Arrivée de Laurent Gbagbo à La Haye à bord d'un avion affrété par la Côte d'Ivoire.
Le 02 décembre 2011 par IVOIREBUSINESS - Cour Pénale Internationale
International Criminal Court
Original : anglais
N° : ICC-02/11
Date : 23 novembre 2011
LA CHAMBRE PRELIMINAIRE III
Composée comme suit: Mme la juge Silvia Fernandez de Gurmendi,
juge président
Mme la juge Elizabeth Odio Benito
M. le juge Adrian Fulford
SITUATION EN RÉPUBLIQUE DE COTE D’IVOIRE
SOUS SCELLES
Ex parte, réservé à l’Accusation et au Greffe
URGENT
Mandat d’arrêt à l’encontre de Laurent Koudou Gbagbo
Décision à notifier, conformément à la norme 31 du Règlement de la Cour, aux destinataires suivants :
Le Bureau du Procureur: M. Luis Moreno-Ocampo, Mme Fatou Bensouda.
Le conseil de la Défense
Les représentants légaux des victimes
Les représentants légaux des demandeurs
Les victimes non représentées
Les demandeurs non représentés (participation/réparations)
Le Bureau du conseil public pour les victimes
Le Bureau du conseil public pour la Défense
Les représentants des États
L’ amicuscuriae
GREFFE
Le Greffier: Mme Silvana Arbia
La Section de la détention
L’Unité d’aide aux victimes et aux témoins
Autres
La Section de la participation des victimes et des réparations
1. Le 22 juin 2011, la Présidence de la Cour pénale internationale (« la Cour ») a rendu la Décision portant constitution de la Chambre préliminaire III et réassignant la situation en République de Côte d’Ivoire.
2 . Le 3 octobre 2011, la Chambre préliminaire III (« la Chambre ») a décidé, en application de l’article 15 du Statut de Rome (« le Statut »), d’autoriser l’ouverture d’une enquête dans le cadre de la situation en République de Côte d’Ivoire.
3. Le 25 octobre 2011, le Procureur a demandé, en vertu de l’article 58 du Statut, la délivrance d’un mandat d’arrêt à l’encontre de Laurent Koudou Gbagbo (« Laurent Gbagbo ») pour quatre chefs de crimes contre l’humanité, sur la base de la responsabilité individuelle de celui-ci dans la commission de meurtres, de viols et d’autres formes de violences sexuelles, d’actes de persécution et d’actes inhumains pendant les violences post-électorales, à partir du 28 novembre 2010, par les Forces de défense et de sécurité ivoiriennes (FDS) appuyées par les milices de jeunes pro-Gbagbo et des mercenaires (collectivement « les forces pro-
Gbagbo »), à Abidjan, notamment dans les environs de l’hôtel du Golf, et ailleurs dans le pays.
4. Ayant pris note des articles 19-1 et 58-1 du Statut, la Chambre indique qu’elle exposera dans une décision ultérieure son analyse des éléments de preuve et autres renseignements fournis par le Procureur.
5.Au vu des éléments de preuve et renseignements fournis par le Procureur, et sans préjudice de la décision qu’elle rendra relativement à toute exception d’irrecevabilité susceptible d’être soulevée ultérieurement en vertu des articles 19-2-a et 19-2-b du Statut, la Chambre considère que l’affaire concernant Laurent Gbagbo relève de la compétence de la Cour et qu’elle est recevable.
6.Au vu des éléments de preuve, la Chambre conclut qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’au lendemain des élections présidentielles en Côte d’Ivoire, les forces pro-Gbagbo ont attaqué la population civile à Abidjan et dans l’ouest du pays, à partir du 28 novembre 2010. Elles ont pris pour cible des civils qu’elles pensaient être des partisans d’Alassane Ouattara, et les attaques étaient souvent dirigées contre des communautés ethniques ou religieuses spécifiques.
7. La Chambre estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire que ces attaques lancées par les forces pro-Gbagbo pendant les violencespost-électorales ont été menées en application de la politique d’une organisation. En outre, elles revêtaient un caractère généralisé et systématique, comme le montrent notamment la longueur de la période durant laquelle des crimes ont été commis (entre le 28 novembre 2010 et mai 2011), l’étendue géographique de ceux-ci (bon nombre des quartiers d’Abidjan et l’ouest de la Côte d’Ivoire), le grand nombre de victimes dont il a été fait état et le mode opératoire généralement suivi dans la commission des crimes.
8. Au vu des éléments de preuve, la Chambre estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire que des crimes contre l’humanité ayant pris la forme de meurtres (article 7-1-a du Statut), de viols et d’autres formes de violences sexuelles (article 7-1-g), d’autres actes inhumains (article 7-1-k) et d’actes de persécution (article 7-1-h) ont été commis en Côte d’Ivoire entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011.
9. En outre, la Chambre estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire que ces actes sont advenus dans le cadre d’une attaque généralisée ou
systématique lancée contre la population civile de la Côte d’Ivoire, au sens de l’article 7-1 du Statut.
