mardi 29 mars 2011

Intrusion de mercenaires dans la crise ivoirienne - Bernard Doza : ‘‘Les Fds doivent aider les Ivoiriens à libérer le pays’’


Publié le lundi 28 mars 2011 | Le Nouveau Courrier
Bernard Doza, journaliste et analyste politique franco-ivoirien, séjourne en Côte d’Ivoire pour, dit-il, être un acteur actif du combat contre l’impérialisme français.

Vous arrivez en Côte d’Ivoire au moment où ce pays est empêtré dans une crise sans précédent, qu’est-ce que vous en pensez ?
L’impérialisme français n’a pas renoncé en vérité depuis les années 1960 à la mainmise sur l’Afrique francophone et aujourd’hui la démonstration de force que nous voyons en Côte d’Ivoire est principalement due au fait que le président Laurent Gbagbo qui a pris le pouvoir en 2000, par les actes posés, a fait comprendre à la France qu’il n’est pas son candidat idéal à la succession de Félix Houphouët-Boigny au lendemain de la chute de Henri Konan Bédié. Ce qui arrive aujourd’hui à Gbagbo, c’est ce qui est arrivé à Patrice Lumumba, c’est ce qui a favorisé l’assassinat de Thomas Sankara en 1987. Aujourd’hui, malgré l’ouverture démocratique, on se rend compte que lorsqu’un chef d’Etat africain veut prendre en compte les opinions de son pays, immédiatement une machine invisible se met en place depuis l’Elysée pour anéantir ce chef d’Etat à travers l’organisation non seulement de l’insurrection spontanée mais aussi de l’organisation de coups d’Etat militaires. C’est dans ce schéma que nous sommes en Côte d’Ivoire.

Est-ce à dire que la France ne voudrait pas que le président Laurent Gbagbo travaille selon les orientations de son peuple ?
Absolument. La Côte d’Ivoire est, tel que nous l’avons connu sous le parti unique, le résultat du pacte qu’elle avait signé avec Houphouët-Boigny en juin 1950. A cette époque-là, Houphouët-Boigny, qui était président du Syndicat agricole africain et du Pdci-Rda, avait commencé à mobiliser le peuple ivoirien contre les intérêts français. En juin 1950, c’est un homme acculé, encerclé par l’armée française à Yamoussoukro qui va donc aplanir, négocier avec l’Etat français avec qui il signe un accord pour devenir en réalité le Sous-préfet local de ses intérêts en Côte d’Ivoire. Depuis cette époque jusqu’à aujourd’hui, la Côte d’Ivoire a vécu dans un semblant de paix. Mais en réalité, depuis l’accord entre Houphouët et François Mitterrand, la Côte d’Ivoire était devenue la carte postale des intérêts français en Afrique francophone. C’est pour cela que tous les coups d’Etat en Afrique noire passaient par Félix Houphouët-Boigny. Que ce soit la déstabilisation du Nigéria, le coup d’Etat militaire dans les années 1960 contre le Mali, la déstabilisation de la Guinée de Sékou Touré. C’est d’Abidjan que le réseau Foccard, fonctionnant, partait pour faire des opérations dans ces pays africains.

Pourquoi la France ne négocie pas avec les nouveaux dirigeants ivoiriens ?
La France ne négocie pas avec un président africain. La France lui dit : «On va assurer vos intérêts, on va assurer les intérêts de vos familles, on assure les intérêts de vos amis. Ce qu’on vous demande en retour, c’est de gérer les intérêts de la France qui ne vous appartiennent pas.» Parce que la Côte d’Ivoire, selon elle, c’est une création de l’Etat français. Il faut aller très loin pour comprendre la démarche de l’Etat français. Avant la colonisation officielle, la France a envoyé des explorateurs en Afrique. Ces explorateurs ont signé des engagements avec les chefs coutumiers qui ne savaient pas lire et écrire et qui ont signé en faisant des croix sur les bouts de papiers que les explorateurs ont apportés à l’Etat français comme étant des signatures de rétrocession des terres de ces rois africains au profit de la France. Donc ce sont ces petites signatures que la France a exhibé à la conférence de Berlin. C’est à partir de ces petits papiers que la France a dessiné la carte de l’Afrique en tenant compte des royaumes où on leur a signé des papiers pour créer les Etats artificiels francophones que nous connaissons aujourd’hui. Donc la France, dans sa mémoire, se considère comme dépositaire légal des 14 pays africains francophones. Si un peuple qui est né sur un territoire qui «appartient à la France» veut une liberté, en ce moment-là, il faut se battre.

