Appelez-moi DM, 47 ans, américain d’origine sénégalaise, cadre dans un cabinet américain d’évaluation de risque d’investissement. Je rentre d’une mission en Côte d’Ivoire pour le compte d’un de nos clients.Nous avons eu à faire, mes collègues et moi, en plus d’Abidjan, un fructueux déplacement à Yamoussoukro pour assister à l’investiture de monsieur Ouattara Alassane.
Nous ne pouvions pas manquer, comme certains cabinets concurrents qui avaient aussi leurs hommes en mission, ce grand rendez-vous qui se présentait à nous comme une véritable aubaine pour réactiver nos contacts dans l’entourage des présidents africains, et surtout sonder, dans le cas du nouveau pouvoir ivoirien, ceux que nous appelons dans notre jargon les “back sits”, et qui ne sont rien d’autres que les hommes de l’ombre qui aspirent un jour à être en première ligne. Ceux-là sont plus ouverts, francs, un peu bavard pour certains, que les officiels qui, très souvent, nous tiennent un langage diplomatique, lorsqu’ils savent l’objet de notre visite.
C’est dans cette perceptive que je fais la rencontre, parmi tant d’autres, de celui que je nommerais AK, à qui je n’ai pas révélé le but réel de séjour en Côte d’Ivoire, et dont j’ai enregistré la conversation à son insu comme le veut ma profession. Rien de méchant en cela, puisque ce que nous faisons peut être assimilé à de l’espionnage. Nos clients ont besoin de savoir où et avec qui, ils iront faire du business.
Passé de gros contrats pétroliers nécessite un minimum de garantie. Je précise que AK que je voyais pour la troisième fois ne sont pas ses initiales réelles. Je me dois sincèrement de protéger l’identité de cet homme intelligent, sympathique, plein de bon sens, dont on m’a dit après, qu’il a d’énormes chances de rentrer au gouvernement dans les jours à venir. Mon but n’étant pas de l’exposer, j’ai délibérément retiré de notre entretien que je publie en dessous de mon introduction, certains passages qui pourraient amener ses connaissances à l’identifier. A lui-même qui se reconnaitra probablement, je voudrais d’ores et déjà lui présenter mes excuses les plus honnêtes pour l’acte que je pose. Qu’il se rassure, ma nature, mon honneur et mon métier ne me permettront jamais de le porter au grand jour. Seulement voilà, je ne pouvais pas m’empêcher de publier cet aveu fait sur Laurent Gbagbo, cet homme politique que j’admire pour ses idées, son audace et son courage à défier la France qui du reste, pour moi, reste un des maux majeurs pour nous les africains. Ne dit-on pas que le meilleur hommage vient de son adversaire? AK et moi avons eu un long échange “amical”. C’est peu à peu, astucieusement, comme le veut ma méthode de travail que je l’ai conduit à un jeu de question-réponse. Voici l’extrait concernant uniquement le président Gbagbo que je souhaite partager avec vous, frères africains, pro et anti Gbagbo. Merci pour vos commentaires qui j’en suis sûr seront diamétralement opposés les uns aux autres. C’est ça aussi la beauté de la démocratie qui ne devrait pas nous amener à nous entre-tuer pour le toubab. Que la paix revienne en Côte d’Ivoire.
Moi : Ouf ! Pourrait-on dire. Après tant d’années de lutte, le président Ouattara y est enfin.
AK : Oui, on pourrait voir les choses comme ça. Sauf que nous y sommes pas encore parfaitement. La tâche n’est pas aisée pour être franc avec vous.
