Enquête de la Cour Pénale Internationale
A qui profite le crime ?
La Cour Pénale Internationale (CPI) a autorisé une enquête sur les crimes présumés relevant de sa compétence et commis en Côte d’Ivoire lors de la crise postélectorale. Qu’elle décide ou non d’étendre cette enquête à 2002 comme sollicité par la plupart de ceux qui connaissent la situation politique en Côte d’Ivoire, elle se prononcera sur les présumés auteurs.
Le Procureur Ocampo, a indiqué à cet effet, lors de son dernier passage à Abidjan, qu’il s’intéressera à un maximum de six personnes, réservant les autres aux juridictions nationales. Depuis cette annonce, les supputations vont bon train pour connaître ceux qui figureront sur cette liste restreinte. Et sauf à commettre la plus grande injustice du siècle, les observateurs attendent de lui qu’ils s’intéressent au camp du duo Ouattara-Soro, comme il n’a pas l’intention de le faire.
Pourquoi ? Tout simplement parce que c’est cette réponse qui coule de source lorsqu’on se pose la question banale que les grands détectives de la littérature policière, de Sherlock Holmes à Colombo, se posent lorsqu’ils sont à la recherche d’un coupable dans un crime à élucider: à qui profite le crime ? Oui, à qui donc profitent tous ces crimes commis en Côte d’Ivoire depuis plus d’une décennie ? Le Procureur Ocampo ne devrait pas ignorer cette question, dans la mesure où elle lui permet de cerner les motivations profondes de ces crimes et de remonter par voie de conséquence les criminels.
En effet, depuis 1999 à ce jour, les violences que la Côte d’Ivoire a connues sont imputables aux ambitions d’un seul homme : Alassane Ouattara. Elles sont liées à son combat personnel en vue d’accéder au pouvoir et surtout à son refus obstiné de se soumettre à la loi et aux décisions des instances judiciaires de la Côte d’Ivoire.
Des crimes commis pour porter Ouattara au pouvoir
C’est en 1993 qu’il faut retourner pour trouver le fil conducteur des crimes commis en Côte d’Ivoire. Après le décès du Président Félix Houphouët-Boigny, M. Ouattara, alors Premier ministre s’oppose à l’application de la Constitution qui prévoit que le Président de l'Assemblée nationale termine le mandat présidentiel. « Hésitant quoi qu’il en dise, à tenter un coup de force pour s'emparer du pouvoir, il finit par démissionner de son poste le 9 décembre ». Le Président Henri Konan Bédié peut commencer son office présidentiel. Mais une lutte sans merci s’engage alors entre les deux hommes.
Car, en 1999 les choses sérieuses commencent avec le rebondissement du conflit entre les deux. Revenu de Washington où il avait travaillé au Fonds Monétaire International (FMI), M. Ouattara se fait désigner non seulement Président du Rassemblement Des Républicains (RDR), mais en même temps candidat de ce parti aux échéances présidentielles d’octobre 2000. A cette occasion, il présente des pièces d’identité nationale qui vont être par la suite contestées par le régime du Président Bédié, alors Président de la République.
Un mandat d’arrêt est alors délivré contre lui pour "faux et usage de faux documents administratifs". La direction du RDR neutralisée du fait de l’emprisonnement de ses principaux leaders, le RDR et M. Ouattara n’eurent leur salut que dans le coup d’Etat de décembre 1999 qui porta le Général Robert Guéï au pouvoir.
Manifestement, ce coup d’Etat vient mettre fin à une série noire pour M. Ouattara, le sort d’une très mauvaise passe et lui fait reprendre l’initiative. De toute évidence, le coup d’Etat qui a été perpétré lui profite. L’éclat de voix du Président Laurent Gbagbo à l’occasion de la formation du premier gouvernement Guéï prend tout son sens. « C’est un gouvernement RDR. Si c'est un coup d'Etat RDR, qu'on nous le dise », déclare-t-il à propos du putsch. M. Ouattara lui-même avait annoncé les couleurs en déclarant auparavant : « Nous frapperons ce pouvoir au bon momentet il tombera ».
Cependant, de grosses divergences apparaissent entre les partisans de M. Ouattara et le Général Robert Guéï qui refuse de conduire la transition militaire selon les desiderata de M. Ouattara à qui devait échoir le pouvoir. Les partisans de ce dernier se retirent des organes de la transition, y compris le gouvernement. Ce qui n’empêche pas le général Robert Guéï de respecter le calendrier référendaire et électoral. Si M. Ouattara reconnaît plus tard que la Constitution qui est adoptée à la fin du mois de juillet 2000 le vise en son article 35, même s’il ne se sent pas concerné, les observateurs constatent qu’elle l’écarte de la course à la présidence. Ce que la décision d’octobre 2000 de la Cour suprême ne manquera pas de faire pour « nationalité douteuse ».
