mercredi 29 juin 2011

Ave Gbagbo! Ceux qui t'ont vu mourir te saluent...




Africains pour douter de la profondeur de l’amitié franco-africaine. L’amour que la France nourrit pour l’Afrique est pour le meilleur et pour le pire. Seules les ’’mauvaises langues’’ persistent à s’imaginer que dans cet attelage, la France s’arroge le meilleur en confinant l’Afrique au pire. Mais peut-être vaut-il mieux pécher par lucidité que par imbécillité. La Cote d’Ivoire donne en effet la pleine mesure de l’immense amour que la France des libertés, de la fraternité et de l’égalité nourrit pour l’Afrique : un amour un peu écarlate, il est vrai. Mais le rouge vif des roses ne symbolise-t-il pas l’éclat de l’amour qu’on témoigne à l’objet aimé?

L’amour de la France pour l’Afrique est donc si rouge et si vif qu’il se confirme comme un amour négrophage, si carnassier qu’il fait de la France une grande puissance hémophage.

Au nom de la démocratie françafricaine, nul n’aurait spontanément imaginé que la France eût simplement pu songer à assassiner près de 3000 jeunes Ivoiriens à Abidjan ! Mais ces chiffres circulent sur internet et sont disponibles dans certaines grandes Chancelleries. Cette nation de la fraternité ne saurait assassiner autant de frères humains : la France a donc seulement supprimé la vie à ces jeunes Africains proclamés criminels pour avoir osé soutenir le Président National qu’ils estiment avoir élu, contre un Président élu par la Communauté internationale. Ils sont passés de vie à trépas parce que le Napoléon nouveau est arrivé en France, et que tout crime africain de lèse Tricorne mérite d’être puni de mort par la Licorne.


Ici, les images d’un autre pays africain en lutte en 1945 remontent : la Légion étrangère de France, de fort sanguinaire réputation, n’hésita pas à liquider 17.000 Algériens à Sétif et Constantine. Cette extermination massive fut activement maquillée et couverte pour la visite de Tixier, alors ministre français des Affaires Etrangères. En effet, préoccupé par les reportages de plus en plus précis des médias, et soupçonnant de mensonge les rapports orientés des autorités françaises en poste en Algérie, le ministre Tixier dut faire une descente en Algérie pour se faire une opinion personnelle et directe. Les commanditaires français locaux de ce massacre durent subrepticement exhumer des milliers de corps des charniers pour les déplacer et les incinérer dans les fours à chaux d’un colon français de la place. Ces Français avaient appris une grande pratique des Nazis ; ils l’appliquaient aux Africains d’Algérie. Et pour ne pas perturber la bonne conscience de «la communauté internationale» d’alors, les rapports très officiels qui furent publiés conclurent qu’il y avait environ 103 colons français morts et 15.000 morts côté algérien. Ce rapport précisait que ces morts n’étaient pas dues à l’armée française d’occupation, que la France n’avait jamais eu à tirer sur qui que ce soit, mais que ces morts étaient la regrettable conséquence des émeutes que l’Algérie avait connues pour cause de famine! Par amitié, la France se proposa d’aider l’Algérie à éloigner le spectre d’une famine aussi meurtrière ! Il ne fallait surtout pas laisser éclater le scandale de cette boucherie : la France voulait présenter au monde une image angélique et vertueuse au moment où se mettait en place un organe aujourd’hui connu sous le nom de l’ONU.

Le hasard de l’histoire veut que 70 ans après, une autre Légion étrangère de France sévisse en Côte d’Ivoire ; et qu’Alain Juppé, un autre ministre français des Affaires étrangères, se mobilise et tente de divertir l’opinion internationale en la détournant du spectacle des milliers de cadavres d’Ivoiriens qui jonchent les rues d’Abidjan. Mais il se trouve cette fois que les cameras sont présentes : des journalistes et des cinéastes ont pris des images, et certaines puissances à veto au Conseil dit «de sécurité» en détiennent d’horribles et de bien embarrassantes pour l’angélisme affiché d’une France qui, pour ne pas plonger seule, n’a pas hésité à compromettre l’ONU.

