CPI, Gbagbo : le temps d’un jugement
Publié par Jean-David K. N'da pour Pensées Noires
Une contribution de Jean-David K. N’da
La première apparition d’un Laurent Gbagbo visiblement éreinté mais déterminé à jouer son va-tout juridique a clairement requinqué tous ses partisans. Depuis le 5 décembre, la ferveur militante s’est re-emparée de ses rangs, laissant entendre une pléthore de « ça va aller ! » et de « hauts les cœurs ! » qui en disent long sur la joie de tout ce beau monde à revoir son “président”.
Précision utile : ça va peut-être aller mais ça ira surtout… lentement. Outre sa fornication procédurale et sa partialité, une chose que la CPI réussit parfaitement, c’est prendre son temps. Les cinq personnes qu’elle détenait jusqu’alors – Thomas Lubanga (RDC), Germain Katanga (RDC), Mathieu Ngudjolo (RDC), Jean-Pierre Bemba (RDC) et Callixthe Mbarushimana (Rwanda) – avant d’y rajouter son premier chef d’Etat, n’ont aucune idée du temps qu’elles passeront encore à Scheveningen. Laurent Gbagbo, pour sa part, est censé comparaitre devant la Chambre de Première Instance dans six mois, afin d’être formellement inculpé. Non, il n’y aura pas six heures d’échanges entre défense et accusation, illico, car à la CPI, personne n’est jamais pressé : il n’y a que des responsables politiques africains à juger ; ils peuvent donc patienter.
Cette patience, pour Gbagbo, commencera réellement après l’audience de confirmation des charges, qui n’est même pas garantie de se tenir effectivement le 18 juin 2012. Dans le cas Bemba, par exemple, l’audience a été reportée à deux reprises, à la demande de la CPI et du tristement célèbre Ocampo, pour des causes aussi farfelues qu’un “empêchement familial”. Bemba, arrêté en mai 2008 à Bruxelles et transféré en juillet 2008 à La Haye, a dû, ensuite, attendre que la procédure lassante se mette en place, débouchant sur une ouverture effective de son procès en novembre 2010, soit plus de deux années après son transfert…
La machine est donc particulièrement lourde. Au fil des mois d’enquêtes et de “constitution de dossiers”, le séjour à La Haye devient, très rapidement, une véritable affectation. Charles Taylor – qui comparait devant le Tribunal Spécial pour la Sierra Léone et non devant la CPI, même s’il y est “logé” – de même que tous les autres inculpés, sont encouragés à recevoir les visites de leurs proches, justement parce que le système vise à préparer ses hôtes au marathon de leur jugement. Gbagbo, aux dires de son avocat Emmanuel Altit, espère obtenir une liberté provisoire qui pourrait lui éviter six mois de “patience” : vu son dossier, il a plus de chances d’être invité à reprendre les promenades qui lui manquent tant dans les jardins de la prison ; ou à re-exercer son dos de 66 ans ; ou à suivre, sur Eurosport, les matchs de Novak Djokovic (la nouvelle coqueluche de son sport favori, le tennis) ; ou encore à lire, pourquoi pas, Fabien D’Almeida …correctement politique sur Pensées Noires (si, par chance, l’accès Internet lui est accordé). Une chose qui est sure, c’est que la CPI lui offre, gratuitement, tout le temps requis…
Et c’est chose voulue. Toute cette lenteur consiste à garantir que le nègre inculpé perd toute légitimité politique dans son pays d’origine et que son remplaçant, “certifié” par l’Occident, développe sa version de démocratie à lui. C’est que la CPI est beaucoup plus un instrument de mise à l’écart politique qu’une instance de jugement. Ahoua Don Mello, en dévoilant, il y a quelques jours, la supercherie du découpage électoral relatif aux prochaines législatives, a bien compris que la précipitation du transfert de Gbagbo à La Haye escomptait les effets suivants : ulcérer le CNRD – la coalition de tous les partis pro-Gbagbo –, l’amener à se retirer du scrutin électoral et remplir le Parlement de députés RDR et PDCI, acquis au ouattarisme et à toutes ses inepties. Et c’est ce qui s’est passé. Avec le retrait supplémentaire des “petits” partis membres du CNRD, il ne reste plus que LIDER et ses douze candidats pour s’opposer au RHDP. Chose précieuse, certes, pour le jeune mouvement politique ; mais chose anecdotique au sein d’une Assemblée déjà prête à valider, à la commande, tous les farces présidentielles.
