vendredi 28 octobre 2011

Insécurité généralisée à l’Ouest : Tueries, persécutions, racket et viols font rage

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Les exécutions sommaires auxquelles s’adonnaient les Frci ont cédé la place à Guiglo à des tueries secrètes perpétrées sur les populations civiles par les forces pro-Ouattara. Ce sombre tableau s’allonge avec le racket à outrance et la vente illicite d’espaces au sein des forêts classées. A cela s’ajoute l’occupation illégale des terres des autochtones Guéré par des allogènes sur fond de conflits fonciers.

Guiglo ou Guinglo, « le village de la raison » en langue locale Guéré (localité située à 516 km d’Abidjan dans l’extrême Ouest du pays) n’est plus la capitale de la région du moyen-Cavally et de la quiétude qu’on connaissait avant la guerre postélectorale. Depuis que les forces pro-Ouattara y ont pris pied, le mercredi 31 mars dernier, la paix a foutu le camp. C’est la psychose et la peur au quotidien. Il n’y avait pas eu d’affrontements entre les Frci et les Fds (l’armée régulière d’alors). Etant entendu que les Fds ont abandonné Guiglo dès le 28 mars 2011 après la chute de Duékoué, ville voisine, victime d’une épuration ethnique menée par les forces pro-Ouattara.

Sacrifice humain pour entrer à Guiglo

Contrairement à Duékoué où les Fds ont résisté avant de plier l’échine, il n’y a pas eu de résistance à Guiglo, chef-lieu de la région du moyen-Cavally. Les forces pro-Ouattara se sont emparées de la ville sans avoir livré le moindre combat, le mercredi 31 mars 2011 à 8 h. Le manque d’affrontements avec les soldats de l’armée régulière et les groupes d’auto-défense des jeunes autochtones a-t-elle favorisé la limitation des tueries au sein des populations civiles dans la ville ? « A Guiglo, la population avait déjà quitté la ville, le lundi 28 mars 2011 », soutient M. Banhi rencontré à Guiglo. Quoique désertée, la ville de Guiglo n’a curieusement pas été vite prise par les Frci. Du côté des forces pro-Ouattara et des populations interrogées, on attribue cela au mysticisme. « On devrait entrer à Guiglo un peu plutôt après la chute de Duékoué et de Bloléquin, mais il se trouvait que la ville était entourée d’eau de tout côté. On ne savait pas par où entrer », révèle un soldat Frci. Des autochtones interrogés apportent de l’eau à son moulin. En évoquant un sacrifice humain qui aurait été accompli, permettant ainsi aux forces pro-Ouattara d’entrer dans la ville. « Un des nôtres qui s’est autoproclamé chef de terres a offert un bébé au fleuve N’Zo en guise de sacrifice pour ouvrir les portes de Guiglo aux Frci », affirme un habitant de Guiglo. Cette histoire continue d’être relayée dans la ville. Pour certains habitants interrogés, il s’agit d’une violation rituelle qu’ils qualifient de « Zagloman », signifiant littéralement violation du totem ancestrale du village de Guiglo. L’une des conséquences, c’est que Guiglo a été mise à sac dès le départ des Fds de la ville.

Les causes des exactions varient

Des témoignages concordants imputent le pillage du marché de Guiglo à certains jeunes des groupes d’auto-défense en place depuis 2002. Même désarmés dans le cadre de l’accord de paix de Ouagadougou, certains de ces jeunes sont restés dans la région dont ils sont d’ailleurs originaires. La rébellion armée des forces nouvelles pro-Ouattara les considéraient comme des ennemis. Puisque les soldats de la rébellion armée, leur branche politique et leurs parrains les qualifiaient de miliciens combattant aux côtés des Fds. Du coup, c’est toute la jeunesse Guéré qui a été prise pour cible par les Frci. « Pendant les heures chaudes, 26 jeunes ont été exécutés sommairement en une seule journée dans le village de Pinhou. C’est pareil dans le village de Zouan où il y a eu de nombreux tués », témoigne un enseignant à la retraite, rescapé des barbaries.

L’homme explique que les exactions des forces pro-Ouattara dans les villages sont fonction de relation de bon ou mauvais voisinage entre les communautés allogènes, principalement les ressortissants Burkinabé, et leurs tuteurs, les autochtones Guéré. « Quand ils arrivent dans un village où ils y a des allogènes burkinabés, ils s’entretiennent d’abord avec eux pour leur demander s’ils s’entendent bien avec les Guéré. Si ce n’est pas le cas, les Guéré sont tués ou violentés », raconte un habitant. Ce récit colle bien avec la réalité du terrain parce qu’il n’y a eu aucune exaction dans le canton Blao où les allogènes burkinabés ont produit un bon rapport de voisinage avec leurs tuteurs.