C’est qu’il y a longtemps qu’en Côte d’Ivoire, la question n’est plus électorale. Il y a longtemps qu’elle n’est plus ni morale, ni éthique : la question est d’une obscène concupiscence, matérielle et mercantile. La France a voulu et a cru pouvoir se cacher derrière l’ONU. Elle avait des raisons de le penser, l’ONU étant cet organisme d’après guerre qui fut conçu par des Occidentaux, pour un Occident anxieux et impatient de se doter d’un instrument de protection de ses intérêts géostratégiques et hégémoniques de domination d’un monde qu’il s’était partagé. Aujourd’hui, hélas, l’ONU est bien nue ! Quant à la France qui espérait s’en couvrir, le giclement du sang des Ivoiriens est un torrent écarlate qui confirme l’idéologie sanglante que chante la Marseillaise. Mais de mémoire d’Ivoirien, l’on ne vit jamais un éléphant se cacher efficacement derrière une feuille de cacaoyer. La mise à nu de l’ONU a fini par mettre la France à découvert. Convoité pour ses richesses, un Peuple d’éléphants se retrouve pour ainsi dire sans défense, face à la furie paradoxalement et fort scandaleusement meurtrière de l’ONU. On aura donc vu cela : des ’’soldats de la paix’’ bombardant les institutions d’une nation membre de l’ONU, «au nom de la paix», «pour protéger des civils», en collusion avec un membre à veto du Conseil de … sécurité !

Il va sans doute falloir repenser tout cela, et sans doute tout rebaptiser; non seulement parce que nous autres Africains savons aujourd’hui qu’il n’y a pas de «soldats de la paix», mais parce que le Conseil présumé de sécurité ne sécurise visiblement que les intérêts des nations à veto, au détriment des peuples qui, de ce fait même, n’ont pas voix au chapitre à l’ONU.

De Gaulle se passait volontiers de cette Organisation quand les appétits de la France étaient contrariés par des principes onusiens. Et c’est ce «machin», comme il l’appelait, que les Etats Unis ont superbement ignoré quand il a fallu qu’un fils président des Etats Unis lave l’humiliation que Saddam Hussein avait infligée à son président de père. La belle «Busherie» qui a suivi à coup de mensonges médiatiques aura-t-elle inspiré la France – qui n’a pas supporté le camouflet que Laurent Gbagbo lui a donné, entre autres en refusant d’aller célébrer le cinquantenaire d’une indépendance qu’il persistait, lui, à revendiquer pour la Cote d’Ivoire ? En finir avec Saddam Hussein pour les uns au nom du père et au mépris de l’ONU. En finir avec Gbagbo pour les autres, au nom du pèze et en compromettant l’ONU. C’est sur fond de cette émotivité revancharde et ravageuse que l’Occident s’est autoritairement et arbitrairement engagé à décimer des populations non occidentales, au prétexte de démocratiser leurs pays.

Qu’il se trouve des Africains pour chercher à plaire à des Occidentaux est leur droit. Cela fait gagner quelques tapes condescendantes sur l’épaule et un peu d’avoine aux ânes. Et nous sommes nombreux sous les tropiques à avoir été dressés à de telles âneries. Mais tous ces massacres sur fond d’affective cupidité montrent que contrairement à ce que prétendit un Nègre évolué, l’émotivité n’est pas un monopole nègre. Bien plus, l’Occident hellène sait ce qu’est perdre la raison quand il s’aveugle de convoitise, s’éblouit à l’éclat des matières premières des autres peuples et s’enlise dans ses calculs de survie. C’est donc un peu trop rapidement que Senghor lui en aura abandonné l’exclusivité. Car les prouesses technologiques occidentales ne suffisent pas à convaincre de la grandeur humaine ; elles y parviennent d’autant moins que celles qui se déploient en Afrique crachent essentiellement la mort, multipliant le deuil, la désolation et les cimetières, tels du moins que les peuples de Côte d’Ivoire et de Libye sont en train de les expérimenter.

