jeudi 15 septembre 2011

Kadhafi : Hier allié, aujourd’hui voyou,


Hier allié, aujourd’hui voyou, ou les intrigues autour de Kadhafi : les cables diplomatiques US wikifuités apportent un éclairage utile
Traduit par Michèle Mialane

La transformation du Président libyen Mouammar Kadhafi de voyou en allié puis en dictateur que selon les besoins du jour l’on bombarde, encense ou met hors jeu au moyen d’une guerre d’agression témoigne des intrigues stratégiques tissées par les USA et leurs alliés. Soutenir et subventionner ou diaboliser et renverser par les armes des États, des gouvernements ou des fractions sociétales relève des opportunités qui s’offrent aux puissances en place. Se servir de régimes répressifs précisément en raison de leur capacité à s’imposer par la force ou les mettre hors-la-loi pour exactement la même raison n’a rien à voir avec des normes telles que liberté, démocratie ou droits humains, qu’on peut à son gré ignorer ou utiliser comme prétexte à sanctions.

« Bien sûr que c’est un salaud- mais c’est notre salaud ». Ce propos souvent cité est prêté au Président Franklin Delano Roosevelt qui l’aurait dit d’Anastasio Somoza Garcia. En 1933, lorsqu’une troupe de guérilleros sous la conduite d’Augusto César Sandino a chassé les Usaméricains du Nicaragua, ceux-ci ont laissé sur place la sinistre Garde nationale, dont Somoza prit le commandement. Il disposait ainsi d’un moyen assuré de réprimer la résistance politique et fit assassiner traîtreusement Sandino en 1934 à Managua à l’issue de négociations de paix. Deux ans plus tard il prenait le pouvoir par un putsch, fondant ainsi la dynastie des dictateurs Somoza.

Le terme très utilisé de « salaud », dont on se sert à dessein et précisément en raison de l’absence de scrupules qu’il évoque pour se laver les mains des agressions impérialistes pourrait s’appliquer à tous les dictateurs latino-américains et autocrates d’autres régions du monde. Prendre pour cibles ces mêmes « salauds » parce qu’ils ont fait précisément ce qu’on leur a demandé et pour quoi on les a armés n’est que la poursuite logique du même principe dans le sens inverse. L’ignorer délibérément, comme les croisés des droits humains le font depuis les conflits dans les Balkans, ne peut être réduit à une courte mémoire de l’Histoire. Il s’agirait plutôt du calcul infatué de personnages profondément bourgeois, dont l’agressivité débridée a trouvé une occasion légitime de se donner libre cours ainsi qu’une utilisation carriériste. C’est le fait de propagateurs zélés de stéréotypes racistes et culturalistes qui déclarent close la question des systèmes politiques et escamotent les luttes sociales.

La manière dont l’establishment politique US traite Kadhafi montre à quelle vitesse un allié apprécié peut se muer en paria persécuté. L’an dernier encore le chef de l’État libyen, soutenu par Washington, était un poste avancé en Afrique du Nord dans le cadre de la « lutte contre le terrorisme ». En milieu de semaine dernière Wikileaks a publié des câbles diplomatiques qui donnent un aperçu de l’étroite collaboration entre politiciens US de haut rang et le dirigeant libyen. Elles ne sauraient offrir plus grand contraste avec le mot d’ordre actuel : pourchasser ce cruel dictateur et le tuer ou mieux : le traduire devant la Cour des vainqueurs de La Haye pour lui faire un procès bidon.

Certes on ne faisait pas entière confiance à Kadhafi sur les moyens employés, mais le but poursuivi ne lui valait que louanges pour sa fiabilité et son efficacité. Le sénateur et ex- candidat républicain à la Maison Blanche, John McCain, a récemment diabolisé Kadhafi, le nommant « l’un des plus sanguinaires dictateurs du monde ». Il y a à peine deux ans il parlait d’un autre ton lors d’une rencontre à Tripoli. En août 2009 les sénateurs/trices John McCain, Lindsey Graham, Susan Collins et Joe Lieberman se sont rendus dans la capitale libyenne pour discuter de questions de sécurité avec Kadhafi et l’un de ses fils, Mouatassim. Selon un câble diplomatique, McCain a affirmé à ses interlocuteurs que les USA étaient prêts à livrer à la Libye tout l’armement nécessaire sous ce rapport. Il a encouragé Mouatassim Kadhafi, alors Conseiller national pour la sécurité, à envisager à long terme une coopération bilatérale en matière de sécurité. Si de petits obstacles venaient à surgir, on les écarterait. McCain a évoqué dans ce cadre l’étroite collaboration militaire entre son pays et la Libye, en particulier la formation d’officiers libyens dans des académies US. (1)

Le câble prête à Liebermann les propos suivants : dix ans plus tôt, on n’aurait pu imaginer qu’un jour on serait à Tripoli pour se voir souhaiter la bienvenue par le fils de Mouammar Kadhafi. La Libye était maintenant un allié de poids dans la « guerre contre le terrorisme » et le sénateur aurait ajouté que parfois des ennemis communs créaient des solides liens d’amitié. Les « ennemis » étaient bien sûr les groupes islamistes qui se concentraient dans l’Est de la Libye. Selon l’ambassade US, le bilan de la rencontre avec les Kadhafi était positif ; les liens entre les deux pays en sortaient renforcés.