Contrairement au témoignage relatif au canton Zaké dont fait partie le village de Zouan. Cette triste réalité ne concerne pas uniquement les deux cantons centraux de Guiglo. Sur l’axe Guiglo-Taï, les cantons gnéo et fléo ont vécu le
même sort. « Ici, ce ne sont pas les appartenances politiques qui déterminent les agissements des Frci. C’est plutôt le foncier rural et les problèmes de terres. Parce que quand les Frci sont arrivées à Djidoubaye et à Paris Léonard,
elles ont tenu des réunions avec les allogènes burkinabés. Un Guéré est allé à la rencontre des Frci et leur a présenté sa carte de militant Rdr. Ils lui ont jeté la carte au visage en lui disant : “on n’est pas venu pour ça. On est venu
pour la forêt”, rapporte un autre enseignant refugié dans le village de paris Leonard au moment des faits.

Crimes crapuleux, persécutions, racket et viols

Prenant prétexte de ce que les « jeunes Guéré ont cassé le marché des dioulas », les forces pro-Ouattara n’ont épargné aucun bien des autochtones sur leur passage dès leur entrée à Guiglo. « Ils se sont attaqués aux Guéré quand ils sont arrivés parce que convaincus que ce sont les Guéré qui ont cassé le marché. Ils ont éventré toutes les maisons appartenant aux Guéré en représailles, emportant tous les biens », rapporte autochtone rescapé. Tout en
récusant ces accusations, un soldat des Frci soutient : “Guiglo était désert, toute la population était en fuite en brousse ou au Libéria. Du coup, le retour des habitants de la ville s’imposait. C’est ainsi que le sergent Sylla (des Frci) a lancé un message de paix sur les antennes de la radio locale, invitant les gens à revenir sur leurs bases”. Appel entendu ou pas, toujours est-il que la plupart des habitants de la cité ont regagné leurs maisons pillées.

Aujourd’hui, la situation que vivent les populations retournées ramène à la logique de ce sadique qui affirmait : “je vous laisserai en vie mais vous regretterez de ne pas être mort”. Tant l’insécurité créée par les Frci à Guiglo et ses environs est intenable. Cette insécurité à grande échelle dans laquelle baigne la localité depuis que les Frci y ont pris les pieds se caractérise par des crimes crapuleux, des viols de femmes, des braquages (attaques à mains armées), des expropriations de terres et des ventes illicites de forêts classées. A Guiglo, on ne sait plus à quel saint se vouer. “Tant que le gouvernement ne les paie pas, les rackets qui ont les allures de braquages et les tueries vont continuer.

Le transport Guiglo-Taï qui coûtait 6 000 fcfa avant la guerre post-électorale est passé aujourd’hui à 20. 000 fcfa à cause du racket. Les populations ne se déplacent pratiquement plus. Les marchandises ont triplé de prix au niveau du vivrier et des produits de grande consommation”, précise un habitant de la ville. Les tueries silencieuses, ce sont celles que les Frci refusent d’assumer dans le pays Wê. Pour ne pas ternir davantage leur image jugée détestable. En la matière, les évènements les plus douloureux, sanglants et spectaculaires, restent ceux de Ziriglo (Taï), des 16 et 17 septembre 2011, ayant fait 23 morts et des villages incendiés. Les victimes et les populations locales avaient formellement accusé les Frci d’être à l’origine des massacres des planteurs de Cacao et leurs familles. Ces victimes payaient ainsi, selon ces accusations, le lourd tribut de l’arrêt du paiement des 500. 000 fcfa de rançon imposé mensuellement à chaque village producteur de cacao. Il y a aussi les massacres de Sioblo-Oula (Tai) qui avaient fait 11 morts en 2 mois. Que dire des attaques armées qui surviennent un peu partout dans des campements. Dans un campement du village de Katty (commune de Guiglo), un paysan a eu moins de chance lorsqu’il a été attaqué avec sa famille. Puisqu’il est assassiné par les hommes en treillis qui ont emporté ses biens. A Guiglo, les persécutions des populations sont monnaie courante. Des jeunes sont enlevés de jour comme de nuit et passés à tabac par les bandes armées pro-Ouattara, en toute quiétude. “C’est quand le commandant Moses est absent de la ville que ses
hommes multiplient les atrocités à l’endroit des populations. Ils profitent de son absence. Sinon, Moses lui-même est correct avec la population”, témoigne un agent municipal de Guiglo bien introduit auprès des Frci. Vrai ou faux ? Les absences momentanées de Moses de Guiglo sont source de désastre au sein des habitants de la ville. C’est le cas des attaques ciblées contre plusieurs jeunes déportés derrière le fleuve N’Zo puis torturés. C’était au milieu du mois de septembre dernier. Certains d’entre eux étaient sur le point d’être exécutés quand la direction locale des Frci a été alertée. Parmi les infortunés accusés d’être « patriotes de Gbagbo » figuraient le président des jeunes du quartier port-Bouët de Guiglo. Les éléments des Frci qui sèment la terreur sont diversifiés. Puisque leur branche composée de chasseurs traditionnels malinké communément appelés dozos excellent dans la terreur. Pour accabler leurs victimes, les Frci-dozos fabriquent toujours des motifs. “Le 11 septembre dernier, les dozos ont fait croire que je vends de la drogue. Je leur ai dit que c’est archifaux. Ils se sont introduits chez moi à 14 h30mn ce même jour-là, m’ont pris manu militari pour me déposer dans le camp des Frci où j’ai passé deux jours. Sans preuve, ils m’ont libéré après avoir pris 60.000 fcfa à mon grand- frère sur les 100 000 fcfa exigés au départ », raconte un dénommé Traoré vivant dans le quartier Balou. Un quartier qui est toujours le théâtre de violences de toutes sortes. Le mercredi 21 septembre dernier, sous la fallacieux prétexte d’une opération de patrouille, les dozos envahissent le quartier Balou peu après 20 h. Toute cette nuit, des braquages surviennent dans le quartier.