50 ans après les indépendances, les peuples cherchent à s’affirmer. Pensez-vous qu’une autonomie politique, sociale et économique est possible pour les pays africains francophone ?
Regardez les pays occidentaux, ceux qui ont perdu leurs colonies sont devenus des pays pauvres. Prenez le Portugal qui a perdu le Mozambique et l’Angola. Les Portugais viennent aujourd’hui à Paris pour faire le ménage dans les bureaux. Prenez l’Angleterre qui a colonisé les Indes et même l’Afrique du Sud. Les Anglais sont obligés de créer n’importe quel petit boulot pour que leur économie tienne la route. La France vit grâce aux quatorze pays africains francophones. Parce que pour ces pays, lorsqu’une matière première, avant d’être vendue en Côte d’Ivoire, part d’abord sur le marché français. Et c’est la France qui la vend pour nous sur le marché international. Quand on vend notre café - cacao à Amsterdam, l’argent atterrit dans le Trésor français. Le Trésor français, à son tour, retient 65%. Voici les raisons de l’appauvrissement de notre pays. Et la France considère que tout ce qui se passe sur le territoire ivoirien est une atteinte à son intérêt immédiat. Voilà pourquoi elle nous a emmené la Force Licorne qui est une armée d’inspiration néo-coloniale : elle est là uniquement pour ça. Juppé dit que la force Licorne est là pour empêcher à Abidjan que les Ivoiriens s’en prennent aux Français. Mais ça, c’est un langage diplomatique. La réalité, c’est que la Force Licorne est venue en Côte d’Ivoire pour faire en sorte qu’un président qui peut défendre les intérêts de la France soit installé au pouvoir. Regardez ce qui se passe, c’est du jamais vu ! Les banques sont fermées, on empêche même aux émigrés ivoiriens de faire des mandats à leurs parents restés au pays. On veut asphyxier un pays pour des élections présidentielles, juste parce qu’il y a un homme qui est proclamé président, qui n’est pas le choix de la France. Ce qui aujourd’hui nous a amené, en tant qu’ancien militant résident à Paris, à reprendre l’appel au combat du discours néocolonial.

Est-ce que vous avez foi en ce combat là ?
Bien entendu ! Non seulement c’est parce que j’ai foi en ce combat que je suis venu sur le terrain, mais la colonisation anglaise et la colonisation française, sont deux conceptions différentes. Lorsque l’Angleterre dominait les Indes et que les Indiens se sont rebellés contre l’occupation anglaise, les Anglais sont partis. Ils n’ont pas cherché à dominer l’Inde à travers des Sous-préfets locaux ! Ce qui n’est pas le cas dans nos pays africains francophones. La France a eu à faire la guerre anti-coloniale, de décolonisation en Indochine. Elle a fait la guerre de décolonisation en Algérie. Pour éviter que l’Afrique noire ne se réveille, De Gaulle a convoqué à Paris tous ceux qui ont fait l’école Williams Ponty pour leur distribuer, comme des bonbons, des postes de président de la République. C’était une indépendance de pacotille.

Est-ce que vous pensez que le peuple ivoirien est outillé pour mener ce combat ?
Il n’y a aucun autre moyen que la volonté d’un peuple de dire non. En tant que journaliste, observateur, j’ai toujours dit à des proches à Paris que quand on m’a envoyé d’Abidjan la vidéo de la détermination de la jeunesse ivoirienne face aux militaires de Boka Yapi, je me suis dit qu’il a quelque chose qui se passe et qu’il y a quelque chose qui a échappé aux ethnologues à Paris et qui est train de se faire à Abidjan. J’ai vu dans la cassette qu’on m’a envoyé d’Abidjan, une jeunesse déterminée, qui était organisée, principalement venue de Yopougon. C’est quelque chose qu’on n’avait jamais vu en Afrique noire ! J’ai dit aux gens : «Faites attention, je pense que Gbagbo qui est d’abord idéologiquement formé dans le maoïsme a fait tous les petits villages ivoiriens comme Mao l’a fait en Chine. Dans chaque village, il prenait à témoin les populations. Il leur disait, nous sommes venus aujourd’hui pour vous sortir de la misère.» Cela a été complètement minimisé par les ethnologues, les analystes politiques. Aujourd’hui, on voit le résultat. Quand Laurent Gbagbo lance un appel, on voit un peuple de 20 mille, 30 mille, 40 mille, 50 mille voire des millions de personnes qui sortent. Ce sont des gens qu’on ne peut pas facilement manipuler. Quels que soient les porte-avions qui vont venir de Paris, les gens sont prêts à mourir pour ne pas que la France, aujourd’hui à Abidjan, reprenne pied, comme à l’époque d’Houphouët-Boigny. Ça va faire peut-être 500 mille, 1million ou 2 millions de morts, mais il y aura des volontaires qui vont venir se mettre devant les chars de la France pour l’empêcher de gouverner la Côte d’Ivoire. Je sens cette détermination là.