Dans un tel contexte, le Général Robert Guéï n’eût plus de répit. Les mêmes militaires qui avaient opéré le coup d’Etat de décembre 1999 tentent de le déloger de la tête de la transition. Plusieurs tentatives de coup d’Etat le viseront de juillet à octobre, dont le plus connu est le « complot du cheval blanc » du 18 septembre 2000. Quant à la direction politique du RDR de M. Ouattara, elle demandera le boycott de l’élection présidentielle d’octobre 2000.
Mais le Général Guéï Robert, candidat, sentant sa défaite après les premiers décomptes de la Commission Nationale Electorale, se précipita pour dissoudre la Commission Nationale Electorale et se faire proclamer vainqueur de l’élection présidentielle. Une crise électorale s’ensuit puisque, à l’appel de Laurent Gbagbo, ses partisans descendent dans les rues pour arracher sa victoire.
C’est le moment que choisit le RDR qui qualifie d’ « illégitime » cette élection, pour réclamer un nouveau scrutin avec la participation de tous les candidats ». Monsieur Ouattara demande à ses partisans de prendre la rue, sous le prétexte que le pouvoir y était et qu’il fallait le chercher. C’est dans cette explosion de violences que M. Ouattara annonce lui-même la découverte d’un charnier.
Le rejet de la candidature de M. Ouattara le 1er décembre 2000 par la Cour suprême à l’occasion des législatives est encore l’occasion d’une nouvelle explosion de violences. Tout en se retirant du scrutin, le RDR appelle ses partisans à des manifestations dont la violence conduit le Président Laurent Gbagbo à décréter l’état d’urgence et à imposer un couvre-feu le 4 décembre.
A défaut de créer une situation insurrectionnelle lors de ces manifestations électorales pour prendre le pouvoir, M. Ouattara et ses hommes vont s’engager dans d’autres voies. En janvier 2001, une tentative de coup d’Etat est éventrée et connue sous l’appellation de « complot de la Mercédès noire ». En septembre 2002, une autre tentative échoue et se mue en rébellion. L’objectif poursuivi et reconnu par plusieurs acteurs de la rébellion est de porter M. Ouattara au pouvoir.
A partir de ce moment, avec un pays coupé en deux, les accords que cette situation impose (Linas-Marcoussis, Accra, Pretoria, Ouagadougou), auront pour objectif de satisfaire les revendications de la coalition RDR-Rébellion. Elle obtient non seulement un poste de Premier ministre et un quota automatique des postes ministériels dans le gouvernement, mais aussi des réformes législatives et constitutionnelles, particulièrement l’assouplissement des conditions d’acquisition de la nationalité, et des conditions d’accès au foncier rural et surtout l’éligibilité de M. Ouattara à l’élection présidentielle. En réalité, il s’agit de revenir sur les modifications législatives et constitutionnelles qualifiées d’« ivoiritaires » qui avaient été introduites par le Président Henri Konan Bédié lors de son mandat présidentiel.
De telles évolutions n’ont eu d’autre but que de préparer en fait l’estocade. Car, pendant que le Président Laurent Gbagbo faisait toutes ces concessions, la coalition RDR-Rébellion qui préparait une fraude gigantesque sur la liste électorale et le jour du scrutin n’a pas satisfait la seule exigence qui lui avait été demandée, à savoir le désarmement.
Et le plan qui avait été longtemps mûri fut appliqué. En dépit d’une décision du Conseil constitutionnel proclamant le Président Laurent Gbagbo vainqueur de l’élection présidentielle, M. Ouattara la contesta encore une fois et engagea, avec l’appui des forces militaires françaises et onusiennes, une guerre contre le régime qui réussit à l’imposer à la tête de la Côte d’Ivoire.
Ainsi qu’il est loisible de le constater à travers cette genèse, les violences que la Côte d‘Ivoire a connues depuis une décennie, notamment à partir de septembre 2002 ainsi que les crimes dont la CPI recherche les auteurs ont été commis pendant les manifestations qui visaient à installer coûte que coûte M. Ouattara au pouvoir.
Peut-on mener une enquête impartiale sans chercher à tourner le regard vers son côté ? N’est ce pas parce que c’est à lui qu’ont profité tous ces crimes qu’il peut être le premier à avoir intérêt à les voir commettre ?
Ouattara récompense les auteurs des crimes
C’est en effet parce que c’est à lui que profitent tous ces crimes qui ont été commis qu’il faut donner du crédit aux déclarations des chefs rebelles qui ont avoué avoir pris les armes pour qu’il soit candidat et avoir reçu des vivres et subsides de M. Ouattara au cours de leur exil - formation.
