Ils étaient environ deux mille cinq cents (2500) ces Africains, ces Européens venus par autobus (15 de Paris à raison de 70 places chacun), du Royaume-Uni ( 2 de 60 places chacun), par train, par avion, par covoiturage de France, d’Espagne, d’Italie, de la Belgique, d’Allemagne, de la Suède, d’Amsterdam, de Rotterdam etc. à l’appel des représentations du Front populaire ivoirien (FPI) en Europe et des associations de résistance pour participer ce samedi 10 décembre, à un meeting géant aux abords du siège de la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, en Hollande. Les organisateurs de cette manifestation voulaient, par ce rassemblement, dénoncer l’arrestation irrégulière par les nouvelles autorités ivoiriennes et la remise dans la précipitation de Laurent Gbagbo à la CPI le 29 novembre 2011.
Les premiers groupes de manifestants partis la veille de Paris sont arrivés au petit matin de samedi, au lieu du rendez-vous, habillés pour certains aux couleurs nationales et pour d’autres de blousons noirs frappés au dos par des inscriptions : «NO GBAGBO NO PEACE». Ils fredonnaient en refrain: «Libérez Gbagbo! Gbagbo président ! Soro et Ouattara à la CPI !».
Esquissant quelques pas de dance aux percussions d’un tambour d’un autre manifestant, cette dame venue de Hambourg, dans le nord d’Allemagne, m’explique le sens du message que véhiculent les inscriptions «NO GBAGBO ! NO PEACE » sur son habit. Selon elle, «ces inscriptions sont à l’adresse de tous ceux qui se disent préoccupés par la recherche d’une paix durable en Côte d’Ivoire, au premier rang la Commission de réconciliation nationale et la communauté internationale qui devraient retenir que la solution passe par la libération immédiate du président Gbagbo». Avec qui «Soro et Ouattara voudraient-ils se réconcilier si Gbagbo, le vrai président, devait rester en prison ?», s’interroge-t-elle. Survient un autre manifestant, celui-là venu d’Italie, qui renchérit : «Gbagbo n’a jamais choisi la prison pour régler ses différends avec ses opposants ; il a toujours et toujours privilégié la discussion, non et non il ne mérite pas d’être trainé dans la boue, d’être humilié». Il s’arrête un moment, comme s’il allait éclater en sanglots, puis se ressaisit et ajoute : «Si Gbagbo était un criminel, comme on veut nous le faire croire, en l’emmenant ici, à la CPI, il aurait déjà tué mille fois Soro, Ouattara et qui sais-je encore. Au lieu de les tuer, tout le monde le sait, Gbagbo, le président Gbagbo a envoyé Désiré Tagro pour inviter Soro et son parrain Blaise Compaoré du Burkina Faso à la table discussion. Il a dit à Soro, alors qu’il pouvait le donner à la CPI pour tous ses crimes, jeune frère, asseyons-nous et discutons. Et, contre l’avis de ses proches collaborateurs et amis, je cite par exemple Mamadou Koulibaly, le président Gbagbo a choisi de nommer Soro au poste de Premier ministre et de partager le pouvoir avec lui. Au lieu de dire merci président, il réclame justice contre lui. C’est ça la politique ? Je ne crois pas, c’est l’ingratitude. Mais que veut donc cette justice de Luis Ocampo, qui s’acharne après les victimes et protège les coupables ?»
Enfin ! «Comme l’a dit le président l’autre jour, devant la Cour, nous allons aller jusqu’au bout de cette histoire, et la vérité éclatera et on va savoir qui a fait quoi ; qui a tué, qui a violé, qui a divisé le pays, qui a pillé les ressources de notre pays ? Nous allons laver notre linge sale en public, c’est ça la volonté de Soro et Ouattara», conclut notre interlocuteur sur un ton plein d’émotion.
Vers 13 heures, la place était noire de monde ; le responsable du comité d’organisation prend alors la parole pour situer l’événement. Il entonne l’hymne national et la foule en chœur chante l’Abidjanaise. Puis Serge Kassy, l’infatigable patriote, est appelé au micro pour adoucir l’ambiance. Il fait grâce à l’auditoire de son prochain single : «C’est vous» qui pointe un doigt accusateur sur qui sont les assassins, les criminels donc justiciables de la CPI. Suivons l’artiste :
«Ils sont partis dans le village de Blé Goudé
Ils ont tiré sur tout âme qui vit.
Ils sont allés dans le village de Didier Drogba,
Ils sont partis dans le village de Didier Drogba,
Ils ont tué tout âme qui y vivait.
