dimanche 5 février 2012

Le chef de l’Etat sénégalais dans la tourmente: Abdoulaye Wade, la fin ?



Le Sénégal est depuis, quelques temps, dans la tourmente. Au centre de la crispation, la candidature du président sortant, Me Abdoulaye Wade, à la présidentielle du 26 février prochain. A 86 ans, il aspire à briguer un troisième mandat. L’opposition y est opposée. Elle dénonce un coup d’état constitutionnel.
Abdoulaye Wade est né le 29 mai 1926 à Kébémer, l’un des 45 départements du Sénégal, dans la région de Louga, au Nord-Ouest du pays. Il est âgé aujourd’hui de 86 ans, mais certains Sénégalais pensent qu’il en a plus, étant donné que par le passé, les déclarations de naissance dans les colonies se faisaient très difficilement. D’où l’ironie selon laquelle, Wade a 86 ans « plus la Tva ». Docteur en droit et en sciences économiques, il est également professeur agrégé, titulaire de plusieurs certificats d’études supérieurs en psychologie, économie, sociologie et mathématiques. Wade a été avocat en France avant de regagner le Sénégal où il a exercé le métier d’enseignant à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.

Il met fin à 40 ans de règne de pouvoir socialiste



Les premiers pas de Wade en politique se font au parti socialiste sénégalais (Ps). En 1973, il est désigné comme responsable local du Ps. Il collabore avec le parti pendant des mois avant de créer le parti démocratique sénégalais (Pds) en 1974. Wade affronte Senghor à la présidentielle de 1978. Il est battu par le Président sortant qui démissionnera pour céder sa place, en 1981, à Abdou Diouf, Premier ministre d’alors. Wade se présente sans succès aux présidentielles de 1983, 1988 et 1993. Après quatre tentatives infructueuses, il sera élu Président de la République sénégalaise en 2000. Grâce au report de voix de Moustapha Niasse sur sa candidature, il obtient 58,1 % au second tour du scrutin face à Abdou Diouf, mettant ainsi fin à quarante ans de pouvoir socialiste au Sénégal. En 2007, il est réélu pour un quinquennat.Wade modifiera plus tard la Constitution pour rétablir le septennat.

La voie de la lutte politique

Contrairement à certains opposants africains, Abdoulaye Wade n’a pas opté pour le coup d’état. Il a conquis progressivement le cœur des Sénégalais. Le slogan de l’opposant «Sopi» (signifiant «Changement» en Wolf) est devenu un véritable cri de ralliement pour une bonne partie de la population, principalement les jeunes. La lutte démocratique a été à la fois longue et difficile. Me Abdoulaye Wade a connu la prison en 1988 et 1993. L’opposant Wade a collaboré ensuite avec le pouvoir. D'avril 1991 à octobre 1992, il a été ministre d'État auprès du Président Abdou Diouf dans le gouvernement d'union nationale. De 1995 à 1997, il réoccupe ledit poste.

Hier, défenseur de la démocratie ; aujourd’hui, assassin de la démocratie

Durant ces deux mandats, il lance de nombreux chantiers et réalise des contructions qui donnent fière allure à Dakar. Entre 2000 et 2010, il relève la situation économique du pays avec un taux de croissance de +4 % supérieur à celui des années 1990, une inflation contenue et des ressources de l’État en augmentation[]. Mais elle se détériore au début de son quinquennat avec, en 2008, une dette publique qui atteint 21,4% ] ; une croissance de 2,5% ; contre 4,3% en moyenne pondérée sur les dernières années, et un chômage qui ne baisse pas. Le paysage politique est devenu instable sous Wade avec de nombreux accrochages avec l’opposition ainsi que ses propres partisans. Il nomme cinq Premiers ministres, quatre présidents de l'Assemblée nationale, trois chefs d'état-major généraux des armées et plus d'une centaine de ministres, dont certains ne sont restés en poste que quelques mois. Wade a promu plus de généraux pendant sept ans qu'Abdou Diouf et Senghor en 40 ans. L’opposant d’hier n’est pas devenu un farouche défenseur de la démocratie. Les libertés publiques et individuelles vont reculer de façon considérable. Ainsi des journalistes seront emprisonnés, des leaders de l’opposition arrêtés. Plusieurs manifestations de l’opposition seront réprimées. Les magistrats se plaignent d’un usage politique de la justice.

La présence envahissante de
Karim Wade

La gestion du pouvoir sous Wade est marquée par la présence jugée envahissante de Karim Wade, son fils. Super ministre, Karim cumule les portefeuilles de la Coopération internationale, desTransports aériens et de l’Energie. Abdoulaye Wade positionne Karim pour sa succession, en introduisant l'élection d'un « ticket » (président et vice-président) à la tête de l'exécutif avec seulement 25 % des voix au premier tour. Il est contraint de renoncer à ce projet devant les violentes manifestions qui éclatent en 2011 à Dakar. Les opposants au régime pensent qu’à 86 ans, le président sortant est candidat à la magistrature suprême pour le compte de son fils.

Collaboration difficile avec les amis de lutte

Abdoulaye Wade n’a pas le commerce aisé avec son entourage politique. Il écarte progressivement les principaux cadres de son parti, le Pds. Idrissa Seck, Macky Sall[], Aminata Tall, Moustapha Diakhaté et Cheik Tidiane Gadio pour ne citer que ceux-là. Même Mustapha Niasse, l’allié qui a permis de gagné l’élection historique de 2000, est à couteaux tirés avec le Président-candidat. Il entreprend des contructions pharaoniques à sa gloire qui sont critiquées par l’opnion publique et les politiques. C’est le cas du monument de la Renaissance africaine, inauguré en avril 2010, et dont le financement est qualifié d opaque.
La fin du second mandat de Me Abdoulaye Wade débouche sur une grave crise au Sénégal. Pour la première fois depuis son accession à l’indépendance, le pays court des risques d’incertitude qui peuvent conduire à une guerre civile. Depuis quelques jours, la tension est montée d’un cran. Les manifestations se succèdent. Elles sont violemment réprimées par le pouvoir, causant des morts et de nombreux blessés. Me Wade est candidat pour un troisième mandat. Des opposants et des organisations de la société civile ne l’entendent pas d’une telle oreille. Puisqu’au début du second mandat, l’ancien opposant avait promis qu’il ne serait plus candidat. Mieux, la Constitution l’en empêche. Le camp présidentiel dit « non » et est prêt à tout pour aller aux élections du 26 février prochain. Le Conseil constitutionnel a tranché la question, le vendredi 27 janvier dernier, en acceptant la candidature d’Abdoulaye Wade. Cela n’a pas pour autant mis fin à la polémique. Bien au contrairement, la tension s’est ravivée. Les opposants au régime soutiennent qu’il s’agit d’un coup d’état constitutionnel. La Communauté internationale ne soutient pas Wade dans cette aventure. Les Etats-Unis et la France somment ouvertement le président sortant de se retirer. Wade s’énerve. « Nous n’avons pas de leçons à recevoir », clame l’un de ses ministres. De nombreux Sénégalais ne comprennent pas la détermination de Wade à s'accrocher au pouvoir. Un groupe de rap à l'origine du mouvement citoyen « Y en a marre » a d’ailleurs sorti une nouvelle chanson intitulée « Faux ! Pas forcé ». Wade sera-t-il gagné par la sagesse ? Les prochaines semaines nous situeront.

Un dossier réalisé par César Ebrokié

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