Présidente de l’association Survie, Odile Tobner dénonce les véritables raisons de l’attitude de Paris et déplore l’assujettissement de l’Onuci.
Comment analysez-vous l’intervention française en Côte d’Ivoire ?
Odile Tobner. La négation, par des officiels français, d’une quelconque intervention dans l’arrestation de Laurent Gbagbo est invraisemblable, étant donné l’incapacité des Forces républicaines de Côte d’Ivoire d’effectuer celle-ci sans l’aide de la force Licorne. Plus largement, l’intervention française est fâcheuse car elle n’a pas créé la paix, et visait seulement à assurer le pouvoir d’Ouattara. Si les intentions humanitaires affichées avaient été honnêtes, l’intervention aurait été politique, avec pour seul but d’encourager l’organisation d’un large rassemblement de l’ensemble de la population ivoirienne. Or, depuis décembre, on assiste à une position binaire et caricaturale, aboutissant à une exclusion des partisans de Gbagbo de la solution du problème.
Quel pourrait être l’impact de cette exclusion totale du parti de Gbagbo ?
Odile Tobner. Dans l’immédiat, il y a un danger humanitaire depuis qu’Abidjan est livré aux Forces républicaines de Côte d’Ivoire. Ces troupes pro-Ouattara sont sans discipline, comme l’a montré leur descente dans l’Ouest, entachée d’atrocités. Protéger la population est la première urgence en Côte d’Ivoire, même si peu de médias en parlent. Cette mission incombe aux forces de l’ONU en Côte d’Ivoire (Onuci).
Justement, quel a été selon vous le rôle joué par l’Onuci ?
Odile Tobner. C’est clair : l’Onuci a été assujettie aux décisions françaises. D’ailleurs, le mandat de l’ONU a été sûrement rédigé par la France, à qui les États-Unis ont laissé complètement la gestion de cette affaire. Une confusion est très souvent faite entre l’Onuci et la force Licorne. Celle-ci est sous commandement français et non onusien.
L’avenir est-il dégagé pour Ouattara ?
Odile Tobner. Certainement pas. Les Ivoiriens ont été trop dressés les uns contre les autres. La politique pratiquée par Alassane Ouattara, qui fut Premier ministre au début des années 1990, ne va pas aider. Ce partisan d’un libéralisme le plus sauvage risque d’aggraver une situation économique particulièrement mauvaise dans un pays où la monoculture du cacao a été encouragée durant la période d’Houphouët-Boigny. Cela enrichit les spéculateurs et laisse les ouvriers agricoles dans une très grande misère.
L’intervention française va coller à la peau d’Alassane Ouattara. Pourtant, Laurent Gbagbo n’est pas exempt de collusion avec les intérêts français.
Odile Tobner. Laurent Gbagbo a vite essayé d’amadouer les Français, leur signalant qu’il n’allait pas remettre en cause leurs intérêts en renouvelant, par exemple, la concession du port d’Abidjan à Bolloré sans appel d’offres. Mais la France aura plus confiance en Ouattara que en Gbagbo. Car ce dernier comptait, dans son entourage quelqu’un comme Mamadou Coulibaly. Ministre des Finances de son premier gouvernement, il préconisait la fin du CFA. Laurent Gbagbo a eu peur de mettre en œuvre une véritable politique d’émancipation, et l’a vite nommé à la présidence de l’Assemblée nationale. Le bilan des dix années de pouvoir de Laurent Gbagbo est loin d’être positif. D’autant que la partition du pays suite à une tentative de coup d’État à son encontre a été, au niveau politique, complètement désastreuse.
Les influences françaises vont donc continuer malgré les promesses sarkozyennes d’en finir avec la Françafrique…
Odile Tobner. Les événements en Côte d’Ivoire témoignent de la fatalité d’une politique qui ne peut pas se remettre en question. Le franc CFA, signe d’une puissance monétaire, s’ajoute à la puissance militaire de la France, au travers de nombreuses bases militaires installées en Afrique. Cette position impériale appuie des intérêts français considérables, de nombreuses sociétés hexagonales tirant de grands bénéfices de leur situation de monopoles. Bouygues est le plus grand entrepreneur étranger. Bolloré règne sur le port. Pinault, avec la CFAO, tient toute la distribution de la pharmacie…
Alassane Ouattara a annoncé la création d’une commission « vérité et réconciliation ». Est-ce suffisant ?
Odile Tobner. Certainement pas. D’abord, cette commission devrait s’appeler commission « justice, paix et réconciliation ». Et Alassane Ouattara n’est pas capable d’assurer cette mission de façon impartiale, car les exactions sont à mettre au crédit de trop de responsables de son propre camp, comme Guillaume Soro.
Que préconisez-vous ?
Odile Tobner. Ce travail devrait être confié à des représentants d’une société civile authentique, regroupant des associations et des citoyens, qui n’ont jamais jeté de l’huile sur le feu et ont toujours été partisans d’une réconciliation, comme la Convention de la société civile ivoirienne.