Des vols à mains armée sont enregistrés pêle-mêle. Une vieille dame est dépossédée de la somme de 1 million fcfa, une autre femme est violée et une maison est pillée. D’autres viols de femmes sont signalés peu avant la nuit “punitive” en question. “On vit ici comme des chauves-souris, s’il fait jour, on dit Dieu merci. Personne n’est à l’abri pendant la nuit dans sa maison”, témoigne un habitant quartier. “Le vendredi 9 septembre dernier, les dozos sont
entrés dans ma maison. Ils ont dit si je n’ouvre pas, ils vont tirer. Ils m’ont pris 7 000 fcfa. Ils reprochaient à ma copine et moi de parler dans la maison pendant leur couvre-feu”, soutient un habitant. L’insécurité à grande échelle
orchestrée par les Frci frappe tout le monde. Mêmes les policiers et les gendarmes revenus dans leurs unités sans arme ne sont pas épargnés. Ce qui les oblige à prendre leur clic et leur claque à la tombée de la nuit pour rentrer chez eux. Le cas d’insécurité le plus patent qui s’est produit à leur endroit, reste celui du village de Mona (Guiglo-commune) où 8 éléments des Frci armés ont battu à sang deux policiers alors que ces derniers étaient en service commandé. Que dire des piétons qui bien souvent sont braqués. Les derniers cas en date se sont produits sur l’axe Guiglo peace town (Zaaglo) en ce début d’octobre.

Expropriation de terres et vente illicite de forêts classées

Il y a 3 forêts classées dans la région du moyen Cavally. Le Goin Débé (88.000 hectares), la forêt classée de TaÏ qui est un patrimoine mondial et la forêt classée du Scio. Depuis toujours, des fossoyeurs s’introduisaient dans ces différentes?forêts. Contrairementaux autochtones peu entreprenant sur cet aspect, les allogènes se taillent la part du lion dans la déforestation. Ce qui a toujours fait penser que les autochtones Guérés sont paresseux, alors qu’ils sont visiblement soucieux du respect de la loi interdisant les cultures de tout genre dans les forêts protégées. L’exploitation illicite des forêts classées s’est accrue depuis l’avènement des Frci. “Les forêts classées sont actuellement sauvagement dévastées. Dans quelques mois, il n’y aura plus rien. Surtout au niveau du Goin Débé où les autochtones burkinabés entrent massivement, suivis des Baoulés, Gouro et Guéré pour la culture du cacao ou de riz”, s’alarme un chef de village interrogé. Pour lui, c’est la grave défaillance de l’Etat ivoirien, en ce moment, qui explique cet état de fait. “La Sodefor qui surveillait ces forêts classées avant la guerre postélectorale ne le fait plus. Parce que ceux qui sont désormais dans ces forêts sont tous armés de fusils. Les Frci font entrer les autochtones burkinabés dans les forêts classées sous le prétexte que c’est pour faire la sécurité des gens qui y vivent. Mais ceux-ci versent par personne 25.000 fcfa aux Frci avant d’entrer dans cette forêt vierge”, explique le chef de village. D’autres personnes influentes dans la région expliquent que ce n’est pas uniquement dans le Goin Débé qu’il y a des
bandes armées. “La Sodefor reconnait que des bandes armées sont aussi présentes dans le Scio. Et que c’est de là qu’elles se déportent dans le Goin Débé”, révèlent nos sources. Tout en précisant que “ces bandes armées sont constituées d’individus qui ont participé à la guerre aux côtés des Frci dans la zone de Zou à Bangolo. Il s’agit notamment des hommes d’Amadé Ouérémi du mont Péko. C’est une façon de les récompenser après avoir fait la guerre.

Ils paient aussi 25 000 fcfa aux Frci avant d’entrer dans les forêts classées”. Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette situation dépeinte préoccupe au plus haut point les organisations internationales protégeant la nature et l’environnement. C’est le cas de l’Ong W.C.F, une Ong française qui s’occupe des chimpanzés et du reboisement dans les forêts classées. “L’Ong a convoqué une réunion d’urgence le 25 Août dernier en associant la Sodefor. L’objet de cette réunion portait sur le déguerpissement dans les forêts classées. En conclusion, tout le monde était unanime. Il faut faire sortir les gens des forêts classées. Une autre réunion de même type est prévue en fin octobre 2011”, précise un habitant de la région. Les populations dans leurs diversités craignent pour leur vie à cause des bandes armées logées dans les forêts classées.

Félix Teha Dessrait

Source: Notre voie

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