Ce même McCain qui aujourd’hui hurle, écumant de rage, que Kadhafi a sur les mains du sang américain, avait alors conseillé au chef d’État libyen de traiter avec discrétion la libération imminente d’Abdelbaset Al Megrahi, alors prisonnier en Écosse, car c’était là une question sensible aux USA. On était là pour renforcer les liens bilatéraux, non pour les empêcher. Certes le bouc émissaire de l’attentat de Lockerbie a été fêté en héros par le gouvernement libyen lors de son retour au bercail, mais à Tripoli McCain souligne que le sang américain versé ne posait problème que dans la mesure où la question des commanditaires de l’attentat était relancée et risquait de recevoir une réponse différente.

Dans les câbles livrés au public par WikiLeaks figure aussi une évaluation de la visite historique à Tripoli, en août 2009, de la Secrétaire d’État aux Affaires étrangères d’alors, Condoleezza Rice. On disait alors que la Libye était un partenaire de poids dans la guerre contre le terrorisme, que la collaboration se déroulait parfaitement, et que la coopération en matière de politique sécuritaire était un pilier des relations bilatérales et servait un intérêt stratégique commun.

En février 2009 l’ambassade US met en avant le succès remporté par le gouvernement Kadhafi contre un réseau opérant dans l’Est du pays qui envoyait des combattants en Algérie et en Irak et projetait des attentats contre des objectifs libyens névralgiques au plan sécuritaire. Cette opération avait permis l’arrestation de plus de 100 personnes. En avril 2009, en amont d’une visite de Mouatassim Kadhafi à Washington il a été question de la formation des officiers libyens et de futures livraisons d’armes. L’ambassade décrivait le fils de Kadhafi comme un personnage influent au sein du gouvernement et le possible successeur de son père. Cette visite offrait une occasion de normaliser les relations. Puisque l’appareil sécuritaire libyen était placé sous le contrôle du visiteur, on demandait son soutien en matière de sécurité et d’engagement militaire. Un câble de mai 2009 contient des détails sur une rencontre consensuelle de plusieurs heures entre Mouammar Kadhafi et le chef d’État-major de l’époque du Commandement Afrique des USA (AFRICOM), le général William Ward.

Assez souvent les câbles diplomatiques font état de « mines d’or » pour les firmes pétrolières et du bâtiment US-américaines ; les avancées de la privatisation et le projet d’une Bourse à Tripoli sont signalés avec bienveillance. À l’inverse, en 2008 et 2009 on exprime des craintes sur la participation des entreprises US aux « milliards à gagner» : Kadhafi ne finirait-il pas par nationaliser l’industrie pétrolière, pour négocier des contrats plus avantageux pour son pays avec les firmes étrangères ?

Une autre cause de méfiance était le rapprochement entre Kadhafi et la Russie, incluant non seulement de gros achats d’armement, mais aussi le projet en commun avec le gouvernement Poutine d’une base navale russe à Bengazi. En octobre 2008 l’ambassade US, de manière cynique, avait intitulé un câble relatif à la visite d’une flottille de guerre russe à Tripoli : « Al-Qadhafi: To Russia, with Love?» Une base navale militaire russe aurait sans doute constitué une assurance-vie pour le régime libyen, ce qui a bien sûr fait sonner le tocsin à l’OTAN.

Sans aucun doute Kadhafi, qui ne faisait pas plus confiance aux USA qu’eux-mêmes à lui, espérait assurer sa sécurité au moyen d’un large éventail de collaborations internationales. Outre ses relations avec divers pays africains, que la Libye soutenait de ses deniers et poussait à coopérer d’autres pays du continent, il avait entretenait aussi des contacts avec les gouvernements d’Amérique latine hostiles à l’impérialisme US et européen.

Mouammar Kadhafi a été dans l’intervalle un allié appréciable pour les Occidentaux dans la « guerre contre le terrorisme », Washington espérait le voir prendre pour lui le contrôle de l’Afrique du Nord dans ce domaine, de même qu’il avait stoppé pour les Européens les flux de réfugiés. Mais les bouleversements survenus dans les pays arabes ont modifié la donne et les USA, comme la plupart des gouvernements européens ont estimé préférable de se débarrasser plus tôt que prévu du facteur potentiel d’insécurité que représentait Kadhafi, de placer la Libye sous protectorat et de continuer à attiser les feux dans cette région .


Note:





Merci à Tlaxcala
Date de parution de l'article original: 29/08/2011


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