Les analyses qui voient donc, en l’épisode CPI, la preuve d’une erreur magistrale du camp Ouattara, souffrent de superficialité. C’est vrai que Gbagbo pourra, enfin, devant les caméras du monde, dire sa part de vérité. Mais il ne faut pas rêver : il lui sera opposé un bombardement médiatique pré et post-audience, nourri d’un révisionnisme terrifiant. En fait, les yeux du monde, surtout ceux de l’Occident, ne verront la machination que par à-coups. Par contre, l’empoisonnement des médias mainstream leur sera servi quotidiennement, comme c’est déjà le cas avec Africa 24, chaine pseudo-africaine, qui montre Laurent Gbagbo se plaindre de ses conditions de détention à Korhogo, en faisant l’impasse sur le point focal de sa première comparution : le rôle direct joué par les fameux trois cents légionnaires français dans sa capture, vérité sue de tous mais falsifiée depuis le 11 avril par l’Elysée.
Le “traquenard ouattariste” se resserre donc avec la puissance suffocante d’un boa constrictor, dont le but est d’étouffer l’opposition jusqu’à ce que mort s’ensuive. Le tout, pendant que se déploie, tranquillement, le règne de la terreur, avec une ou deux couches de bitume, ci et là, pour calmer les esprits. La paix au prix de la peur (et du goudron), comme on l’a déjà dit…
Que fera donc le FPI pendant ce temps ? D’ici à juin 2012, quelles seront ses actions, pendant que Gbagbo et ses avocats préparent leur argumentation ? Ces juristes expliqueront-ils, enfin, au public, que cette procédure, qui ira probablement d’appels en appels, sera une épreuve de longue haleine, étendue sur trois, cinq voire dix ans ? Les conseillers politiques de Laurent Gbagbo, qui palabrent les caméras et les colonnes de journaux, continueront-ils d’encenser ses sympathisants en donnant l’impression d’une victoire déjà acquise (chose plus qu’incertaine), à cause de la fébrilité des chefs d’accusation ? Les “patriotes” de Côte d’Ivoire et d’ailleurs, réussiront-ils à mener leurs actions de protestation de façon organisée et planifiée, en anticipation d’une course de fond ? Les intellectuels, journalistes et critiques africains, prétendument “engagés”, éplucheront-ils les vrais enjeux à leurs lecteurs, auditeurs et téléspectateurs, au lieu de consolider leurs fan-clubs, par voie de rhétoriques populistes et de récitations ?
Les réponses à ces questions sont déterminantes pour l’avenir politique de Laurent Gbagbo et de son camp. Si le temps est un autre nom de Dieu (comme l’homme se plait souvent à le dire), ce temps-là, puisque souverain, est généralement très patient. On l’a déjà montré, il n’annexera pas Laurent Gbagbo du cœur de ses partisans. Mais il l’a déjà annexé, au moins temporairement, de l’action politique à Abidjan. C’est pleinement conscient de ce fait que Gbagbo, dès sa première déclaration, a fait allusion à sa présidence à l’imparfait*. Il l’a fait, en évaluant le challenge qui se présente à La Haye : un challenge qui prendra son temps.
* Laurent Gbagbo à la CPI, le 5 décembre 2011 : « C’est l’armée française qui a fait le travail, et elle nous a remis aux forces d’Alassane Ouattara, qui n’étaient pas encore les forces régulières de la Côte d’Ivoire, parce que les forces régulières travaillaient avec moi. »
Approfondir le sujet CPI et réconciliation en lisant également “CPI : l’occasion d’humilité” et nos autres contributions.
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