L’art politique de l’Occident, est d’avoir réussi pendant des siècles à transformer son esclave, l’homme noir en l’occurrence, en allié sûr de la perpétuation de son esclavage. Cet état d’esprit des esclaves a été bien perçue par Jean-Jacques Rousseau dans son Contrat social. «Les esclaves, disait-il, perdent tout dans leurs fers, jusqu’au désir d’en sortir; ils aiment leur servitude comme ses compagnons d’Ulysse aimaient leur abrutissement.» (Livre I, Chapitre II) L’on peut d’un point de vue superficiel dire en ce 21ème siècle que la majorité des peuples africains sont libres et non esclaves de l’Occident. Sur ce fondement, l’on peut juger d’anachronique tout discours qualifiant d’esclavage au service de l’Occident la situation de la plupart des peuples d’Afrique. Mais en réalité, dire dans ce siècle que la plupart des peuples d’Afrique sont libres vis-à-vis de l’Occident c’est ignorer les formes sublimées de l’esclavage à travers les siècles. Ces formes sublimées de l’esclavage ne peuvent que fasciner les regards superficiels et enjoliver une réalité qui fondamentalement reste révoltante et répugnante de par sa cruauté et sa laideur.
Le colonialisme, l’impérialisme et le néocolonialisme ne sont que différentes représentations de l’unique posture esclavagiste de l’Occident dressé contre l’Afrique, et bénéficiant de complicités internes de la part d’africains traîtres, vénaux et indignes. La servitude volontaire est la marque de ces africains. Cette marque se fait bien remarquer dans toutes les classes sociales. Il n’est donc pas surprenant de voir des chefs d’États africains, transformés en véritables marionnettes de l’Occident, faire la promotion de la servitude volontaire du continent. Par la lâcheté de ces derniers, encore plusieurs générations d’africains subiront la tragédie de l’esclavage sublimé et de la servitude volontaire qui servent bien les intérêts occidentaux. Car, comme le disait J-J Rousseau, «La force a fait les premiers esclaves, leur lâcheté les a perpétués» (idem).
Qu’est-ce que la servitude volontaire? Dans son Discours sur la servitude volontaire La Boétie nous en donne une description,on ne peut plus, éloquente et tragique: «Pauvres et insensés, nations opiniâtres en votre mal et aveugles en votre bien, vous vous laissez emporter devant vous le plus beau et le plus clair de votre revenu, piller vos champs, voler vos maisons et les dépouiller des meubles anciens et paternel! Vous vivez de sorte que vous ne vous pouvez vanter que rien soit à vous; et semblerait que meshui (maintenant) ce vous serait grand heur (bonheur) de tenir à ferme vos biens, vos familles et vos vies; et tout ce dégât, ce malheur, cette ruine, vous vient, non pas des ennemis, mais certes oui bien de l’ennemi, et de celui que vous faites si grand qu’il est, et pour lequel vous allez si courageusement à la guerre, pour la grandeur duquel vous ne refusez point de présenter à la mort vos personnes. Celui qui vous maîtrise tant n’a que deux yeux, n’a que deux mains, n’a qu’un corps, et n’a autre chose que ce qu’a le moindre homme du grand et infini nombre de nos villes, sinon que l’avantage que vous lui faite pour vous détruire. D’où a-t-il pris tant d’yeux, dont il vous épie, si vous ne les lui baillez? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne les prend de vous? Les pieds dont il foule vos cités, d’où les a-t-il, s’ils ne sont des vôtres? Comment a-t-il aucun pouvoir sur vous, que par vous? Comment vous oserait-il courir sus, s’il n’avait intelligence avec vous? Que vous pourrait-il faire, si vous n’étiez receleurs du larron qui vous pille, complices du meurtrier qui vous tue et traîtres de vous-même? (…) Vous vous affaiblissez, afin de le rendre plus fort et roide à vous tenir plus courte la bride; et de tant d’indignité, que les bêtes mêmes ou ne les sentiraient point, ou ne l’endureraient point, vous pouvez vous en délivrer, si vous l’essayez, non pas de vous en délivrer, mais seulement de le vouloir faire. Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libre. Je ne veux pas que vous le poussiez ou l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé sa base, de son poids même fondre en bas et se rompre.» (Discours de la servitude volontaire, édition Flammarion, 1983, pp 138-139).