Emotive ? Pressée et stressée par la morsure de sa propre survie économique ? La France, pays européen de plus en plus pauvre, ne veut pas suivre l’Irlande et la Grèce dans les fourches caudines du FMI ou dans la galère humiliante de l’assistanat européen. La France qui vit essentiellement de son capital historique n’aura certainement pas oublié que l’Espagne aujourd’hui à genoux fut la première puissance maritime d’Europe au sillage de laquelle la France dut s’inscrire pour prospérer outre-mer. Et la France renoncerait à tous ses fromages pour ne pas devoir solliciter l’assistance conditionnée d’une Union européenne dont elle s’estime l’une des pièces maîtresses. Or cette France-là est parfaitement consciente qu’elle ne peut tenir ni la route, ni la moindre de ses ambitions de visibilité sans l’Afrique. La voici donc en train de craquer devant les sursauts somme toute récurrents de liberté, d’autonomie et même d’indépendance que lui opposent, chose intolérable, certains pays de son empire colonial. Le masque n’aura donc pas pu tenir. Il est tombé, et dans les flaques de sang du peuple ivoirien. Il ne fait pas bon le comprendre. Il ne fait pas bon le dire.

C’est pourquoi de plus en plus de Français apparemment sains de corps (pour l’esprit nous verrons) déclarent à temps et à contre temps que les Africains qui s’offusquent ou se révoltent sont victimes du «Complexe de colonisé»! Ils connaissent donc la psychologie. Ils ont même, pour certains, feuilleté Freud. Ils se doutent que s’il y a complexe, c’est à la suite d’un événement traumatisant, comme par exemple la colonisation. Les Français ont donc en France des psychothérapeutes dont il faudra sans doute augmenter les effectifs au regard de l’éclosion imminente des psychopathologies latentes. Mais il ne convient pas à nos amis de France qu’un lien soit établi entre ce qu’ils considèrent comme «complexe de colonisé» et l’événement traumatisant qu’est la colonisation à la française. Chacun peut donc s’étonner qu’en France, depuis bientôt 70 ans, l’on passe et repasse des images, des discours et autres témoignages pathétiques sur la Shoah, sans qu’aucun des Français donneurs de toutes ces leçons de savoir-penser n’ait encore reproché aux victimes du nazisme de cultiver quelque «Complexe de nazifié»! Est-ce à prétendre que les camps nazis de gazéification n’étaient pas un événement traumatisant ? Ou alors, comme l’affirmait le Haut Commissaire colonial Messmer, promu Premier ministre de France en récompense des sévices rendus, est-ce parce que «la capacité de souffrance» des Nègres est telle qu’ils ne pourraient avoir été traumatisés malgré toutes les horreurs que la colonisation française leur a infligées ?

’’Ce n’est pas la même chose’’ dirait l’impénitent Elkabach ! Car pour certains journalistes de France, tenir un micro et passer à l’antenne permet de banaliser impunément les assassinats qu’on veut, et de valoriser complaisamment les turpitudes qu’on peut, selon les besoins variables de la cause.

La manipulation et l’instrumentalisation de la presse de France pendant le génocide algérien se sont donc tranquillement reproduites pendant les expéditions mortifères de la Légion étrangère de France en Cote d’Ivoire. Ce sont des Français mêmes qui massacrent, qui liquident et qui cassent du nègre, sans doute pour satisfaire ce goût de sang et cette propension à l’hémophagie qu’exalte la Marseillaise ? Rouget son auteur, n’aura jamais aussi bien porté son nom…

La presse française s’est donc montrée à la hauteur du carnage ivoirien : le monde entier a observé qu’elle sait se délecter de charogne, et qu’elle se pourlèche les babines au spectacle de putréfaction dont la Licorne a pollué les terres, les villes et les rues de Cote d’ivoire. En son temps, pour d’autres raisons, François Mitterrand dénonça la dérive canine et carnassière de la presse française. Bérégovoy venait d’être poussé au suicide. La mort ; encore la mort ; toujours la mort. Mitterrand, coup de tonnerre, parla de «chiens». Seulement, il n’avait pas pris toute la mesure de l’anthropophagie des médias de sa France : un chien chasse, traque son gibier et le tue ; en revanche et bien moins efficace, l’hyène ne fait que dégoter les carcasses de proies tuées et abandonnées par d’autres prédateurs. Et ce sont bien les charognes humaines abandonnées par la Licorne qui font les beaux jours et les carrières de certains journalistes de France. C’est pour cela qu’avant de se rendre compte qu’ils sont devant des caméras, la plupart laissent libre cours à leur instinct de négrophages, et ne se ressaisissent que pour tenter, encore que maladroitement, de juguler l’incontinent épanchement de leurs fantasmes de négrophobes.