Moi : Non, mais, monsieur…
AK : A…
Moi : Pourquoi? Laurent Gbagbo est en résidence surveillée, le président Ouattara est investi aujourd’hui devant ses pairs africains et Sarkozy…
AK : Oui, ça, c’est le côté cérémonial de la prise du pouvoir. Mais le volet sécuritaire qui est du domaine de l’exercice quotidien du pouvoir, nous le laisse croire. Quand vous avez eu affaire à un adversaire politique chevronné, aussi coriace que Laurent Gbagbo, vous ne racolez pas les morceaux aussi aisément après lui. Son ombre, nous en sommes tous conscients au parti, planera encore sur le mandat du président Ouattara, si Allah nous aide à le conduire à terme. Politique jusqu’au bout des ongles, je crois sincèrement qu’il a préféré cette sortie pour mieux nous discréditer à la face du peuple et des panafricanistes. Nous entendons beaucoup de choses à ce propos. Si son départ avait été autre que celui que nous avons connus, gagner l’estime d’une partie de la population qui répugne le président Ouattara aurait été plus facile par des actes concrets de développement. Mais là, c’est très compliqué pour lui et ses collaborateurs que nous sommes. Il y a une partie de la population qui, quelque soit ce que nous ferons de bien pour elle, ne nous acceptera jamais. Mais ce n’est pas pour autant que nous baisserons les bras dans la voie de la réconciliation.
Moi : Ses principaux généraux ont faits allégeance ! Avec un peu de temps, leurs subalternes suivront certainement…
AK : Ça fera bientôt deux mois que nous les attendons ! (rires) Nous avons l’impression d’être dans une situation savamment orchestrée, où on nous donne la tête et on garde le cœur pour soi. Hors vous conviendrez avec moi que sans le cœur, le corps ne fonctionne pas ! Avec Gbagbo tout est possible. (Rires) Il est d’une perversité hors pair dans son approche de la chose politique, et personne ne peut limiter son champ d’action dans ce domaine. Ce que nous savons, par contre, tous de lui, c’est qu’il affectionne l’adversité. Cela semble l’exciter. C’est homme extrêmement rusé ne vous lâche pas dans un affrontement politique. Vous savez, s’il y a quelque chose que Laurent Gbagbo a parfaitement réussi, c’est son appareil sécuritaire. Cette armée qui a fondu dans la nature est une armée redoutable qui dispose de quatre composantes : les FDS, les milices, la FESCI et les mercenaires, le tout avec encore assez d’armes dissimulées un peu partout sur le territoire que nous cherchons vainement.
Moi : Et pourtant, elle n’est pas parvenue à le maintenir au pouvoir…
AK : C’est là où il y a lieu de s’interroger profondément. Hormis le fait que ce soit à cause de la puissance de feu française, l’on pourrait aussi se demander, comment une armée pour laquelle L’ONUCI et la France ont eues une attention particulière, parce que bien équipée et très bien entrainée
(nombreux de ses jeunes officiers font partie des meilleurs de leur promotion), peut-elle décrocher et refuser de rejoindre les nouvelles autorités? On suppose que si elle a décrochée, c’est parce qu’elle ne voulait plus suivre son chef. Mais pourquoi ne veut-elle pas nous rejoindre dans ce cas alors?
Moi : Par peur de représailles peut-être !
AK : Je veux bien croire pour ceux qui étaient à des postes de commandements. Mais qu’avons-nous comme moyens pour mener des actions de représailles contres des milliers d’hommes de rang sans attirer les regards de la communauté internationale? Non, la vraie cause doit etre ailleurs. Est-ce un piège qu’on nous a tendu? Du genre prenez place et nous nous occuperons de vous après. N’oubliez pas que pendant dix ans, elle n’a pas renversé Gbagbo comme nous l’aurions aimé. Aujourd’hui, c’est à ce niveau que se situe notre plus grosse inquiétude. Comment gouverner avec tous ces milliers de militaires dans la nature? Qu’ils fassent allégeance ou pas, ils resteront, de toute évidence une épée de Damoclès sur nos tète. Si nous leur confions la sécurité du pays, ils pourront nous renverser. Si nous les laissons là où ils sont, ils pourraient mener une attaque depuis leur cachette. Je ne vous le cache pas, notre situation est très inconfortable, au point que beaucoup d’entre nous gardent encore femmes et enfants hors du pays.
Moi : Qu’allez-vous faire maintenant? Le premier ministre qui est aussi celui de la défense s’attèle à cela je suppose?