Une guerre se fait avec des alliés, est-ce que la Côte d’Ivoire en a ?
Vous parlez de l’Angola et de la Guinée-Bissau qui soutiennent la Côte d’Ivoire…

La Russie au Conseil de sécurité…
La Russie, la Chine… L’impérialisme français a tout fait pour isoler la Côte d’Ivoire de Gbagbo. Il n’y a pas que l’Angola, la Guinée-Bissau, la Russie, qui donnent quelques voix parce qu’on vient d’avoir des contrats de pétrole. Mais si demain une guerre se déclarait, sur qui peut-on réellement compter ? La Côte d’Ivoire peut d’abord compter sur les patriotes. C’est une bonne chose que Blé Goudé ait appelé à ce que les patriotes entrent massivement dans l’armée. Un pays puissant commence d’abord par l’Armée pour défendre ses intérêts dans le pays et à l’extérieur. C’est ce que les Etats-Unis ont fait depuis 1888. Donc un pays comme la Côte d’ Ivoire, ce n’est pas normal que notre défense dépende d’une armée étrangère dont la base est à Port-Bouët, ça c’est l’époque d’Houphouët Boigny. Au-delà donc de l’Armée ivoirienne, il faut compter sur des pays comme l’Angola qui ont fait 25 ans de libération contre d’abord le Portugal, ensuite contre l’enclave impérialiste qu’incarnait Savimbi et son mouvement. Aujourd’hui, si une guerre éclate en Côte d’Ivoire, il ne faut pas qu’on compte d’abord sur les Angolais, ensuite sur quelques militaires africains qui peuvent venir d’eux-mêmes prêter main forte à la Côte d’Ivoire. Il faut compter sur l’Armée ivoirienne elle-même qui doit diriger tous ceux qui viennent de l’extérieur. Ce qui est sûr, c’est d’abord une guerre contre l’impérialisme français menée par le peuple de Côte d’Ivoire seul. Parce qu’aujourd’hui, quand vous arrivez au Bénin, au Togo, au Mali, l’opinion africaine a tellement été traumatisée par les médias français que les gens ne parlent que de la question électorale. Gbagbo est perçu comme le mauvais perdant face à Alassane Ouattara qui a gagné les élections et qui ne peut pas accéder au pouvoir. On oublie que depuis l’an 2000, le Rhdp empêche Gbagbo de gouverner, et que la rébellion de 2002 n’a jamais été condamnée par une instance internationale. En plus, quand il y a eu les élections de 2010, on avait encore les rebelles en armes au nord qui influençaient directement les élections. Personne ne veut entendre de cela, tout ce qu’on voit, c’est un Gbagbo qui a été battu par Alassane Ouattara et qui ne veut pas quitter le pouvoir. Voici le schéma que l’impérialisme a dessiné dans la tête de tous les Africains francophones en dehors d’Abidjan pour leur faire comprendre la légitimité d’une attaque frontale contre le régime d’Abidjan : voilà où nous en sommes.
Aujourd’hui, Alassane Dramane Ouattara est encore à l’hôtel du Golf, et la France lui crée une télévision pour contrebalancer la télévision ivoirienne.

Faites-vous entièrement confiance à l’armée ivoirienne, en ses capacités de libérer le pays ?
Ce que moi je reproche à cette armée aujourd’hui, c’est le terme républicain. Cette armée a oublié que nous sommes en guerre et que le pays est divisé en deux. On ne peut pas faire la démocratie contre ceux qui ne veulent pas la démocratie. Nous avons en face de nous des gens qui nient la démocratie. Je lance un appel aux Fds pour nous aider à libérer la Côte d’Ivoire de Ouattara et de ses sbires. Aujourd’hui on peut plus retirer l’argent à Abidjan, les banques sont fermées, les médicaments sont interdits. Jusqu’où ira Ouattara pour que le peuple ivoirien réagisse ?


Par Anderson Diédri
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