vendredi 3 juin 2011

UNE CONTRIBUTION DE NICOLAS MADELÉNAT DI FLORIO

Gardez-vous, peuples libres, de ceux qui vous offrent une vérité parfaite ; ceux là portent les germes de la dictature.

C’est à dessein que l’auteur n’a pas effectué trop de précisions quant aux applications géographiques de ce texte. La raison en est simple ; tous les hommes ont en eux une part de barbarie et c’est dans l’acceptation commune de notre violence innée que nous saurons bâtir, partout dans le monde, une coopération utile, bonne et nécessaire à tous, sans que nul apôtre ne tente de nous sauver bien malgré nous. A l’Afrique pourtant, berceau trop vite oublié de l’humanité, j’offre ces lignes et mes meilleurs espoirs ; puisse ce souffle palpiter dans d’autres cœurs que le mien et, ainsi, dépasser les mers et les montagnes.



La chute d’un régime personnifié semble signifier, pour de nombreux pays du monde, la fin d’une gouvernance autoritaire. L’idée, immédiatement, vue du vieux continent, est à la reconstruction. Pourtant, le philosophe ne saurait se borner à enfermer sa raison dans un si petit espoir tant l’expression du pouvoir politique sait s’insinuer dans l’esprit des citoyens qu’il encadre. Le pouvoir, politique ou militaire, n’est jamais connoté de manière neutre ; grand serpent à plume digne des pires contes Maya il sait dévorer et corrompre celles et ceux qui doivent rester sous sa coupe. Vivre sous un régime ou sous un autre n’est donc pas détaché de la construction de l’esprit des populations. Du communisme qui tendait, par la propagande, et l’embrigadement des peuples, à la dégradation de l’espoir et de la nécessaire individualité, le pouvoir fort, quant à lui, non partagé, associé à une justice corrompue et des institutions souillées de lenteur et de passe-droits, ne saurait s’oublier en un jour.

Il faudra, pourtant, tourner la page et voir dans un nouveau dirigeant non un thaumaturge mais un vecteur populaire d’espoir. Le rapport des populations à l’image de l’incarnation du pouvoir est fondamental à qui veut comprendre les grandes réactions, souvent imprévues, des peuples. N’hésitons pas, alors, à parler d’une psychanalyse collective, laquelle dépasse très largement le cadre étroit de la sociologie. Qu’incarnait l’ancien président si ce n’est l’image d’un homme fort, une sorte de père de la Nation portant sur ses épaules l’avenir du pays contre les autres dirigeants, souvent stigmatisés comme étant vendus à un étranger coupable de tous les vices ? Ici aussi une insertion à analyser ; en frappant l’autre moralement, en lui faisant endosser les responsabilités d’un système corrompu, le régime s’attachait les faveurs de la population en se dédouanant de la responsabilité qui devrait aller avec l’exercice du pouvoir. Intellectuellement le phénomène à un nom, c’est la victimisation de celui qui, au regard des faits, est coupable et devrait endosser la responsabilité. Ce premier degré est fondamental pour qui veut comprendre comment des êtres logiques, portés par la liesse, peuvent, rassemblés sur une place ou dans un amphithéâtre, sentir un soulagement immédiat à brûler des drapeaux ou des effigies.

Le phénomène n’est pas nouveau ; dans la Bible, par exemple, il était courant que les populations des villes touchées par la maladie ou la sécheresse, envoient dans le désert un bouc chargé de leur culpabilité (matérialisée par des sacs ou des pierres) ; l’homme venait d’inventer le bouc-émissaire. La réaction intellectuelle est presque instantanée mais l’effet dure fort peu de temps. Le risque est, ensuite, une cristallisation de la violence et une montée, croissante, des troubles ; le peuple cherche, alors, d’autres personnes, d’autres catégories, à persécuter sans trop de raisons apparentes mais en étant intimement convaincu que ses arguments sont fondés.

Du bouc biblique à un groupe ethnique, ou politique, le pas est vite franchi. Un pays en reconstruction ne peut ignorer, et sa classe politique doit y prendre garde, ce phénomène qui consiste à reporter sur l’ancien leader et ses représentants détachés, les coupables parfaits dont la mise au supplice suffirait à détruire les erreurs et les fautes. Le soulagement, pourtant, semble parfait ; la mise à mort, médiatique ou réelle, songeons à Ceaucescu en Roumanie et son procès mis en scène de toute pièce, procure un vrai soulagement moral au peuple. Pourtant, l’effet s’estompe vite. Non, pareilles dérives, si elles sont acceptées voire réclamées par les représentants de l’ordre, n’honorent pas ceux qui les acceptent. Pourtant, les groupes qui composent la société, ce que l’on appelle à tort l’État-nation, semblent retrouver une cohésion, une unité d’une intensité rare, lorsqu’ils frappent, à l’unisson, cet autre vecteur cathartique de la violence.