AK : Qui ça? Le jeune frère Soro? Non…, il a joué sa partition, il est maintenant temps qu’il prenne un bon repos mérité. Il faut que le grand-frère (Ouattara) fasse appelle à quelqu’un de plus étoffé, plus âgé ayant un CV requis pour la fonction. Nous sommes en Afrique et cela est très embarrassant pour beaucoup de se voir appeler tonton en privé et de lui donner du monsieur le premier ministre avec révérence en publique. (Rires)
Moi : Ç’ a quand même marché avec le président Gbagbo !
AK : C’est la particularité de l’homme Gbagbo ça ! (rires) On croyait lui faire mal en lui demandant de prendre le jeune frère comme PM, il l’a accepté pour plutôt mieux ridiculiser nos amis qui étaient au gouvernement dans l’ordre protocolaire.
Moi : La Licorne et l’ONUCI vous aident à sécuriser le pays, je constate?
AK : Oui, mais cela nous fait passer pour un pouvoir à la solde de l’étranger et ne rassure ni nos compatriotes quant à la fin de la guerre, ni les éventuels investisseurs qui verront en cette présence un signe d’instabilité. Voilà pourquoi certains au parti disent que même chasser du pouvoir, Laurent Gbagbo codirige la Côte d’Ivoire avec nous. (Rires)
Moi : Vous qui semblez le connaitre, comment le décrirez-vous?
AK : Vous êtes un Gbagboïste, il me semble ! (rires)
Moi : Non, pas nécessairement… Je suis chez vous, autant me faire une idée autre que celle de la presse !
AK : Nos frères sénégalais sont en général pour le président Ouattara. (Rires) Ou bien, c’est parce que vous vivez aux USA, vous? Non…Il est humain, généreux, très généreux, amusant, aimant la femme (rires)…, et un redoutable adversaire politique pour ce qui me revenait très souvent des amis du parti qui ont eus à bien le côtoyer. Pour ma part, j’ai eu à le rencontrer que quatre fois où il nous à bien fait rire avec des histoires drôles qu’il aime conter pour détendre l’atmosphère. Mais quand nous allions le croiser, la consigne était claire : faire attention à ce qu’il propose comme solution. Car, il a un don inouï de piéger ses adversaires politique qui ont finis par le surnommer le boulanger. (Rires) Oui, c’est vrai, avec Gbagbo vous prenez goût à la politique qui devient un jeu de réflexion excitant. Ce serait faux de dire qu’il ne nous passionne pas tous quelque part.
Moi : A vous entendre, c’est vous plutôt le Gbagboïste ! (rires) Apercevez-vous la noblesse de son combat dont parlent encore ses partisans?
AK : Noblesse de son combat… Vous savez, il y a ceux qui veulent changer les choses et qui n’y arrivent pas. C’est le cas de Gbagbo. Et il y a ceux qui disent, l’ordre est déjà établi, autant faire avec. Pour le reste, le débat peut être lancé en ayant à cœur la question suivante : avons-nous les moyens nécessaires, en tant qu’africain, d’inverser l’ordre de la domination occidentale? S’il s’en est lui-même remis à l’aide divine, c’est parce qu’il n’avait pas la capacité de l’emporter sur la France.
Moi : Attendez-là, je croyais qu’il s’agissait d’un duel entre lui et le président Ouattara ! (rires)
AK : (Rires) Je vous sais intelligent pour croire que c’en est la principale raison. Il y a un chanteur reggae de chez nous qui dit “ils ont partagés le monde, rien ne m’étonne…”. C’est Tiken Jah.
Moi : Je m’apprêtais à poser une autre question, lorsque je suis interrompu par une tape dans le dos. Qui vois-je en me retournant? TH, ancien compagnon d’université aux USA. Devenu membre influent du cabinet présidentiel de son pays, il était du voyage avec son président Toute suite, il se lance dans une violente critique, en anglais bien sûr, pour ne pas que les gens nous comprennent, cela, à l’endroit de la France impérialiste qui venait de renverser le président Gbagbo pour installer Ouattara. Je profite pour lui demander: ” what about your boss? How he is seeing the all situation?” (et ton patron? Comment voit-il la situation? ). Il me répond qu’il n’a pas cessé de se plaindre tout le temps qu’a duré le vol de ce que ce petit (Sarkozy) les ait presque obligé à venir à Yamoussoukro. Ce dernier aurait ironisé à un de ses homologues africain en lui disant : “ça t’ennuierait pas de le provoquer (Sarkozy) pour qu’il te bombarde et qu’il me mette à ta place? Toi au moins, tu as la forêt que je n’ai pas, moi ! “.