En effet, le seul décompte qu’ils savent faire des victimes porte curieusement sur les morts qu’ils attribuent au camp qui n’est pas celui de la Licorne. Soucieux de promouvoir cette nouvelle démocratie qu’il faudra bien nommer démocratie par balles,- Achille Mbembe proposait déjà la «démocratie du bazooka» - ils tentent de convaincre leurs auditeurs et téléspectateurs que les balles tirées par les Rebelles propulsés Républicains, et les obus de la Légion étrangère de France, sont à têtes chercheuses : ces munitions feraient le tri entre les civils et les militaires. Bien mieux encore, les balles françaises sauraient distinguer, parmi les civils, le pro Gbagbo du pro Ouattara. Elles se réserveraient donc de frapper les uns, pour ressortir des cases, revenir dans la rue, et continuer à rechercher les vraies cibles… Voilà pourquoi en Cote d’Ivoire, selon la presse de France, il n’y a de morts que victimes du seul et unique camp de Gbagbo… L’ONU même - sursaut de lucidité ou velléité de remords pour se racheter - a beau répéter que les hommes de Ouattara multiplient des hécatombes sur leur passage, rien n’y fait : d’où ce commentaire d’une chaîne française : « Le Président reconnu par la communauté internationale s’engage à faire toute la lumière sur les massacres qui sont perpétrés par les hommes de Laurent Gbagbo, et à punir les coupables »…Quand on vous dit qu’ils sont incomparables, nos journalistes de France : dans leurs reportages forcément objectifs, la Légion étrangère de France disposerait tout aussi intelligemment de balles et de mortiers intelligents à frappe sélective…

Et Laurent Koudou Gbagbo dans cette spirale ?

Assurément, Gbagbo n’aura pas de communion sans confession. Mais il aura joué un rôle déterminant dans la compréhension de la manière dont fonctionne la ’’Communauté internationale’’ via l’ONU et l’Union européenne. Gbagbo a servi de révélateur au sens chimique de ce terme. Sans doute se sait-il condamné. Mais le destin des révélateurs est de disparaître une fois le résultat de la réaction chimique connu. Et ce résultat, c’est d’avoir amené l’amitié franco africaine à révéler son vrai visage de négrophagie françafricaine. Aucun Africain, gouvernant ou gouverné, ne saurait plus prétendre qu’il n’a pas vu, ou qu’il n’a pas entendu. Ce ne sont pas les pâles dissertations des médias de France qui nous démentiront. Quand il s’agit de casser du nègre, tous les adjectifs qualificatifs sont bons pour disqualifier l’Afrique. Et tout un système politique, économique et social qui vit de la colonisation espère, à coup de blanchiment médiatique, faire oublier les nombreuses «guerres cachées» dont l’Afrique fut victime et dont de bien nombreuses générations d’Africains gardent de profondes séquelles.