Leur seul point commun,
C’est qu’ils viennent de l’ouest du pays,
Et qu’ils appartiennent à l’ethnie de Laurent Gbagbo.
Pour de simples élections,
Ils ont tué dans mon pays.
Egorgé, chassé tous ceux qui suivaient Gbagbo.
Je dis, c’est vous qui avez tué,
C’est vous les assassins.
La foule chauffée à blanc, -le thermomètre indiquait quatre degrés Celcius, le meeting peut débuter. C’est Guy Labertit qui prend la parole. Il remercie les participants et souligne que «c’est la première fois dans l’histoire qu’est organisé un rassemblement populaire pour soutenir un prévenu à la CPI» et d’ajouter que «si vous êtes là, c’est parce qu’il n’est pas normal que Laurent Gbagbo soit à la CPI». Il va ensuite s’appesantir sur la mission véritable de la CPI. La CPI, soutient-il, «ne dit pas le droit ; elle est là pour exécuter les volontés des grandes puissances occidentales». S’agissant de Laurent Gbagbo, dira l’orateur, «depuis qu’il a été élu en 2000 par le peuple de Côte d’Ivoire, et plus précisément depuis 2002, les puissances occidentales et la France en particulier n’ont eu d’autre dessein que de l’écarter de la présidence de la République de Côte d’Ivoire». Pour charger l’ancienne puissance tutélaire, l’orateur citera les coups d’Etat foireux de janvier 2001, de septembre 2002, les bombardements de Bouaké dans lesquels elle serait impliquée. Ces basses manœuvres ayant échoué, connaissant l’attachement de Laurent Gbagbo au suffrage universel, c’est au piège d’une élection truquée qu’ils réussiront, avec la complicité de l’ONU, à le prendre comme l’expliquera Guy Labertit. Il soulignera que «pour relever le défi de l’élection, Laurent Gbagbo a «remis en jeu celui qui vient, aujourd’hui de façon odieuse, de le déporter de son pays, Alassane Ouattara. Si Alassane Ouattara a pu être candidat à l’élection présidentielle, il le doit à Laurent Gbagbo». Sur le truquage des élections de 2010, l’orateur qui dit avoir été témoin oculaire de leur déroulement donne quelque chiffres éloquents : «Sur 14 régions du pays qui représentaient 83% de l’électorat, Laurent Gbagbo avait plus de 7 points d’avance ; il avait 53,86% et Alassane Ouattara 46, 14%. Et sur les 5 régions du Nord qui représentent seulement 17% de l’électorat, le président Gbagbo qui avaient 7 points d’avance, s’est retrouvé avec 8 points de retard. Qui peut croire à la vérité de ce résultat ? M. Ouattara est à la tête de la Côte d’Ivoire à la base de résultats frauduleux qui ont été appuyés par la communauté internationale». Enfin, expliquera l’orateur, les élections de 2010 étaient une imposture qui justifie la précipitation avec laquelle Alassane Ouattara «a voulu se débarrasser de Laurent Gbagbo du territoire national parce que sa présence en Côte d’Ivoire est une gêne pour lui. ça lui rappelle en quelque sorte que ce pouvoir n’est pas pour lui». La présence de Laurent Gbagbo à la CPI concerne toute l’Afrique c’est pourquoi Guy Labertit s’est réjoui de la présence dans la foule de plusieurs amis africains. Au rang de ces militants, on peut citer pêle-mêle Gatien Zoumako du Togo, Sessou Roger Kouassi du Bénin, résidant en Italie, représentant le conseil mondial du panafricanisme et Olivier Dossou, président du Cercle de réflexions sur les questions africaines et internationales (MORAF), résidant en Belgique. Sur le sens de leur présence, Olivier Dossou : «On parle de la Côte d’Ivoire, on parle du Bénin, on parle de nous Africains. Ils doivent donc se mobiliser et soutenir la cause ivoirienne qui est une cause commune, en tant qu’elle concerne la dignité de l’Africain qui doit se dresser contre la colonisation sous toutes ses formes, contre le racisme et contre la soumission».
Il était 16 heures (15 h TU) quand le meeting s’est terminé. Rendez-vous a été pris pour le 24 décembre 2011, cette fois devant la prison de Scheveningen, faubourg de La Haye, qui abrite le quartier pénitentiaire de La Haye où est détenu le président Gbagbo pour passer la fête de Noël avec lui.
James Cénach envoyé spécial à La Haye
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