Lorsque TH nous quitte, AK qui comprend l’anglais, j’aurai du m’en douter vu son niveau d’étude, me fait remarquer que si TH était dans l’opposition en train de courir après le pouvoir d’état, il n’aurait pas tenu ses propos presque désobligeants à l’endroit de son patron à lui, le président Ouattara. Quand il me demande de quel pays est-il? Je presse de lui dire gentiment qu’il n’y aura pas d’incident diplomatique par ma faute. Il a fallu aller à la recherche d’autres sujets avant de revenir sur celui qui m’intéressait le plus ce jour-là, c’est à dire le président Gbagbo.
Moi : Allez-vous vraiment l’envoyer devant la CPI?
AK : Je n’en sais rien. Je ne suis pas en charge du dossier. Mais si tel était le cas, nous aurions empirés une situation déjà chaotique de laquelle nous peinons vraiment à sortir. Et puis dans le fond, sommes-nous, nous-mêmes exempts de tout reproche? Ce que je sais, par contre, c’est que plus il sera entre nos mains, moins il sera probable que nous subissions une attaque armée de ses partisans. Cela nous donne donc le temps d’asseoir notre pouvoir avec l’aide de l’armée française à laquelle le grand-frère (Ouattara) a demandé un plan de restructuration de la nôtre en incluant des coopérants français dans sa chaîne de commandement comme au temps du président Houphouët. C’est après cela que nous pourrions être sûrs d’être réellement aux commandes (rires). La politique, c’est aussi l’art de faire diversion. Garder Gbagbo, c’est amener ses partisans à plus réclamer sa libération que contester la légitimité du président Ouattara.
Moi : Entre nous, de vous à moi, la présidentielle, vous l’avez vraiment remportés? Parce que sur le net, j’ai vu des preuves…
AK : (Eclats de rires) Eh bien là, vous vous êtes dévoilés maintenant ! Vous êtes pour Gbagbo (rires). Vous savez, il y a un proverbe chez nous qui dit, et je cite : quand vous avez faim et qu’on vous donne à manger, vous ne vous demandez pas, si les mains qui ont cuisiné la nourriture étaient sales. Nous avons le pouvoir et nous avons l’intention de l’exercer pleinement. La polémique des élections, c’est du passé. (Rires)
Moi : Il va falloir compter avec la résistance dite patriotique de Blé Goudé alors !
AK : Mais elle était là avec ses meetings qui coutaient au contribuable, et puis nous sommes arrivés au pouvoir ! Vous savez, elle était d’ordre pécuniaire. Et comme ils n’ont plus les caisses de l’état et qu’ils vivent dans des conditions déplorables au Ghana, elle s’essoufflera à coup sûr ! Dans peu de temps beaucoup d’entre eux négocieront leur retour pour retrouver le confort de leur palace qui leur manque tant. La seule chose que nous craignons, je vous le répète, ce sont les militaires et non Blé Goudé que d’aucun déclare mort. Lorsque les français nous auront aidés à les mettre sous l’éteignoir, nous rouleront en roue libre. Les partisans de Gbagbo qui, nous le reconnaissons, est un doué de la politique, n’ont pas la persévérance qui est la nôtre. C’est elle qui nous a amenée à acculer leur champion pendant dix ans. Leur machine est décapitée, ils baisseront les bras tôt ou tard. Vous verrez qu’à votre prochaine visite, ils seront tous rentrés dans les rangs. Ya rien en face, comme ils avaient l’habitude de nous le dire.
Moi : Pourtant, pour ce que j’ai entendu de nombreux pro-Gbagbo, vous ne seriez pas au bout de vos peines, parce qu’ils ne vous lâcheront pas !
AK : Ils peuvent menacer. Quand ils se seront remis de la chute de Gbagbo, cela leur passera. (rires)
Source: Telediaspora
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