La haine, avec les coups, dégonfle les pulsions et le soulagement, l’apaisement, gagne les individus. Apparait alors dans le ciel des esprits un soleil radieux ; pourtant, cet astre est une étoile de sang et rien ne pousse dans ces sources là. Rapidement, à l’ivresse succède une prise de conscience ; les bourreaux ne se veulent plus si froids et si justiciables que cela. Les victimes d’hier deviennent les saints de demain ; le dictateur immoral et froid semble, avec le temps, bien moins terrible et de plus en plus humain. La responsabilité de son supplice ne trouve plus de support où s’ancrer jusqu’à ce que la population, dressée comme un seul homme, se retourne vers celui qui a succédé au démon d’hier devenu icône d’un espoir sans lendemain. La foule, galvanisée par ses anciennes ivresses, vient de désigner un nouveau bouc-émissaire, le porte au supplice, le sacrifie, les persécutions reprennent, ont changé de camps et ceux qui dansaient peu avant courent pour échapper aux coups et aux procès publics avant exécution.

Qui, des dictateurs ou des bourreaux improvisés, est le plus coupable ? Tout le monde, et personne à la fois, répondra le philosophe ; la responsabilité va, de pair, avec l’idée d’une décision prise en conscience. Or, le phénomène de victimisation, de persécution, puis de bouc-émissaire, parachevé par le sacrifice, est parfaitement involontaire ; il est une tentation naturelle de l’homme, une sorte de mauvais courant vers lequel l’emporte sa violence spontanée.

Et de se demander si l’État peut sauver l’homme, si, en Afrique comme ailleurs, c’est au pouvoir politique de proposer un nouveau pacte social ou s’il est préférable de rendre au peuple tant sa souveraineté que sa responsabilité afin qu’il se gère par et pour lui même ? L’exemple africain devrait suffire à dégoûter les plus interventionnistes et les plus étatistes de nos intellectuels. Plus l’État est présent, plus le politique s’insinue dans la société civile, et plus le peuple, tôt ou tard, se révoltera violemment et portera sur le premier groupe persécutable venu son besoin de violence. Réduire la toute puissance du pouvoir politique, gommer l’habitude de présenter au devant des peuples un homme, ou une femme, qui serait l’incarnation tant de la vérité que de l’avenir, c’est préparer un antidote aux phénomènes spontanés de bouc-émissaires. Il est impossible de faire disparaitre la violence naturellement présente en l’être humain ; par elle, et avec elle, se forment et se déforment nos institutions.

En réduisant la part de l’État, du politique, les populations redécouvriront des formes pacifiées d’échanges et de gestion des conflits. Car si la violence est intrinsèque à la condition humaine, n’oublions pas, en tout point comparable à la boîte de Pandore que, même au fond du gouffre le plus obscur, subsiste un je ne sais quoi de lumière ; si la violence est un des phénomènes fondateurs des sociétés humaines, et non de l’Etat politique, qui en est une conséquence artificielle, existe dans la nature même de l’être, le besoin de vivre en compagnie. L’homme est un animal sociable ; les animaux ne tuent jamais par plaisir. Par la réduction volontaire du risque de victimisation, les sociétés de demain se protègeront contre leur plus grand ennemi, qui n’est ni la différence, ni la diversité, mais tout simplement leur propre violence.

Il ne convient donc pas tant de punir plus, d’imposer des lois et des règles mais, au contraire, de laisser la société en tant que corps dynamique, spontané et vivant, sécréter ses usages et ses normes, réguler par elle-même les pulsions individuelles ; l’avenir devrait donc être libéral, où chacun assumerait ses choix et partagerait ses réussites, ses peines et ses échecs. Car la société, loin de l’inertie imposée par les carcans politiques, est une matière vivante à l’image de celles et ceux qui la composent dont nul homme n’a le droit de dire qu’elle est sa chose, qu’il en est le père, ou pis encore, le sauveur.
Gardez-vous, peuples libres, de ceux qui vous offrent une vérité parfaite ; ceux là portent les germes de la dictature.

Nicolas Madelénat di Florio, de la Société d’Histoire Littéraire de la France, est chercheur-associé au Centre de Recherches en Éthique Économique Faculté de droit, Université Paul Cézanne, Aix en Provence.
Article initialement publié sur Audace Institut Afrique sous le titre “Réconciliation: Les monstres d’hier seront les agneaux de demain”

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