tout homme a droit à un juge.
Ensuite, sur le fond, l'Otan, après avoir dans un premier temps nié ce bombardement, puis dans un second temps avoir parlé d'un bombardement de cible militaire, a fini dans un troisième temps par reconnaître «une bavure».
Il y a donc aveu de responsabilité.
La faute est donc établie. Car la mission de l'Otan n'était pas de tuer mais bien de protéger les civils. C'est la mission que lui avait assignée l'ONU dans sa Résolution 1973. l'Otan se grandirait en proposant à mes clients une réparation raisonnable et en leur demandant pardon.
Donc, oui, je crois pouvoir gagner ce procès.
Mais ça, c'est en droit. Or, ce procès historique, puisqu'il constitue une première mondiale depuis que l'Otan existe, a une dimension politique et économique. Mes clients s’attaquent à la première puissance militaire et économique du monde...
Le siège de l'Otan se trouve en Belgique, et les actions en justice ont été intentées dans ce pays. est-ce que cela ne compromettrait pas, selon vous, les chances des deux plaignants ?
Je ne pouvais tout de même pas saisir un tribunal libyen ou américain. Le siège de l'Otan est à Bruxelles et les décisions relatives à cette guerre en Libye ont été prises à Bruxelles. En vertu du droit judiciaire classique, toute personne qui intente un procès peut saisir le juge du «domicile» de la partie qu'il attaque. l'Otan a son domicile en Belgique, à Bruxelles.
Il s'imposait de saisir le juge en ce lieu. Il est évident que la Belgique aurait tout à perdre si nous gagnions ce procès. l'Otan irait voir ailleurs ! Fini le «prestige» de détenir le siège de l'Otan. Fini le gain économique et politique.
Mais le fait que la Belgique se retrouve ainsi en première ligne l'incitera peut-être, et je l'espère, à pousser l'Otan à négocier, à réparer la tragédie qu'il a causée à mes clients.
Croyez-vous que si elle est condamnée par la justice belge, l'Otan déplacerait son siège dans un autre pays ?
Je pense que l'Otan se vengera en allant s'établir ailleurs et qu'elle n'aura de toute façon pas le choix. Si elle restait alors que nous aurons gagné ce procès, elle se retrouverait avec le risque permanent d'être attaquée devant la justice belge par d'autres personnes victimes – et elles sont nombreuses de par le monde – de ses actions «humanitaires».
La Belgique subit-elle des pressions dans ce sens ?
l'Otan n'a jamais comparu aux trois audiences devant le tribunal. Elle a choisi de mépriser la justice belge. Or, alors qu'elle ne s’était pas présentée au procès, l'Etat belge a décidé d'intervenir de son propre chef devant le tribunal pour la défendre.
Subissez-vous des pressions dans cette affaire ?
A l'extérieur du tribunal, non, pas encore... Mais à l'intérieur des salles d'audience, oui en quelque sorte, puisque les magistrats ont tout fait pour ne pas prendre le dossier, pour que l'on ne plaide pas. Alors même que l'Otan n'était pas présente ! Ce dossier leur brûle les mains. Mais la justice belge ne peut pas se rendre coupable d'un déni de justice.
Au-dessus d'elle, il y a la Cour européenne des droits de l'homme. Vous imaginez la Belgique condamnée pour violation des droits de l'homme, violation du droit de tout homme à un juge, dans un procès juste et équitable ?
Je représente Antigone contre le roi Créon. Vous savez, cette fille qui se dressa contre son roi, son propre père, parce que celui-ci, ayant tué son frère Polynice, ne voulait pas qu'il soit enterré selon la tradition. Ce que fit pourtant Antigone. Nous y sommes.
M. A.
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