samedi 14 janvier 2012

Prétendu squelette de Kieffer « découvert » à Yaokro : c’était un montage médiatique !

par La rédaction du nouveaucourrier
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C’est la fin d’un mauvais polar que certains internautes ivoiriens, qui n’en loupent pas une, avaient déjà baptisé « Les Experts Issia ». Le squelette déterré très discrètement dans la bourgade de Yaokro, dans le département d’Issia (centre-ouest de la Côte d’Ivoire), puis médiatisé de manière assez spectaculaire, n’est pas celui de Guy-André Kieffer, journaliste franco-canadien disparu le 16 avril 2004 à Abidjan. Les analyses ADN ont parlé. Et le juge Patrick Ramaël, ainsi que les médias français majoritaires qui avaient crié à la grande découverte et assuré que l’affaire avançait désormais parce qu’Alassane Ouattara est au pouvoir, doivent être dans leurs petits souliers. Une fois de plus, le magistrat français s’est fourvoyé sur une fausse piste, avec la complicité d’une presse hexagonale adepte du « Gbagbo-bashing » systématique. Pourtant, il était évident que cette affaire du « squelette de Yaokro » était pour le moins douteuse, et que la plus grande circonspection devait prévaloir.



Il n’y avait rien de nouveau à Yaokro


Dès le départ, les propos de Bernard Kieffer, le frère du disparu, paraissaient étranges. Il affirmait que le juge Patrick Ramaël disposait depuis « quelque temps », alors que le président Gbagbo était encore au pouvoir, d’un témoignage crédible selon lequel un « Blanc », identifié par quelqu’un qui passait par là, avait été inhumé secrètement à Yaokro. Une question venait automatiquement à l’esprit. Pourquoi Ramaël, qui s’est rendu à plusieurs reprises en Côte d’Ivoire depuis le renversement du fondateur du FPI, a attendu plus de huit mois pour faire les vérifications et les fouilles nécessaires ? Par la suite, une dépêche de l’AFP et des reportages d’une presse tenue à l’écart par des éléments FRCI armés jusqu’aux dents faisaient état de ce que la personne qui avait découvert le corps et d’autres villageois affirmaient qu’il s’agissait d’un Noir. Ces articles établissaient qu’il n’y avait jamais eu d’inhumation clandestine mais bel et bien une inhumation officielle, en présence des autorités administratives, traditionnelles et des populations baoulé, bété, béninoises et burkinabé, après un appel à témoignages organisé par le sous-préfet pour permettre une reconnaissance du corps et une remise à ses parents. La dépouille concernée n’avait pas été enterrée en catimini puis découverte, mais découverte dans la rivière Gorée, visiblement noyée, et enterrée le plus officiellement du monde. Qui a donc pu croire que le corps de Kieffer a été exposé pour besoins d’enquête devant des centaines de personnes d’origines diverses, qui ont observé la plus stricte omerta, ne laissant même pas filer un début de rumeur ? Balivernes. Le scénario de Yaokro n’a jamais été rien d’autre que du storytelling maladroit. « Ils ont profané une tombe en connaissance de cause ! », s’indignait hier un médecin sénégalais. Il a sans doute raison.

Un grossier contre-feu aux révélations de « Gorge profonde »


Qui a fabriqué cette histoire incroyable et dans quel intérêt ? Au Nouveau Courrier, nous sommes persuadés d’une chose. Il fallait susciter, dans l’urgence, un contre-feu devant les révélations faites par « Gorge profonde », qui s’est confié à notre quotidien en se présentant comme coauteur présumé – et repentant – d’un crime commandité par des membres du clan Ouattara dans le but d’accuser le pouvoir Gbagbo. Donnant de nombreux détails troublants, il nous révélait être en contact avec Jean-Yves Garnault, agent de renseignement français, et le juge Patrick Ramaël. Fin décembre 2011, il nous annonçait avant les médias l’arrivée de Ramaël venant à Abidjan pour le rencontrer. Il nous montrait des courriers électroniques échangés avec Garnault et destinés à Ramaël, et une décharge donnée par Garnault qui a récupéré des objets présentés comme ayant été arrachés à Kieffer.
Pour des raisons mystérieuses, Ramaël ne voulait pas communiquer sur « Gorge profonde » et son témoignage, pourt ant assez pris au sérieux pour justifier un déplacement à Abidjan. Il fallait donc détourner l’attention de l’opinion ivoirienne et française sur les investigations de notre journal, qu’il serait par la suite facile de tourner en dérision comme les inventions d’un titre « pro-Gbagbo ». Une question se pose désormais. Maintenant que l’hypothèse Yaokro s’est révélée bidon, Ramaël explorera-t-il officiellement celle de l’homme avec qui il est en contact secret depuis des semaines ? «Depuis sept ans, le juge d'instruction Patrick Ramaël fait un travail remarquable qui consiste à explorer toutes les pistes, toutes les hypothèses pour pouvoir fermer des portes», a dit hier Alexis Gublin, l’avocat de la famille du disparu. Une telle logique devrait amener à explorer la piste « Gorge profonde » en toute transparence. Y compris pour la fermer définitivement.

Les méthodes douteuses de Ramaël, l’honneur perdu de la presse française


Le dénouement de « l’affaire du squelette » remet sur le tapis la question des méthodes étranges du juge Ramaël. Ce n’est pas la première fois qu’il met médiatiquement en orbite un témoin-clé aux confidences farfelues. Avant « le vilageois de Yaokro », il y a eu Berté Seydou, chauffeur supposé de Jean-Tony Oulaï, qui a tout de même réussi à avoir un visa pour aller en Europe ; Germain Bahagbé, collaborateur de Oulaï qui s’est vite rétracté ; Paul Nobila Zinsonni alias « Major Gossé », qui a, lui, témoigné avec une fausse carte d’identité ivoirienne. Tous ces témoignages, contradictoires les uns avec les autres, dont le seul point commun est qu’ils accablaient des proches de Gbagbo, ont été présentés comme des avancées dans l’affaire. Avant d’être abandonnés. Jusqu’à quand le juge Ramaël, qui a accusé, en 2008, le conseiller justice de Nicolas Sarkozy d’alors, d’empêcher un témoin de s’exprimer sans la moindre suite, et qui a été visé par une enquête interne, qui n’est lancée qu’en cas de soupçons de manquements graves à la déontologie, sera-t-il sanctifié par la presse française ? L’AFP écrit ainsi, avec beaucoup de culot : «Des doutes étaient cependant apparus quand certains villageois interrogés par l'AFP avaient affirmé que, dans leur souvenir, ce corps qui avait été enterré près d'un cours d'eau noirâtre enjambé par un pont, était celui d'un noir.» Mais quels doutes ont été franchement exprimés par l’AFP et par les autres médias parisiens, en dehors du témoignage elliptique de certains villageois ? Dans ses dépêches en anglais évoquant la mort de Bohoun Bouabré, l’agence française a même dit qu’il était «relié» à la disparition du journaliste franco-canadien, brandissant le squelette non identifié en guise de preuve ultime.

Philippe Brou

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