Dès lors, l’Occident, en véritable Léviathan, veille à ce que la servitude volontaire, qui sert ses intérêts économiques et sociopolitiques, soit la marque des leaders politiques et des dirigeants africains. Par conséquent, tous les rebelles à la servitude volontaire doivent y être contraints par tous les moyens. Dans cette logique, et par la volonté du Léviathan, l’Afrique est devenu le champ de prédilection des rébellions armées, des coups d’État armés et des coups d’États électoraux. Dans cette logique, et par la volonté du Léviathan, les pluies de bombes ont arrosé la Libye pour faire taire à jamais Kadhafi par la mort brutale, avec le silence complice des dirigeants africains. Le mot d’ordre effectif est : «Peu importe où, quand et comment le rebelle à la servitude volontaire doit payer.» Ce mot d’ordre effectif du Léviathan a fait de la justice la continuation de la guerre par d’autres moyens. Alors Gbagbo, le rebelle, selon le décret du coq gaulois, reste encore débout sur le champ de bataille de La Haye, à la Cour pénale internationale. Comment en est-on arrivé là? Gbagbo s’est montré rebelle à la servitude volontaire. Il a par moment voulu jouer au Prométhée de la politique ivoirienne, celui dont l’humanisme se traduit dans son rêve de voir son peuple libre, prospère et digne. Mais comme le dit le mythe grec, Prométhée, ayant favorisé la race humaine en lui donnant un physique distingué et proche de celui des dieux et en lui enseignant des arts utiles pour créer les meilleurs conditions de son existence, entra par ce fait même en conflit avec Zeus qui lui infligea un supplice: il fut enchaîné nu par Héphaïstos et un aigle venait lui dévorer le foie chaque jour… Gbagbo aura-t-il un destin prométhéen? La question reste essentielle et la réponse incertaine.
Gbagbo sur le champ de bataille judiciaire, c’est la volonté de tous ces africains partisans de la servitude volontaire, en interne (Côte d’Ivoire) comme en externe, simples individus comme chefs d’États, dont les actes et les prises de positions depuis le 19 septembre 2002 ont consisté à déconstruire la démocratie et l’État de droit en Côte d’Ivoire par la rébellion, la guerre et le coup d’Etat du 11 avril 2011.
Sur le champ de bataille judiciaire, Gbagbo pourra -t-il reconquérir sa liberté ou périra-t-il? Le droit luciférien dont le procureur de la CPI est le promoteur remet fondamentalement en cause la droit à la légitime défense. Gbagbo qui, comme le 19 septembre 2002, était en position de légitime défense depuis le 16 décembre 2010 et qui a défendu le pays par des moyens proportionnels, est accusé de crimes contre l’humanité sur la base de l’article ambiguë et très problématique 25-3-a du Statut de la CPI. C’est pourquoi Gbagbo n’est pas un prisonnier de crimes contre l’humanité, contrairement à ce que veut faire croire le bon de livraison, non le mandat d’arrêt, (étant donné qu’on n’arrête que l’homme libre et que Gbagbo n’était pas en liberté à Korhogo) délivré au livreur Alassane Dramane Ouattara. Gbagbo est un prisonnier politique de la Cour pénale internationale. Le fond de ce mandat d’arrêt et le fait que le procureur se soit focalisé sur Gbagbo, alors que tous les raports internationnaux évoquent des crimes graves dans les deux camps, traduisent l’instrumentalisation politique de cette Cour. Quand le droit cède la place à la politique dans une Cour de Justice, quelle chance le prévenu, même innocent, peut-il avoir d’en sortir libre? Les juges Adrian Fulford (Royaume-Uni), Bruno Cotte (France), Sylvia Steiner (Brésil) et Joyce Aluoch (Kenya), dont trois forment essentiellement la Chambre de première instance chargée de juger Gbagbo, seront-ils capables de servir la cause de la justice et du droit et non de l’impérialisme occidental? Et même si ces juges par audace tentaient de se montrer impartiaux et justes, à l’opposé des calculs politiques, pourraient-ils résister à toutes les formes de pressions et de menaces souterraines du Léviathan? Même la présidente de la Chambre préliminaire III de la CPI, la juge Silvia Fernandez de Gurmendi, sans que nous sachions ses motivations profondes, a fini par céder à la requête du procureur Ocampo en signant l’unique «mandat d’arrêt» dirigé contre Gbagbo. Or cette juge se disait opposée à une enquête du procureur Ocampo ne débutant pas à la date du 19 septembre 2002.
La probabilité que Gbagbo sorte acquitté de la CPI est très mince, vu l’influence trop forte du Léviathan sur cette Cour. De toutes les façons, la crédibilité de la CPI est en jeu dans ce procès politique. Jouera-t-elle franc jeu? Attendons de voir… Quoiqu’il advienne, pour les partisans de Gbagbo, un combattant de son charisme en prison, mais des milliers d’autres en liberté, c’est l’exclusion de la résignation et la continuité du combat pour une Côte d’Ivoire libre, souveraine, indépendante et prospère.
Zeka Togui
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