Si donc l’amnésie est une vertu, qu’on veuille bien nous expliquer en quoi sont pertinents les multiples organismes, exhortations et institutions de mobilisation en faveur du devoir de mémoire sur ces innocents européens qui, il y a déjà 70 ans, furent massivement arrachés à l’affection des leurs. Qu’on veuille bien expliquer en quoi il est juste et bon que ceux qui se sont rendus coupables ou simplement complices de ces exactions soient encore culpabilisés, toujours traqués et si impitoyablement condamnés que toute velléité de négationnisme expose à des procès. Ceux qui vivent ainsi de leur histoire et qui la font vivre s’en estiment le droit et même le devoir. Nul ne le leur contestera. Mais qu’ils vivent aussi grassement de leur fonds de commerce historique en tentant de donner mauvaise conscience à ceux qui cherchent à faire valoir leur histoire à eux, relève d’une attitude que chacun pourra qualifier, mais qui n’est pas loin de l’abjection morale, pour avoir franchi toutes les étapes de la mauvaise foi et de l’hypocrisie. Mais nous comprenons bien que le complexe de colonisé soit consubstantiellement lié au complexe du colonisateur. Quelqu’un, quelque part, ne supporterait plus son visage de génocidaire colonial. La première thérapie pour le complexe de colonisateur consisterait sans doute à affronter le regard de ses victimes et la vérité de ses exactions, dans l’espoir de les exorciser. Mais certains, à l’évidence, n’ont pas le courage de leur histoire. Ils n’ont déjà pas montré qu’ils avaient le courage d’assumer leurs exactions. L’héroïsme colonial est un héroïsme de lâcheté. C’est cet héroïsme-là qu’on voit encore en 2011 se déployer dans les rues d’Abidjan.

La Côte d’Ivoire vient ainsi d’offrir un miroir non déformant à la «communauté internationale» et à l’ONU. Les puissants propriétaires du monde ont le loisir de s’y mirer et de s’y admirer. Ce qu’ils sont vient cependant de parler, de crépiter et d’exploser si fort à Abidjan qu’il n’est plus besoin d’écouter ce qu’ils disent. Nous autres Africains savons trop ce qu’ils sont pour encore nous arrêter à ce qu’ils déclarent. Il suffirait de consentir quelques instants d’attention à l’actuel Président de France parlant d’une Libye où flotterait le drapeau tricolore : «Je ne fais pas ça par plaisir. Je ne suis pas belliqueux. Que pouvais-je faire d’autre ? Il fallait tout faire pour éviter que Kadhafi rentre dans Benghazi en vainqueur. Ce n’était plus qu’une question d’heures. Ça fait quelque chose, quand même, de voir les drapeaux français à Benghazi. » (in Les Afriques, n° 154 du 30 mars 2011, Verbatim, p. 24).

Comment encore en douter ? La lorgnette est ajustée en même temps que le Tricorne napoléonien pour que la Licorne achève la besogne au nom de l’empire colonial à restaurer en Afrique. Tel est le rêve impérial de Nicolas Sarkozy : voir flotter le drapeau de France, surtout ailleurs qu’en terre de France, en tout cas partout où il y a prétexte à démocratie ou à protection des civils par ces bombardements et pilonnages intensifs qui devraient convaincre les plus sceptiques que Nicolas Sarkozy n’est «pas belliqueux».

C’est ce bellicisme et cette fougue de reconquête que certains dignitaires de France déplorent : Dominique de Villepin préconise une solution diplomatique et non militaire, et Laurent Fabius dénonce l’interventionnisme de la France. Tous s’indignent de voir la France en première ligne dans une dispute électorale que les Ivoiriens en particulier et les Africains en général ont les moyens de gérer.

Plusieurs siècles ont passé. Les noms de baptême ont changé ; « le fardeau de l’homme Blanc » perdure. Hier il s’appelait mission civilisatrice. L’Afrique a été saignée pour ainsi dire à blanc par une Traite dont les Blancs même n’osent plus parler. Aujourd’hui, les mêmes se donnent un nouveau fardeau, la mission démocratisatrice, dont le prétexte est de libérer les Africains des autocraties que les collusions françafricaines ont pourtant installées avec enthousiasme en Afrique, et que la France a bichonnées tant qu’elles sécurisaient ses intérêts. Mais seule la peinture a changé. Hier, des villages africains entiers ont été décimés et calcinés au nom de la ’’civilisation’’ occidentale. Aujourd’hui, les rescapés de ces génocides coloniaux sont massacrés en Afrique au nom des libertés et de ’’la démocratie’’ à l’occidentale.