C’est aussi ce qui peut expliquer les nominations scandaleuses qu’un Etat normal n’aurait jamais accepté. En effet, tous les chefs militaires de la rébellion ont connu une promotion sous M. Ouattara, certainement pour les récompenser d’avoir mené le bon combat qui l’a conduit au pouvoir.
C’est encore ce qui peut expliquer que les cadres civils de la rébellion aient bénéficié de maroquins au Gouvernement et qu’ils s’apprêtent à bénéficier de postes de députés taillés sur mesure sous la bannière du RDR, le parti dont M. Ouattara est le Président.
En définitive, quand on a été aussi froid dans la mise en œuvre d’un plan aussi machiavélique, en agissant avec autant de constance dans la contestation de la loi, de l’ordre établi et des autorités judiciaires, on ne peut que conclure à la responsabilité de M . Ouattara. « Élémentaire, mon cher Watson !» aurait pu paraphraser M. Ocampo si tant est que son intention est de découvrir les auteurs des crimes commis en Côte d’Ivoire.
Gbagbo une posture de légitime défense et un devoir de défense de l’intégrité territoriale
De surcroît, ce sont les troupes du duo Ouattara-Soro qui ont toujours attaqué. Les crimes de guerre et contre l’humanité ainsi que le génocide commis à l’occasion de ces attaques l’ont été dans le cadre d’une politique bien pensée, planifiée, organisée et mise en œuvre de façon méthodique, relevée bien souvent par les rapports d’enquête et sont imputables aux troupes du duo-Soro- Ouattara.
Le Président Laurent Gbagbo et les forces de défense et de sécurité n’ont été qu’en situation de légitime défense. L’article 8 paragraphe 3 du Statut de Rome instituant la Cour Pénale Internationale, leur reconnaît d’ailleurs des droits en la matière, en précisant, à l’occasion de la définition des crimes, que rien « n’affecte la responsabilité d’un gouvernement de maintenir ou rétablir l’ordre public dans l’Etat ou de défendre l’unité et l’intégrité territoriale de l’Etat par tous les moyens légitimes ». Ajoutons aussi que selon l’article 31 du Statut de Rome, « une personne n’est pas responsable pénalement si, au moment du comportement en cause … elle a agi raisonnablement pour se défendre, pour défendre autrui ou, dans le cas des crimes de guerre, pour défendre des biens essentiels à sa survie ou à celle d’autrui ou essentiels à l’accomplissement d’une mission militaire, contre un recours imminent et illicite à la force, d’une manière proportionnée à l’ampleur du danger qu’elle courait ou que couraient l’autre personne ou les biens protégés ».
On se retrouve ainsi dans une situation à la ubuesque et cocasse et qui explique son caractère dramatique : M. Ouattara et ses troupes commettent des crimes passibles de la CPI pour assouvir une soif de pouvoir. Plutôt que de chercher à les traduire devant la juridiction sensée rendre justice, c’est ceux qui ont défendu bec et ongle leur Etat et ses institutions comme le Statut de Rome leur en donne le droit qui courent le risque d’être transférés pour répondre on ne sait de quels actes ?
Il s’agit manifestement d’une situation injuste dont le caractère scandaleux n’échappe à personne. Qui peut prévoir les conséquences d’une telle injustice sur les ivoiriens et les réactions qu’elle peut susciter dans un contexte déjà explosif de gestion de pouvoir par un régime ethno-génocidaire qui s’empare de tous les leviers de l’Etat tout en privant la majorité de la population de tous les droits au travail, à la propriété, à la sécurité et à la vie? Est-ce vraiment la loi du plus fort que l’on veut instaurer dans ce pays? Dans cette hypothèse, aucun pouvoir, aucune domination n’étant éternels comme nous l’enseigne l’histoire des peuples, les dirigeants actuels sont-ils entrain de donner les recettes pour leur traitement lors de l’inéluctable alternance ?
Assurément, il y a péril en la demeure. Car aucune parade ne semble s’opposer à la multiplication des ingrédients d’une explosion sociale en Côte d’Ivoire. La réconciliation nationale a du plomb dans l’aile parce que l’un des acteurs incontournables de la crise en est écarté. Des élections législatives non inclusives et non transparentes vont mettre en place un parlement monocolore. La justice des vainqueurs qui a cours au plan national semble étendre ses tentacules au plan international.
Kouakou Edmond
Docteur en droit, Consultant
Rapport de la Commission d’enquête internationale mise en place par l’ONU, 25 mai 2004.
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