vendredi 5 août 2011

« Appel du peuple » : entre la manipulation, le doute et le vaudou.

Appel de quel peuple dans un pays où bruissent des remous sociaux brutalement réprimés à tous les coups par une police et une armée aux réflexes des forces de répression en pays conquis ? Appel de quel peuple dans un pays miné par la pauvreté, le chômage des jeunes, une corruption endémique, où une minorité de privilégiés, essentiellement des commis de l’Etat affichent une insolente opulence ?



Les séances de dédicace dans l’un des hôtels les plus prestigieux de Yaoundé font courir du beau monde. Avec comme maître de cérémonie le Premier ministre, chef du gouvernement himself. C’est aussi l’occasion qui fait courir le gratin du régime. Tous ceux qui veulent être vus ou perçus comme des biyaïstes convaincus. Tout au moins physiquement. Car comme le dit un proverbe, le léopard porte ses taches sur sa peau. Celles de l’homme sont dans son coeur.

Si le cabinet civil de la Présidence de la République au sein duquel officient d’ailleurs de nombreux initiateurs de ces motions de soutien a fini par solliciter une évaluation de la sincérité et de l’impact de ce que les thuriféraires du régime appellent hypocritement mais pompeusement « l’appel du peuple », c’est que même là-bas on se rend compte que la mayonnaise a du mal à prendre. Et pour cause, on ne s’inscrit pas sur les listes électorales au rythme des appels du peuple.
Mais comment confier une telle enquête à la Crtv et à Cameroon Tribune qui sont les relais inconditionnels de cette grosse farce des séides du régime ? A parcourir les cinq tomes de ce qui est en réalité « l’appel du ventre » diffusés jusqu’à présent, on se rend compte que les auteurs et les signataires sont toujours les mêmes. Ils se recrutent dans le cercle fermé des principaux profiteurs de ce régime : ministres et assimilés, directeurs généraux, fonctionnaires de tous les niveaux en quête de promotion, cadres plus ou moins convaincus du Rdpc naturellement, et des opérateurs économiques très souvent en délicatesse avec l’administration fiscale ou à la recherche des marchés publics plus ou moins fictifs.
Les commanditaires de ce sondage auraient mieux fait de le confier à des organes neutres, scientifiquement outillés pour ce faire. Cameroon Tribune et la Crtv peuvent-ils honnêtement remettre en question une campagne que ces deux organes gouvernementaux portent à bout de bras et qu’ils mènent tambour battant depuis son lancement ? Des indices sont là qui indiquent à suffisance que « l’appel du peuple » est un grand bluff au vu de la faiblesse des inscriptions sur les listes électorales malgré la pseudo gratuité de la carte nationale d’identité et l’activisme des cadres du parti au pouvoir sur le terrain. Pourquoi est-ce que ce même peuple qui sollicite à cor et à cri la candidature de Paul Biya à la prochaine élection présidentielle ne se bouscule-t-il pas au portillon d’Elecam ? Tout simplement parce que pierre qui roule n’amasse pas mousse.
C’est peut-être cette apathie de l’électorat camerounais vis-à-vis du fameux scrutin en préparation d’une manière ou d’une autre qui sème le doute au sein du cabinet civil. Et si là-bas on suivait l’enseignement de l’apôtre Paul qui dit : « dans le doute, abstiens-toi ». Encore que tout se passe comme dans un rituel vaudou avec pour seul grand prêtre Paul Biya. Lui seul tient secrète la date du scrutin voire celle de la tenue du congrès du parti attendu depuis...15 ans. Ses soi-disants partisans n’étant en vérité que des apprentis sorciers qui ignorent tout sur son éventuelle candidature.
A propos de sorcellerie, Fanny Pigeaud, journaliste française qui a eu le privilège d’être correspondante de l’Agence France Presse (Afp) à Yaoundé près de cinq années durant, donne un témoignage édifiant dans un livre qui vient de paraître. Elle explique comment une partie de l’élite politique et administrative, se livre à des rites magiques censés les aider à conquérir ou à garder un poste et que beaucoup font partie de sectes ésotériques...
En parcourant l’histoire du Cameroun de ces 50 dernières années, on se rend compte qu’avec Paul Biya le culte de la personnalité a pris des proportions incommensurables. Et dire qu’il est le fait des intellectuels, c’est un véritable scandale. Certes, les intellectuels ont la liberté de soutenir un leader, une cause. Mais sans verser dans le ridicule au point de dire qu’ils sont des « esclaves », des « créatures » de celui en qui ils voient leur champion. En fait de soutien « l’appel du peuple » est une vaste escroquerie morale et intellectuelle dont seul M. Paul Biya est la victime s’il lui accorde le moindre crédit. Il s’englue ainsi dans un système qu’il a mis en place pour s’éterniser au pouvoir.
Voici comment Fanny Pigeaud l’explique dans l’entretien qu’elle a accordé à Emmanuel Gustave Samnick, Dp du quotidien l’Actu au sujet de son livre : « ... je crois que ce sont en grande partie les stratégies déployées par M. Biya pour se maintenir au pouvoir qui ont encouragé le développement de ces pratiques occultes : son fonctionnement arbitraire et souvent incompréhensible, l’impossibilité de se fier à son mérite et à ses compétences pour avoir un poste de responsabilité, ou tout simplement « réunir » semblent obliger les uns et les autres à imaginer d’autres voies et logiques ».
Un mouvement comme celui-là est une véritable insulte pour le Rdpc qui, en réalité est un immense réservoir de ressources humaines capables de relever le défi de l’alternance en son propre sein.
Appel de quel peuple dans un pays où bruissent des remous sociaux brutalement réprimés à tous les coups par une police et une armée aux réflexes des forces de répression en pays conquis ? Appel de quel peuple dans un pays miné par la pauvreté, le chômage des jeunes, une corruption endémique, où une minorité de privilégiés, essentiellement des commis de l’Etat affichent une insolente opulence ? C’est justement cette minorité qui se proclame « peuple » alors qu’en réalité, elle n’en constitue qu’une infime portion.
La vérité au sein de l’opinion publique nationale aujourd’hui est que l’espoir et l’enthousiasme suscités en novembre 1982 à l’avènement de M. Paul Biya au pouvoir ont fait place à une déception et à une désespérance que ne peut atténuer qu’une sortie de scène du « Nomm Ngii », n’en déplaise à ses esclaves et autres créatures qui, du reste, du fond de leurs cœurs, caressent sournoisement le rêve de prendre le trône. Seul leur manque le courage de se positionner en challengers. Et comme tout bon flatteur vit au dépens de celui qui l’écoute, ils continuent sournoisement leur tapage. Toutefois, il y va de l’avenir du Cameroun. Tous ceux qui braillent là ont le leur dernière eux.
Jacques Doo Bell

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