Le fait, constant, n’est pas que l’Occident donne l’illusion de se soucier du bien être des peuples d’Afrique en lieux et place des dirigeants légitimes ou autoproclamés d’Afrique. Nous autres Africains savons que le chimpanzé n’est pas le frère du gorille. Ce qui est constant, c’est qu’à chacune de ses crises de civilisation, l’Occident s’arroge «une mission» au maquillage humaniste, humanitaire, et même philanthropique ; qu’il annonce bruyamment qu’il va «porter le fardeau» du bien-être des peuples non occidentaux au moment même où il s’organise pour faire porter à ces peuples le fardeau de la survie et du bien-être des peuples occidentaux.

Jusqu’ici, on savait la France négrophobe, le pays où le délit de faciès prospère et où les agents chargés de le sanctionner font carrière. Mais au moment même ou la France se dévoile, elle se confirme négrophage. Elle déploie donc en Cote d’Ivoire son vaste amour de prédateur pour sa proie, qui veut que l’un en survive au moment même où l’autre en crève. Car c’est désormais une question de vie ou de mort. Convenons que le monde aura connu une autre France : celle qui, malgré la morsure de ses carences économiques, de ses incertitudes morales complexifiées par la peur du lendemain, parvenait encore à dissimuler aux cameras sa haine et sa hargne, son bellicisme et son vampirisme socioéconomique. Ce n’est pas la moindre faiblesse que de se croire seul au monde et de ne voir que soi. Le narcissisme eurocentriste peut donc toujours se gargariser de sa propre image. C’est désormais une image écornée et maculée du sang des peuples qu’on s’arrogea hier le devoir de civiliser, mais qu’on n’aura travaillé qu’à décerveler et qu’à déciviliser. La démocratie la plus française restera donc toujours la meilleure. La déraison en serait simple si démocratie rimait avec négrophagie. C’est pour cela qu’hier comme aujourd’hui, et pour demain qui se penche sur les fosses communes d’Afrique, l’amitié franco africaine s’avère synonyme de négrophagie françafricaine.

Ave, Gbagbo ! Ceux qui t’ont vu mourir te saluent !

Car les dés sont jetés : «Pile !», ils te tuent. «Face !», tu es mort. Mais ce que les Africains ne pouvaient pas encore comprendre du jeu de l’ONU contre Patrice Lumumba ou Ruben Um Nyobe, ce que les Africains n’avaient pas bien saisi dans l’assassinat de Thomas Sankara, les Africains le comprennent aujourd’hui avec Laurent Koudou Gbagbo. La rage de survie économique et financière qui stresse la France pousse ladite France à ravager les peuples et les pays d’Afrique. Elle a réussi à embarquer dans les guerres de survie de l’Hexagone un jeune président Américain fils d’Afrique, au nom de la démocratie électorale. Son rêve d’empire à la Napoléon rappelle le mot de la mère à son empereur de fils : «Pourvou que ça doure». Car maintenant que la carte française est jouée et que les cartouches de l’ONU sont tirées, il faudra, demain, trouver d’autres munitions pour la mission démocratisatrice, en rattrapage de l’échec de la mission civilisatrice.

L’ONU avait une mission d’interposition pour sécuriser la vie. Voici que par France interposée, elle s’est dégradée et démentie en force offensive d’agression sur l’un de ses Etats membres. La voici donc bien nue, l’ONU. L’Afrique, qui devra à Gbagbo de l’avoir révélé, gagnera à en tirer les conséquences appropriées pour ses peuples, en dépit du silence assourdissant de certaines de ses institutions plus ou moins cosmétiques et manifestement influencées.

Ce sera cependant comme avec Empédocle au bord de l’Etna : ceux qui voudront bien suivre ses traces arriveront sans doute à retrouver ses sandales. Cependant de même qu’Empédocle avait déjà plongé dans l’inconnu de l’Etna quand on retrouva ses sandales, Gbagbo ne sera déjà plus là : bien des indices laissent penser que jamais il ne prétendit être une destination, et qu’il se sera perçu comme un simple et fort modeste panneau de signalisation. D’où qu’il lui soit donné de nous observer, Gbagbo persistera à indiquer une destination par-delà sa personne : «L’Afrique ? Continuez, c’est par là… »

Par Charly Gabriel Mbock in Saoti le 11 avril 2011
Source: abidjandirect.net
source : autre presse

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