10. La Chambre estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire que, par les crimes qui lui sont reprochés dans la demande de délivrance de mandat d’arrêt, Laurent Gbagbo a engagé sa responsabilité pénale individuelle en tant que « coauteur indirect » desdits crimes au sens de l’article 25-3-a du Statut. En particulier, il y a des motifs raisonnables de croire que Laurent Gbagbo et son entourage immédiat (les coauteurs des crimes) avaient convenu d’un plan et qu’ils étaient conscients que la mise en oeuvre de celui-ci aboutirait, dans le cours normal des événements, à la commission des crimes susmentionnés. De plus, en mettant ce plan en oeuvre, les coauteurs ont exercé un contrôle conjoint sur les crimes. Compte tenu de la position et du rôle de chacun d’eux au regard du plan, les coauteurs ont apporté une contribution coordonnée et essentielle à la réalisation dudit plan. Il y a une base suffisante pour conclure que les forces pro-Gbagbo qui ont exécuté la politique en question l’ont fait en obéissant de façon quasi automatique aux ordres qu’elles avaient reçus. Enfin, il a été suffisamment prouvé que Laurent Gbagbo a agi avec le degré d’intention et de connaissance requis.
11.Bien que la Chambre soit convaincue que ce critère de fond (proposé par l’Accusation) est rempli, il est vraisemblable que la question de la responsabilité imputée à Laurent Gbagbo en qualité de « coauteur indirect » au sens de l’article 25-3-a du Statut devra être débattue en temps voulu avec les parties et les participants.
12 . Enfin, la Chambre est convaincue que l’arrestation de Laurent Gbagbo est nécessaire pour : i) garantir qu’il comparaîtra devant la Cour ; ii) garantir qu’il n’usera pas de son pouvoir politique ou de ses moyens financiers pour faire obstacle à l’enquête ou en compromettre le déroulement; et iii) empêcher la commission d’autres crimes.
PAR CES MOTIFS, LA CHAMBRE
DÉLIVRE le présent mandat d’arrêt à l’encontre de Laurent Koudou Gbagbo, né le 31 mai 1945 dans le village de « Mama », sis dans la sous-préfecture de Ouragahio, dans le département de Gagnoa, en Côte d’Ivoire, de nationalité ivoirienne et membre de la tribu des Bété, au motif qu’il serait pénalement responsable, au sens de l’article 25-3-a du Statut, de crimes contre l’humanité ayant pris la forme 1) de meurtres (article 7-1-a du Statut), 2) de viols et d’autres formes de violences sexuelles (article 7-1-g), 3) d’autres actes inhumains (article 7-1-k), et 4) d’actes de persécution (article 7-1-h), commis sur le territoire de la Côte d’Ivoire entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011,
DÉCIDE que le mandat d’arrêt doit demeurer sous scellés, ex parte et réservé à l’Accusation et au Greffe mais que, pour permettre le transfèrement de Laurent Gbagbo au siège de la Cour, ce mandat pourra, selon que de besoin, être communiqué en vue de son exécution à des tierces parties (telles que les autorités de la Côte d’Ivoire et tout autre État ou organisation internationale). La Chambre envisagera en temps voulu la reclassification du mandat d’arrêt, après la remise de Laurent Gbagbo à la CPI,
DÉCIDE que, dès que possible : i) le Greffe préparera une demande de
coopération sollicitant l’arrestation et la remise de Laurent Koudou Gbabgo, qui contiendra les renseignements et les pièces exigés aux articles 89-1 et 91 du Statut, ainsi qu’à la règle 187 du Règlement de procédure et de preuve ; et ii) le Greffe, en consultation et en coordination avec le Procureur, transmettra cette demande aux autorités compétentes de la République de Côte d’Ivoire, conformément à la
règle 176-2 du même Règlement,
ENJOINT ÉGALEMENT au Greffier, conformément à l’article 89-3 du Statut, de préparer et de transmettre à tout État et organisation internationale concernés toute demande de transit qui pourrait être nécessaire aux fins de la remise à la Cour de Laurent Koudou Gbabgo,
ORDONNE au Procureur de transmettre au Greffe, dans la mesure où ses obligations de confidentialité le lui permettent, ainsi qu’à la Chambre, toutes les informations en sa possession qui permettraient d’éviter les risques que pourraient faire courir à des victimes ou à des témoins la transmission de la demande de coopération susmentiormée,
INVITE le Procureur à transmettre au Greffe, dans la mesure où ses obligations de confidentialité le lui permettent, ainsi qu’à la Chambre, toutes les informations en sa possession qui faciliteraient selon lui la transmission et l’exécution de la demande de coopération susmentionnée,
ENJOINT au Greffe de se mettre en rapport avec l’Accusation pour inviter la République de Côte d’Ivoire et le Royaume des Pays-Bas à demander une dérogation à l’interdiction de voyager imposée à Laurent Gbagbo par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies et le Conseil de l’Union européenne, afin de permettre la remise de l’intéressé à la CPI et son entrée sur le territoire des Pays-Bas,
DEMANDE INSTAMMENT au Greffe de prendre toutes les dispositions possibles pour permettre l’exécution immédiate du présent mandat d’arrêt.
Fait en anglais et en français, la version anglaise faisant foi.
Mme la juge Silvia Fernandez de Gurmendi
Mme la juge Elizabeth Odio Benito
M. le juge Adrian Fulford
Fait le 23 novembre 2011
À La Haye (Pays-Bas)
Traduction officielle de la Cour
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