Entretien réalisé par Pierre Duquesne
Comment analysez-vous l’intervention française en Côte d’Ivoire ?
Odile Tobner. La négation, par des officiels français, d’une quelconque intervention dans l’arrestation de Laurent Gbagbo est invraisemblable, étant donné l’incapacité des Forces républicaines de Côte d’Ivoire d’effectuer celle-ci sans l’aide de la force Licorne. Plus largement, l’intervention française est fâcheuse car elle n’a pas créé la paix, et visait seulement à assurer le pouvoir d’Ouattara. Si les intentions humanitaires affichées avaient été honnêtes, l’intervention aurait été politique, avec pour seul but d’encourager l’organisation d’un large rassemblement de l’ensemble de la population ivoirienne. Or, depuis décembre, on assiste à une position binaire et caricaturale, aboutissant à une exclusion des partisans de Gbagbo de la solution du problème.
Quel pourrait être l’impact de cette exclusion totale du parti de Gbagbo ?
Odile Tobner. Dans l’immédiat, il y a un danger humanitaire depuis qu’Abidjan est livré aux Forces républicaines de Côte d’Ivoire. Ces troupes pro-Ouattara sont sans discipline, comme l’a montré leur descente dans l’Ouest, entachée d’atrocités. Protéger la population est la première urgence en Côte d’Ivoire, même si peu de médias en parlent. Cette mission incombe aux forces de l’ONU en Côte d’Ivoire (Onuci).
Justement, quel a été selon vous le rôle joué par l’Onuci ?
Odile Tobner. C’est clair : l’Onuci a été assujettie aux décisions françaises. D’ailleurs, le mandat de l’ONU a été sûrement rédigé par la France, à qui les États-Unis ont laissé complètement la gestion de cette affaire. Une confusion est très souvent faite entre l’Onuci et la force Licorne. Celle-ci est sous commandement français et non onusien.
L’avenir est-il dégagé pour Ouattara ?
Odile Tobner. Certainement pas. Les Ivoiriens ont été trop dressés les uns contre les autres. La politique pratiquée par Alassane Ouattara, qui fut Premier ministre au début des années 1990, ne va pas aider. Ce partisan d’un libéralisme le plus sauvage risque d’aggraver une situation économique particulièrement mauvaise dans un pays où la monoculture du cacao a été encouragée durant la période d’Houphouët-Boigny. Cela enrichit les spéculateurs et laisse les ouvriers agricoles dans une très grande misère.
L’intervention française va coller à la peau d’Alassane Ouattara. Pourtant, Laurent Gbagbo n’est pas exempt de collusion avec les intérêts français.
Odile Tobner. Laurent Gbagbo a vite essayé d’amadouer les Français, leur signalant qu’il n’allait pas remettre en cause leurs intérêts en renouvelant, par exemple, la concession du port d’Abidjan à Bolloré sans appel d’offres. Mais la France aura plus confiance en Ouattara que en Gbagbo. Car ce dernier comptait, dans son entourage quelqu’un comme Mamadou Coulibaly. Ministre des Finances de son premier gouvernement, il préconisait la fin du CFA. Laurent Gbagbo a eu peur de mettre en œuvre une véritable politique d’émancipation, et l’a vite nommé à la présidence de l’Assemblée nationale. Le bilan des dix années de pouvoir de Laurent Gbagbo est loin d’être positif. D’autant que la partition du pays suite à une tentative de coup d’État à son encontre a été, au niveau politique, complètement désastreuse.
Les influences françaises vont donc continuer malgré les promesses sarkozyennes d’en finir avec la Françafrique…
Odile Tobner. Les événements en Côte d’Ivoire témoignent de la fatalité d’une politique qui ne peut pas se remettre en question. Le franc CFA, signe d’une puissance monétaire, s’ajoute à la puissance militaire de la France, au travers de nombreuses bases militaires installées en Afrique. Cette position impériale appuie des intérêts français considérables, de nombreuses sociétés hexagonales tirant de grands bénéfices de leur situation de monopoles. Bouygues est le plus grand entrepreneur étranger. Bolloré règne sur le port. Pinault, avec la CFAO, tient toute la distribution de la pharmacie…
Alassane Ouattara a annoncé la création d’une commission « vérité et réconciliation ». Est-ce suffisant ?
Odile Tobner. Certainement pas. D’abord, cette commission devrait s’appeler commission « justice, paix et réconciliation ». Et Alassane Ouattara n’est pas capable d’assurer cette mission de façon impartiale, car les exactions sont à mettre au crédit de trop de responsables de son propre camp, comme Guillaume Soro.
Que préconisez-vous ?
Odile Tobner. Ce travail devrait être confié à des représentants d’une société civile authentique, regroupant des associations et des citoyens, qui n’ont jamais jeté de l’huile sur le feu et ont toujours été partisans d’une réconciliation, comme la Convention de la société civile ivoirienne.
Entretien réalisé par Pierre Duquesne
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